Willa Cather, Mon ennemi mortel

Il y a deux ans je relisais Le Pont d’Alexander et tombais de nouveau sous le charme de ce roman d’une grande modernité, une tragédie dont le héros fait naître en nous des sentiments contradictoires. Brillant et doux d’un côté, lâche et infidèle de l’autre, Alexander court sans le savoir à sa perte, dans un univers de conquête et d’acier propres à la modernisation industrielle accélérée du début du XXe.

C’est avec curiosité que j’ai ouvert Mon ennemi mortel, novella qui nous plonge cette fois-ci dans l’univers de Myra Henshawe. Racontée par la nièce de l’une de ses amies d’enfance, son histoire s’articule en deux parties : l’apogée et la chute.

Myra a été élevée dans une petite ville du Missouri par un oncle richissime qui la déshérite lorsqu’elle s’enfuit pour épouser le beau Oswald Henshawe. Celui-ci fait carrière à New York pour assurer à son épouse un train de vie satisfaisant. Nous la retrouvons des années plus tard, de passage dans sa ville natale puis à New York où le couple vit dans l’opulence… pas suffisamment au goût de Myra qui, parce qu’elle est jalouse de croiser une femme conduite dans sa propre voiture, remarque « On a beau dire, (…), mais c’est bien déplaisant d’être pauvre » (p 43-44). Comme elle le faisait dans sa jeunesse, Myra règne autour d’elle, fréquente les cercles « argentés » par nécessité et les artistes par goût, conseille et ordonne avec une sollicitude et un intérêt frisant la tyrannie« Je compris que sa prime extravagance était que tant de gens lui importassent, et de si intense manière » (p 45). C’est un personnage fascinant, tantôt charmant, tantôt cruel, dont il est difficile de saisir l’humeur à venir.

Mais dix ans plus tard, après un revers de fortune, Myra et Oswald vivent dans la pauvreté sur la côte Ouest. Myra est malade, alitée. Son époux travaille et s’impose un rythme éreintant pour la choyer au mieux. Mais c’est l’heure des pensées amères et des regrets« L’argent protège, comme un grand manteau; il permet de s’offrir la tranquillité, une certaine dignité » (p 68).

Un texte ciselé nous donnant à voir un personnage narcissique, vivant une histoire d’amour (trop ?) entière. Outre le portrait finement exécuté, on goûte la dimension historique, qui constitue là encore une toile de fond vibrante.

Une première participation au Mois Américain.

101 p

Willa Cather, Mon ennemi mortel, 1927

9 thoughts on “Willa Cather, Mon ennemi mortel

    1. @ Rachel : c’est bien possible ! C’est son conjoint qui est très touchant, dévoué jusqu’à la fin. On comprend aussi qu’il a mené sa carrière pour faire plaisir à sa femme alors qu’il aurait préféré vivre d’autres choses.

  1. Quel personnage désagréable cette femme !
    Le mieux c’est de gagner soi-même son argent, ça rend plus consciente de la réalité 🙂 Mais c’était une autre époque, dont je ne rêve pas …

    1. Ceci dit à cette époque seules les femmes des classes aisées étaient oisives. Les classes pauvres ou intermédiaires travaillaient, et même parfois la petite bourgeoisie. Je n’ai pas fait un portrait flatteur de Myra et elle est moins désagréable qu’il n’y paraît, même si beaucoup de ses traits de caractère auraient vite fait de m’exaspérer dans la vraie vie !

  2. Je n’avais pas trop trop accroché à mes 2 précédentes lectures de cette auteure… Snif. Dis donc, il y a beaucoup de changement de design par ici : c’est chouette, beaucoup plus moderne et clair ! 🙂 j’ai envie de changement aussi mais j’ai déjà du mal à boucler mon challenge américain alors… 🙂 à très vite pour les fantômes d’Halloween 2018 ! 🙂

    1. Qu’avais-tu lu de cet écrivain ? Quelques titres me tentent et j’ai « La Nièce de Flaubert » dans la ma PAL. J’avais vraiment bien apprécié « Le Pont d’Alexander » (relu pour faire un billet).
      Eh oui en septembre le blog a quasiment sommeillé pour se refaire une beauté. Justement j’ai prévu de faire un billet pour annoncer ce grand changement dans la vie du blog :o)

  3. J’ai « Lucy Gayheart » depuis des années, mais je ne l’ai toujours pas lu. En tout cas, Willa Cather a l’air d’écrire des romans particulièrement gais…

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