Julien Hervieux, Au Service de sa Majesté la Mort, T1, L’Ordre des Revenants

Londres, 1887. Venue de Southampton pour réaliser ses rêves de voyages et d’écriture, Elizabeth a rapidement déchanté en découvrant le peu d’opportunités ouvertes à une jeune femme au sein de la société victorienne. Ne pouvant signer ses propres articles, elle vend ses écrits à un journaliste célèbre devenu incapable d’écrire en raison de son addiction à l’opium – William Ward. Elizabeth s’est donc faite à sa routine, vivant simplement et profitant de son logement douillet et de la comfortable petite bibliothèque qu’elle y a installée. Mais lorsqu’elle exhorte William Ward à se ressaisir au nom de celui qu’il était autrefois, Elizabeth déclenche sans le savoir une série d’évènements qui les conduira tous deux à la mort. Ward se remet à enquêter et, alors qu’elle le cherche, la jeune femme assiste à son assassinat sommaire… avant d’être elle-même pourchassée et abattue.

La voilà qui observe son corps en flottant dans les airs, avant d’avoir une série d’hallucinations et de se retrouver sur les bords du Styx, observée de près par un inquiétant personnage, puis d’assister à son enterrement… et de finir dans son propre cercueil. C’est là que commence la deuxième vie d’Elizabeth, choisie par Charon pour rejoindre l’ordre des Revenants, dont le rôle est de servir sa Majesté la Mort. Ainsi, à sa naissance, chacun est destiné à mourir à une date particulière, d’une cause pré-déterminée. Certains cherchent à repousser les limites de leur vie, par des rites sataniques, païens, vaudous ou encore, grâce au vampirisme. L’ordre des Revenants a pour mission de les renvoyer dans l’au-delà.

Elizabeth rejoint donc la cellule londonienne, menée par Iseult, une adolescente de 800 ans, et composée du docteur Duncan Turner (qui l’a tirée de la tombe), de Beatrix, femme aux lèvres bleues, et de Hank, assigné à une vie de servitude car jugé totalement incompétent par Iseult.

Dans ce premier volet, nous découvrons l’ordre des Revenants, quelques grandes dates de son histoire (il aurait, par exemple, été mêlé à la tentative d’attentat au Parlement en 1605), ses principes et missions. Nous assistons au changement brutal de ‘vie’ d’Elizabeth et la voyons assez rapidement s’approprier sa nouvelle identité. Elle décide de devenir romancière, tout en menant à bien ses premières missions et en s’entraînant au lancer de couteaux. Elle découvre aussi que ses sens sont nettement plus développés désormais. Son initiation à l’ordre est pour le moins brutale, Duncan l’entraînant dès le premier soir chez quatre personnages auprès desquels elle doit jouer la nièce mourante du docteur. Elle assiste ainsi au décès brutal de ceux qui jusqu’ici défiaient la mort par des rites anciens. Elizabeth doit aussi renoncer à retrouver ses parents et ses assassins. Si elle peut interagir avec les humains, elle doit cacher sa nouvelle nature et changer d’identité à intervalles réguliers pour ne pas attirer l’attention sur sa jeunesse éternelle.

J’ai eu un véritable coup de coeur pour ce roman qui ne ressemble à rien de ce que j’ai pu lire jusqu’ici – y compris parmi les nombreux récits victoriens et néo-victoriens que j’affectionne particulièrement. Ce service des revenants a l’air plausible dans le sens où la narration apporte des réponses aux doutes que l’on pourrait avoir : tout le monde est-il amené à se réveiller dans sa tombe ? Comment les défunts en question sont retrouvés ? Comment imaginer un défunt retrouver d’un coup toute sa souplesse ? Etc. Les clins d’oeil à l’Histoire anglaise ajoutent un peu de contexte et de profondeur au récit, tandis que les personnages de l’ordre des Revenants sont tous suffisamment différents les uns des autres pour créer une dynamique efficace. Pas de manichéisme non plus. On pourrait questionner les motifs de l’ordre. Est-il juste par exemple de condamner un explorateur sympathique bénéficiant des rites vaudous sans même avoir conscience de défier la mort ? Là n’est pas la question, et l’ordre doit exécuter les missions qui lui sont confiées, au risque sinon de retourner immédiatement de l’autre de côté du Styx. L’originalité du sujet permet d’espérer de nombreux développements, peut-être également une évolution dans les époques, où des récits d’évènements marquants ayant concerné des siècles précédents. L’histoire-même des autres membres de l’ordre ouvre également la porte à d’autres horizons. J’espère que l’auteur continuera à laisser libre cours à son imagination pour nous régaler avec les prochains tomes. Le second sort ce mois-ci et j’ai hâte de le découvrir !

Et j’ai choisi ce roman pour le rendez-vous dans un cimetière de notre British Mysteries Month (programme par ici). En effet, c’est dans un cimetière que l’âme d’Elizabeth finit sa course et retrouve son cercueil. Ce sera aussi dans un cimetière qu’a lieu l’épilogue.

Le crépuscule tomba doucement. Elizabeth était là, juste au-dessus de sa tombe. Etait-cela, la mort ? Devait-on accompagner le corps qui nous avait accueilli toute une vie jusqu’à ce qu’il ait entièrement disparu ? Elizabeth, de désespoir, se laissa sombrer dans une torpeur résignée. Que le temps passe, pourvu que son supplice s’arrête.

La nuit régnait depuis longtemps lorsqu’elle vit quelque chose bouger. A l’entrée du cimetière se mouvait la silhouette d’un homme à l’ample pardessus, avec une lanterne à la main. Il passa la grille avant de remonter les allées, s’arrêtant devant les pierres tombales, les unes après les autres.

Il avançait doucement, déchiffrant ici ou là les inscriptions à la lueur de sa lampe, et parut même éclater de rire devant l’entrée d’un caveau. Elizabeth suivit sa progression jusqu’à le voir arriver juste au-dessous d’elle, devant ce qu’elle était obligée de reconnaître comme sa tombe. Et c’est là que se produisit un évènement étonnant : elle eut la sensation qu’elle flottait de moins en moins, que le sol l’attirait, comme si la gravité faisait de nouveau effet sur elle. 

L’homme s’accroupit devant sa tombe, approcha sa lourde lanterne de la croix de bois alors qu’Elizabeth avait quasiment les pieds au sol. A la lueur vacillante de sa lumière, l’inconnu déchiffra l’inscription en murmurant, alors même qu’Elizabeth s’entendait prononcer d’un souffle faible : 

Elizabeth Black

1867-1887

(p 45-46)

 

 

 

 

 

310 p

Julien Hervieux, Au Service de sa Majesté la Mort, T1, L’Ordre des Revenants, 2018

6 thoughts on “Julien Hervieux, Au Service de sa Majesté la Mort, T1, L’Ordre des Revenants

  1. Un coup de cœur… il faut que je note, donc…
    Je trouve que tu me tentes trop avec tes derniers billets jeunesse !

    1. Ah ah c’est difficile de lire les blogs, trop de tentations ;o) Il est vraiment très sympa, j’espère que tu l’apprécieras si tu décides de le lire !

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