Wilkie Collins, Pauvre Miss Finch

collins_pauvre miss finch.pngWilkie Collins fait de plus en plus partie pour moi de ces valeurs sûres, de ces refuges vers lesquels je peux toujours me tourner lorsque je suis à la recherche d’un bon récit victorien. Cela faisait quelques mois que je ne l’avais pas lu et c’est avec beaucoup d’impatience que j’ai ouvert Pauvre Miss Finch pendant mes vacances.

La narratrice, Mme Pratolungo, nous fait le récit de son arrivée en Angleterre pour devenir la gouvernante de Lucilla Finch, une jeune aveugle, à laquelle elle s’attache dès son arrivée. A peine sur place, la narratrice assiste à la rencontre entre la belle Miss Finch (qui a fort mauvais caractère ceci dit !) et Oscar Dubourg. Ce beau jeune homme semble bien mystérieux, voire même fort suspect aux yeux de Mme Pratolungo, mais il s’avère qu’il est en réalité fort sympathique. Les deux jeunes gens tombent évidemment amoureux. Le début de cette histoire semblait m’entraîner vers une tout autre piste (serait-ce mes lectures de Mary Elizabeth Braddon qui me donnent des idées tordues ?) ; j’imaginais un sinistre complot visant la pauvre Miss Finch… complot il y aura, mais d’un autre genre !

Si vous détestez savoir quoi que ce soit à l’avance d’un roman, passez votre chemin, ne lisez surtout pas le résumé de l’éditeur et jetez-vous les yeux fermés sur ce délicieux morceau de littérature anglaise hautement romanesque. Si comme moi, la curiosité l’emporte, vous pouvez continuer (ce qui me fera d’ailleurs très plaisir car je me suis régalée avec ce livre et entends bien le faire savoir à toutes les âmes innocentes qui auraient le malheur de passer par ici).

Arrive Nugent, le frère jumeau d’Oscar. Il va proposer de présenter Lucilla à un docteur susceptible de lui rendre la vue… cruel dilemme! Car Oscar, sujet à des crises d’épilepsie depuis peu, a été contraint d’accepter un traitement au nitrate d’argent, qui l’a défiguré, lui laissant la peau d’une affreuse couleur bleuâtre.

Je m’attendais à un roman policier mais il s’agit davantage d’un bon roman feuilleton populaire à la victorienne, avec ses péripéties, ses concours de circonstance fâcheux (savamment orchestrés par un auteur qui nous rappelle parfois que si l’on croyait le prendre en défaut, c’est parce que nous n’avions pas pensé à ceci ou oublié cela, quitte à nous renvoyer à plusieurs reprises à un chapitre précédent pour nous raffraîchir la mémoire). Je me suis tout simplement régalée et me réjouis de constater la grande diversité dont a fait preuve Wilkie Collins dans sa vie d’auteur, ce qui me promet encore bien des heures de plaisir.

Outre la trame bien menée qui nous donne une folle envie de tourner la page afin de savoir ce qu’il va advenir de cette pauvre Lucilla (à moment donné, si je n’avais pas eu foi en ce cher Wilkie qui n’aime pas abandonner ses belles héroïnes, j’aurais bien cru l’affaire très mal engagée), j’ai savouré les nombreux traits d’humour qui pimentent le récit. Les personnages secondaires drôles ou grostesques sont délicieusement croqués : le père de Lucilla, pasteur, est aussi maigre et ridicule que sa voix est profonde et magnifique… malheureusement il adore s’écouter et acculer les membres de sa famille dans une pièce fermée pour pouvoir discourir sans fin ; la belle-mère de Lucilla est constamment débraillée, court toujours après une demi-heure fatalement perdue plus tôt dans la journée, a pour compagnons de chaque instant un bébé, un roman et un mouchoir sans cesse égaré ; ou encore Jicks, une des filles de la famille, petite bohémienne qui s’échappe de la maison à longueur de journée et suit son petit bonhomme de chemin, faisant bien sourire ceux qui la croisent en route ; la narratrice n’est pas en reste, en révolutionnaire républicaine qu’elle est (elle conclut son récit par ces mots : « Vive la République ! » et perd tout sens des bonnes manières et de la retenue lorsqu’il s’agit pour elle de défendre sa cause) ; et bien sûr le docteur allemand chargé de soigner les yeux de Lucilla, exubérant, toujours à s’exprimer dans un jargon anglo-germanique à mourir de rire. Même si Lucilla est parfois un brin agaçante et incarne la jeune fille anglaise de bonne famille pour constituer une héroïne – un peu trop – comme il se doit, elle est nettement moins inconsistante que Laura, l’héroïne de La Dame en Blanc (que j’avais eu très envie de remettre personnellement à ses tortionnaires)… et tous les autres personnages plus nombrilistes les uns que les autres suffisent plus que largement à obtenir un récit haut en couleur !

