Mary Shelley, Mes Rêves n’appartiennent qu’à moi

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De Mary Shelley, on ne connait souvent que Frankenstein, son roman le plus célèbre. Et encore. Dans l’imaginaire collectif, Frankenstein a beaucoup à voir avec cette créature interprétée par Boris Karloff. Film culte qui cependant fait oublier les subtilités du texte d’origine, où le Docteur Frankenstein crée une créature qui jamais n’aura de nom et sera rejetée par celui qui lui a donné la vie. Enfantement triste où l’abandon, la solitude et le poids du regard des autres transforment une créature pleine d’humanité en un monstre assoiffé de vengeance. Loin d’une banale histoire d’épouvante, Frankenstein est un texte d’une grande modernité, qui questionne l’humain mais aussi l’aspect éthique de la science, à une époque où ses progrès sont fulgurants.

La mère de ce texte incroyable est une très jeune femme, Mary Shelley, qui fait d’ailleurs le choix d’une publication anonyme dans un premier temps. Mais Mary Shelley a un parcours personnel extraordinaire. Fille des immenses William Godwin et Mary Wollstonecraft (décédée peu après sa naissance mais d’une grande influence posthume), elle est imprégnée de leurs pensées progressistes, parmi lesquelles leurs idées avancées sur le mariage. A l’adolescence, Mary tombe amoureuse du poète Percy Shelley – qui lui aurait déclaré sa flamme sur la tombe de Mary Wollstonecraft. Percy est marié mais le jeune couple se met en ménage, accompagné de la demi-sœur de Mary. S’ensuit une période dans la plus pure tradition romantique, où les amants, brillants, clament haut et fort leur recherche du bonheur, leur amour inconditionnel et leur volonté d’une union libre, tout en vivant dans la pauvreté, en étant confrontés à la mort de leurs enfants en bas âge, au suicide de la femme de Shelley et au regard peu généreux de la société. Mary est également épuisée par les grossesses successives. C’est une période par ailleurs faite de voyages, en particulier en Italie, avec d’autres figures majeures de la littérature anglaise, dont le sulfureux Lord Byron.

Cette période de joies et de grandes tristesses idéalisée par la suite prend brutalement fin à la mort de Percy Shelley, décédé dans un accident de bateau en Italie. A partir de là, Mary vivra plus en retrait de la société (malgré quelques voyages), refusera plusieurs propositions de mariage et se consacrera à l’écriture tout en rendant hommage à la mémoire de son poète.

Dans Mes rêves n’appartiennent qu’à moi, les éditions L’Orma ont choisi avec beaucoup d’à propos des textes couvrant ces trois périodes charnières. Des textes de toute beauté, inédits en France, à découvrir absolument, que vous soyez amoureux de littérature anglaise ou plus largement, amateurs de belles lettres.

Le recueil s’ouvre avec plusieurs lettres couvrant la période qui suit la fugue et la mise en ménage. Des lettres à Shelley dans lesquelles Mary se dit déçue du rejet d’une amie proche, qu’elle croyait plus ouverte d’esprit. Où elle regrette leur séparation momentanée et l’échec de Percy à leur trouver un logement bien à eux. Puis des lettres à leur ami Hogg, qui lui a déclaré sa flamme – Mary se dit prête à répondre à sa passion et confiante en sa capacité à l’aimer ultérieurement comme il se doit. Suivent des lettres écrites en Italie, avec des anecdotes rocambolesques. De ces premières missives au ton plutôt léger, on perçoit l’envie de vivre intensément et d’expérimenter, mais aussi un sens de l’observation aigu.

A cette série de missives succède une longue et terrible lettre aux allures de nouvelles, dans laquelle Mary raconte la mort de Percy Shelley. Avec un talent narratif incontestable dans ce moment de profonde affliction, Mary relate les jours précédents à la manière d’un conte gothique où prémonitions et apparitions se succèdent. Puis le départ de Shelley début juillet, son retour tant attendu, suivi d’investigations et de déplacements pour tenter de le retrouver. Mary est alors convalescente à la suite d’une fausse couche qui a eu lieu à la mi-juin. Le récit s’achève avec la découverte du corps de Shelley et de son ami. « Le silence s’était fait, on les avait retrouvés sur le rivage ».

Deux ans plus tard elle écrit : « Ce que j’ai connu de joie comme de souffrance en Italie fait paraître mes plaisirs et mes contrariétés d’aujourd’hui comme un théâtre d’ombres » .

Le recueil s’achève sur un registre plus léger, avec un voyage en France et des remarques sur la mode vestimentaire, puis le retour à Londres et la découverte de l’immense succès de Frankenstein et son adaptation au théâtre. Mary continue à faire des rencontres marquantes, parmi lesquelles Prosper Mérimée (qui se déclare lui aussi) et La Fayette.

Ce recueil de lettres a fait l’objet de choix judicieux. Tour à tour, elles donnent à voir une facette différente de Mary Shelley, dont le style magnifique (bravo ici à l’excellente traductrice), la grande intelligence et l’ouverture d’esprit m’ont séduite et touchée. Ce titre me donne assurément envie de relire Mary Shelley et de sortir de ma bibliothèque la biographie qui m’attend.

Ce n’est pas seulement l’écrivaine que l’on apprend à mieux connaître : c’est une période vibrante que l’on perçoit à travers le regard de l’une de ses plus fascinantes protagonistes.

Concernant la collection elle-même, elle ne peut que nous séduire. Au contenu épistolaire s’ajoute un format de plis à collectionner ou prêts à envoyer. Une très jolie idée de cadeau surprise, à partager avec ses amis lecteurs.

Un contenu passionnant, un format superbe… comment ne pas être tenté.e ?

Voici d’autres chroniques en rapport avec Mary Shelley (un recueil qui ne m’avait pas totalement emballée mais que je serais tentée de relire, deux beaux albums jeunesse) :

Mary Shelley, L’Endeuillée et autres récits

Linda Bailey & Julia Sarda, Mary and Frankenstein

Lynn Fulton & Felicita Sala, She Made a Monster

62 p

Mary Shelley, Mes Rêves n’appartiennent qu’à moi, 2020 (lettres de 1814-1830)

5 thoughts on “Mary Shelley, Mes Rêves n’appartiennent qu’à moi

  1. Oui, je vois passer cette collection…elle est tres attirante…et lala avec Mary Shelley je vois que cela reste une reussite….;)

  2. J’avais raté ce billet. Cette collection m’attire, mais j’ai peur d’avoir un goût de trop peu. Je n’aime pas les textes extraits d’intégrales, je ne suis plus où j’en suis ensuite (c’est une catastrophe avec Woolf par exemple, dont il existe tant d’éditions partielles).

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