Une jeunesse cubaine

suarez_silencios.jpg Raconté à la première personne, Silencios suit pas à pas celle que l’on surnomme « Flaca » et que l’on voit grandir dans une Havane en pleine mutation. Premières années d’enfance : une mère argentine, reniée par sa famille, déçue par son amour cubain et sombrant régulièrement dans la dépression, refusant de sortir et passant ses nuits à écouter des tangos ; un père homme à femmes, militaire bientôt déchu sur lequel la famille ne peut pas compter ; un oncle porté sur les jeunes garçons, favori de la grand-mère jusqu’à ce qu’un scandale n’éclate ; la grand-mère, abrutie de télévision, dont le fils favori change au gré des saisons et qui n’a pas d’affection pour sa petite-fille, voire sa famille en général ; une tante qui passe sa vie enfermée dans sa chambre à fumer, boire et écrire avant de sombrer progressivement dans la folie ; enfin Cuatro Ojos, ami surnommé de la sorte en raison de ses lunettes à double foyer.

Petite, la narratrice est surnommée « Marimacho » par ses camarades d’école : elle est peu populaire, n’a pas d’amis et à vrai dire, s’en fiche complètement. Mais, après s’être rebellée contre le leader de la classe (et le chouchou de ces demoiselles), l’enfant se lie d’amitié avec Cuatro Ojos qui, en grandissant, réitèrera les demandes en mariage à n’en plus finir.

Plus elle grandit, plus la narratrice devient indépendante ; elle finira par se réfugier dans la solitude et le silence de sa maison, « la casa grande », devenue déserte.

suarez_tropiques silences.gifLe style est direct, simple. L’histoire pourrait être simplement le parcours initiatique d’une jeune fille, mais ce roman est au final plus complexe qu’il n’y paraît. Ce roman pose la question de la liberté : bien entendu, la liberté à Cuba est évoquée, mais il s’agit d’un sujet périphérique, même si le déclin progressif du pays dans les années 1980 est lui assez clairement dépeint. La liberté qui intéresse principalement Karla Suarez à travers ce roman est davantage une liberté intérieure. Le libre-arbitre et le lien étroit entre solitude et liberté totale sont mis en avant à travers les choix atypiques de la narratrice : refus de sortir avec Cuatro, qui lui est profondément dévoué et qu’elle aime à sa façon, puis de le suivre en Espagne, où une vie meilleure l’attend ; refus de suivre un petit ami qui quittera le pays ; refus de suivre sa mère en Argentine ; refus de se plier aux obligations sociales, avec une narratrice finalement heureuse de se terrer dans une maison abandonnée, sans emploi ni aucune occupation à l’extérieur. Une liberté absolue qui me semble personnellement oppressante, mais j’ai trouvé le développement de cette idée intéressante et bien menée.

« Todas son piezas dentro de ese conjunto que llaman « masa » : la familia, el pueblo, la co-lec-ti-vi-dad. » (p 260)

suarez.jpgHormis quelques scènes amusantes au début, j’ai trouvé que le roman devenait plutôt déprimant. La narratrice passe ses nuits à boire, dort le jour pour vivre la nuit, vit entourée de saoulards et de drogués, de relations à moitié avortées, tandis que se profile une crise économique, politique… Cependant, le récit reste de façon surprenante assez léger et, au final, je dirais que ce voyage est à renouveler.

Le site de Karla Suarez en plusieurs langues.

Lu dans le cadre du mois cubain de Lamalie et Cryssilda.

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263 p

Karla Suarez, Silencios, 1999

(En français Tropique des silences)

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Commentaires

Très bon commentaire pour ce livre qui pour moi a été un découverte géniale. Je l’ai lu en 2004 et j’ai vraiment A-DO-RE ce personnage avec cette liberté intérieure incroyable 🙂 Du coup, Karla Suarez est ma chouchoute à vie! J’avais bien aimé aussi ce côté où Cuba et la société cubaine étaient évoqués sans être du tout clairement explicite. J’aime les livres où l’on apprend plein de choses sur le pays mais parfois s’en détacher fait bien plaisir aussi. Surtout que le lien, bien sûr, on le fait nous-même!

Écrit par : Lamalie | 09/06/2011

je suis nullissime en matière de littérature sud américaine, j’ai très peu lu, j’engrange un peu chez Ys et ici quelques titres , je ne sais pas si je retiendrai celui là ton avis étant un peu mitigé

Écrit par : Dominique | 10/06/2011

@ Lamalie : oui c’est vraiment cette liberte qui fascine tout au long du récit…. une liberté vertigineuse, qui devient presque angoissante… tu as lu d’autres romans de Suarez ?

@ Dominique : oh je n’ai pas le sentiment d’avoir un avis mitigé… dans le sens où malgré le caractère sombre de l’histoire ce récit est très intéressant. Vraiment je le recommanderais, d’autant plus qu’il me donne envie de découvrir d’autres auteurs cubains.

Écrit par : Lou | 10/06/2011

Je ne suis pas une fan de Karla… je la laisse à Lamalie 🙂
J’ai lu ce livre et le suivant, mais je n’arrive pas à me passionner pour ses romans….

Écrit par : Cryssilda | 11/06/2011

Oui, j’ai lu aussi La Voyageuse. Son prochain roman, publié pour l’instant au Brésil est La Havane année zéro, va être publié bientôt chez Métailié. Sinon elle a écrit plusieurs nouvelles publiées par-ci par là, pas forcément traduites. Si j’y arrive je vais faire un petit billet sur deux nouvelles d’elle que j’ai 🙂

Écrit par : Lamalie | 12/06/2011

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