Malgré sa légèreté, ce roman fait également triompher certaines valeurs morales et s’interroge sur le bonheur. Suffit-il à Lucilla d’avoir de bons yeux pour être heureuse ? Et la fin fait écho à Profondeurs glacées (la pièce puis le court roman de Wilkie Collins), avec le destin tragique de l’un des personnages… c’est que ce cher Wilkie n’est pas toujours tendre avec les traîtres !

Un vrai régal que ce roman, j’ai hâte d’ouvrir mon prochain Wilkie Collins… j’envisage très sérieusement une cure en fin d’année…

Merci beaucoup à Bénédicte des éditions Libretto grâce à qui j’ai passé un excellent moment !

Le billet de Cryssilda, évidemment enthousiaste elle aussi, et celui de Denis qui est plus réservé.

Et par ici, d’autres idées de lecture du même auteur : 

4,5coeurs.jpg

 


540 p

William Wilkie Collins, Pauvre Miss Finch, 1871 

British Mysteries01.jpgvictorien-2013.png

Commentaires

bin sa pierre de lune m’avait laisse assez froide…mais bon pourquoi pas essaye celui-ci?….j’ai passe mon chemin…;)

Écrit par : rachel | 07/09/2013

j’ai lu Pierre de lune et La dame en blanc , j’avais bien aimé aussi.

Écrit par : éline | 08/09/2013

Tiens, je viens de terminer Seule contre la loi, qui devrait aussi te plaire!!!

Écrit par : keisha | 08/09/2013

Très bel article! Wilkie est une valeur sûre pour moi aussi (j’ai lu 3 textes de lui : L’hôtel hanté, La dame en blanc et Seule contre la loi). Et dans ma bibliothèque, Pierre de lune et Basil m’attendent.
C’est un magnifique conteur. C’est très difficile de lâcher ses romans une fois commencé.

Écrit par : Romanza | 08/09/2013

et dire que j’ai été content de lire ce livre mais sans « flamme »!!!

Écrit par : denis | 08/09/2013

@ Rachel : j’ai moins aimé « La Dame en blanc » par exemple, c’était peut-être lié à la période de lecture mais malgré tout plein d’aspects positifs j’avais trouvé quelques longueurs. Celui-là est très drôle, je suis sûre que tu adorerais tous ces personnages loufoques, dont Mme Protalungo qui a voulu militer en faveur de la République en Amérique latine et qui régulièrement part à la rescousse de son pauvre papa, qui a une fâcheuse tendance à tomber amoureux de femmes dix fois trop jeunes pour lui !

@ Eline : on est ici dans un genre différent, vraiment moins policier… mais que d’humour ! Je te le recommande !

@ Keisha : j’en suis certaine :o) Je vais lire ton billet !!

@ Romanza : ah j’ai adoré « L’Hôtel hanté » que j’avais même lu deux fois. J’ai aussi « Basil » dans ma PAL, est-ce qu’une lecture commune te tenterait ? (j’ai aussi « Pierre de Lune » mais ce n’est pas le Wilkie qui me tente le plus)

Écrit par : Lou | 08/09/2013

@ Denis : j’étais un peu déçue de voir que tu étais moins enthousiaste, même si je comprends qu’on puisse trouver l’histoire un peu longue… mais j’ai tellement aimé cet humour, ces personnages que ça a été un excellent moment de lecture pour moi !

