Hiroko Oyamada, L’Usine

Amatrice de littérature japonaise, c’est avec beaucoup de curiosité que j’ai ouvert L’Usine, roman publié ce mois-ci par les éditions Christian Bourgois.

Le Japon me fascine, et plus je lis de romans s’y déroulant, ou de documentaires, plus j’ai l’impression que m’échappent les subtilités de la vie quotidienne, des politesses, des relations selon le genre, l’âge, la profession. C’est donc toujours avec l’envie d’en apprendre un peu plus et d’être probablement dépaysée que je me laisse embarquer dans chaque nouvelle lecture. L’Usine n’a pas échappé à la règle et m’a happée dans un univers déstabilisant.

Raconté à la première personne, le récit croise les points de vue de plusieurs employés ayant rejoint l’Usine.

Yoshiko Ushiyama, qui après avoir démissionné de cinq postes, se présente pour un CDI et se retrouve contractuelle, assignée aux déchiqueteuses. Toute la journée, tout comme ses collègues, elle glisse du papier dans la déchiqueteuse, de grands sacs à détruire leur étant livrés deux fois par jour.

Furufué, recommandé par l’université pour répertorier les mousses présentes sur le site et végétaliser les toits, un poste dont il ne voulait pas mais qui lui a été offert sur un plateau, presque imposé, de même que le logement sur place qui l’amène du jour au lendemain à changer de vie. Mais la végétalisation lui parait impossible, le projet trop vaste. Surtout lorsqu’il découvre qu’il travaillera seul, sans aucun objectif de résultat.

Ushiyama, qui a été licencié de son poste d’ingénieur à temps plein et, grâce à une petite amie travaillant dans une agence d’intérim, se retrouve à corriger à la main des textes parfois surprenants, qui peuvent revenir indéfiniment avec de nouvelles fautes.

L’Usine est un employeur incontournable de la région, une immense ville dans la ville, avec ses quartiers, ses cantines et restaurants, ses blanchisseries, ses magasins, ses maisons, ses bus, outre les bâtiments proprement liés à l’activité. Activité qui suscite la curiosité du lecteur dès les premières pages compte tenu de la dimension des lieux, des nombreux services et de l’impact sur la population locale, première source de recrutement.

Ajoutons à cela une faune et une flore propre à l’Usine. Sur 1000m2, une forêt a vu le jour. En son centre, elle est dense et sombre. Elle est aussi fréquentée par le « déculotteur », un individu que l’Usine ne souhaite pas dénoncer à la police en raison de la mauvaise image que cela donnerait. A côté de cela, des animaux prolifèrent. De gros ragondins. Des cormorans noirs amassés au même endroit et fixant de concert l’Usine. Sans parler d’un troisième type d’animal qu’on découvre plus tard.

Au départ, on peut imaginer un roman sur la culture d’entreprise nippone. Et par certains aspects, le sujet est bien abordé même si dès le départ, ce sont les trois nouveaux employés qui éveillent notre intérêt, avec leur embauche, la découverte de leur poste. Puis le rythme s’accélère. La temporalité n’est plus si évidente. L’absurdité de certaines situations ressort.

Ce roman aux accents kafaïens m’a rappelé mes quelques lectures de Murakami où l’impossible (ou l’improbable) se mêlent au quotidien. Ici, la perte de repères est progressive. L’inattendu pressenti rapidement prend de l’ampleur au fur et à mesure que le récit avance.

Malgré son étrangeté, le texte reste vif et centré en apparence sur les rapports humains, l’analyse des situations personnelles, le quotidien d’employés de l’Usine.  Je m’attendais à un texte sombre. Il l’est, en quelque sorte, sans pour autant tomber dans une atmosphère pesante. La toute puissance de l’Entreprise et l’impact de l’activité économique sur la nature sont deux thèmes auxquels je m’attendais en ouvrant ce roman. Les voilà détournés dans un récit trompeur où l’ont suit avec fascination trois personnages – dont on ne sait au final rien ou presque – dans leurs missions répétitives et aberrantes.

Très particulier (comme souvent avec les récits japonais) mais passionnant si vous aimez vous laisser surprendre !

Pour aller plus loin, deux autres chroniques sur le monde du travail au Japon : Le Jour de la Gratitude au Travail et Stupeur et Tremblements.

186 p

Hiroko Oyamada, L’Usine, 2013 (2021 pour l’édition française)

3 thoughts on “Hiroko Oyamada, L’Usine

  1. Ce roman a l’air spécial, mais ton avis convainc plus que le résumé de l’éditeur ! J’aime bien la façon dont les romans japonais nous plongent dans une ambiance toute spéciale, où le réel laisse place à l’étrange…

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