Écrit par : Lou | 08/09/2013

Voilà un auteur que je ne connaissais pas , et pourtant j’en connais beaucoup. Je vais donc essayer, ta chronique me donne envie.
Oui, Downton Abbey, c’est la saison 3 , et cette première soirée était juste géniale! On se demande en effet comment tout cela va finir. Ce qui est sûr, c’est que ça sera très dur .. :o)

Écrit par : Malyss | 08/09/2013

@ Malyss : eh oui, c’est ça qui est chouette aussi, on a beau avoir lu tout plein d’auteurs, on en découvre toujours de nouveaux, et heureusement :o) Je te recommande vraiment Wilkie Collins, tu peux aussi essayer avec des textes plus courts pour commencer éventuellement. En tout cas il ne manque pas d’humour !
Quant à la saison 3, il faut prévoir les mouchoirs :o( J’ai beaucoup aimé cette saison malgré certains choix de scénario que je n’ai pas bien compris (notamment concernant le personnel, l’attitude de Lord Grantham par rapport à certains des employés…)… et un peu trop d’événements tragiques !

Écrit par : Lou | 08/09/2013

okidou je le note…je ne desespere pas…en tout cas pour la dame en blanc, cela sera definitivement non, je n’ai pas entendu de si bonnes critiques….;)

Écrit par : rachel | 08/09/2013

J’ai quelques Wilkie Collins mais pas ce titre pourtant il semble très bien, je le note !

Écrit par : Coccinelle | 09/09/2013

@ Rachel : oui « la dame en blanc » suscite des avis très partagés. J’avais bien aimé mais souffert des longueurs. Peut-être qu’un texte plus humoristique comme celui-ci ou « Une belle canaille » te plairait davantage.

@ Coccinelle : il est sorti très récemment :o) J’ai encore pas mal de Wilkie Collins dans ma PAL, j’ai hâte de les découvrir !

Écrit par : Lou | 10/09/2013

J’avais bien aimé The Moonstone, et pourtant, j’étais partie très sceptique…Donc je note !

Écrit par : Emily | 10/09/2013

@ Emily : c’est un genre différent, c’est plus éloigné d’un policier mais vraiment je me suis régalée… en même temps, j’adore Wilkie Collins !

Écrit par : Lou | 10/09/2013

c’est drole comme pierre de lune….certains livres de Collins doit plaire aux uns mais pas aux autres mais ce ne sont pas les memes (j’ai l’impression de parler comme Bilbo lala)….;)

Écrit par : rachel | 11/09/2013

C’est certain que Wilkie fait partie de nos valeurs sûres, même si parfois il exagère dans les rebondissements et dans la longueur du feuilleton ! J’ai hâte de lire celui-ci en tout cas. Et c’est grâce aux éditions Phébus que j’ai découvert notre Wilkie.

Écrit par : Titine | 11/09/2013

@ Rachel : ce n’est pas faux, ses livres sont si divers qu’il n’est pas étonnant d’en trouver pour tous les goûts. « Pierre de Lune » a la réputation d’être son « grand » livre et c’est celui qui est cité le plus souvent comme l’un des romans fondateurs du roman policier mais j’avoue que j’aime beaucoup d’autres types de textes de lui.

@ Titine : mais on l’aime aussi pour ses rebondissements rocambolesques :o) Tu veux que je te le prête ? Oui moi aussi je dois beaucoup de découvertes de Wilkie aux éditions Phébus. Je l’avais découvert par hasard en librairie quand je vivais à Madrid mais ensuite c’est Cryssilda qui m’en a reparlé et depuis j’ai souvent craqué sur ses romans chez Phébus.

Écrit par : Lou | 12/09/2013

Comme toi, je n’ai pas trop aimé « La Dame en blanc », mais pour celui-ci ton enthousiasme est irrésistible. J’en ai juste quatre ou cinq autres à lire avant…

Écrit par : Lilly | 12/09/2013

oui bin euh j’ai pas trop aime pierre de lune…zut flute…mais bon ce pauvre Miss Finch me tente…;)

Écrit par : rachel | 12/09/2013

@ Lilly : ah ah, j’en ai aussi 4 ou 5 dans ma PAL :o) J’avais acheté d’un coup plusieurs Wilkie chez Phébus dont certains d’occasion car épuisés à l’époque (et je ne suis pas mécontente car je préfère largement les anciennes couvertures…).

@ Rachel : j’ai déjà commencé « Pierre de Lune » mais le tout début ne me donnait pas envie, du coup je repousse depuis bien longtemps sa lecture !

Écrit par : Lou | 13/09/2013

oups, ce n’est pas moi qui vais te motiver….oups….

Écrit par : rachel | 13/09/2013

J’ai La dame en blanc dans ma PAL depuis des années, il va falloir que je me décide à le lire !

Écrit par : Bianca | 16/09/2013

Ce titre grâce à toi est au-dessus de ma PAL, mais je traverse une période de Virginiawoolfite aiguë en ce moment et une certaine distance à l’égard de tout ce qui est victorien. ;o)

Écrit par : Cleanthe | 19/09/2013

@ Rachel : oh je finirai par le lire mais à vrai dire je suis plus tentée par d’autres Wilkies dans ma PAL… et ils sont au moins 4 ou 5 à attendre dont 2 énormes pavés !

@ Bianca : je lui avais trouvé des longueurs, en revanche j’ai adoré les « méchants », surtout le comte, ainsi que la soeur de l’héroïne, au caractère bien trempé.

@ Cléanthe : oh je n’ai pas encore beaucoup avancé dans mes lectures de Woolf malgré le challenge Virginia Woolf… il va falloir que je me rattrape après le mois d’octobre et Halloween ! Mais comment peut-on prendre de la distance à l’égard des Victoriens ? :o) (au passage lundi dernier je suis tombée dans la librairie des presses de Cambridge sur un livre à peu près intitulé « Virginia Woolf and the Victorians », si cela t’intéresse… ; j’ai résisté pour ma part comme j’avais déjà jeté mon dévolu sur deux ouvrages à près de 20 livres chacun, mais il me tentait particulièrement).

Écrit par : Lou | 21/09/2013

effectivement….il y a du Wilkie qui t’attend…mais il en ecrit combien didonc?:..

Écrit par : rachel | 21/09/2013

Je connais ce livre. L’auteur essaie d’y défendre, une thèse un peu paradoxale, mais intéressante sur le fond: que l’inspiration de Virginia Woolf serait moins moderniste que post-victorienne. Un comble, pour une auteure qui, avec Proust et Joyce, est au commencement de la modernité littéraire. C’est un peu comme si on disait que Braque et Picasso n’étaient pas les peintres si modernes qu’on avait cru, mais des sortes de post-impressionistes, et que c’est comme cela qu’il fallait comprendre l’invention du cubisme (je crois d’ailleurs que ce genre d’études existe). Le lien de Woolf avec les auteurs victoriens est bien vu. Elle-même dans ses essais critiques ne cesse d’ailleurs de dire son bonheur de lectrice devant des auteurs tels que les sœurs Brontë, Dickens ou George Eliot. Et si elle critiques ses aînés, ce sont plus les romanciers edwardiens, auxquels elle reproche de faire du neuf avec de vieilles recettes, que les victoriens eux-mêmes. Mais c’est oublier un peu vite aussi que, comme écrivain, Virginia Woolf ne cessait de répéter aussi que la société ayant changé, il fallait que les écrivains s’engagent à inventer d’autres formes narratives, afin de dire le mouvement, la complexité, les tensions de l’âme contemporaine et remplacer les « figures » des romans victoriens (des personnages auxquels il arrive des aventures) par les « consciences » du roman moderne (le roman devenant alors la voix de l’intériorité des personnages, travaillés d’impressions et de tensions diverses et plus ou moins diffuses)… Bon, j’arrête – décidément, tu vois, je traverse une période de « virginiawoolfite » aiguë!

Écrit par : Cleanthe | 22/09/2013

@ Rachel : je ne sais pas exactement mais il y a en plus des romans pas mal de nouvelles, je suis aussi tombée par hasard sur un roman écrit avec 3 auteurs victoriens (lu mais jamais chroniqué, je suis bonne pour le relire), il y a des écrits avec Dickens… mais bon tant mieux c’est un de mes écrivains favoris !

@ Cleanthe : c’est passionnant ! Effectivement il est difficile de dire que Woolf ne crée pas une véritable rupture dans la littérature britannique, d’autant plus que son écriture est beaucoup plus audacieuse que celle de nombreux auteurs plus contemporains. Pour moi c’est vraiment une figure particulière du XXe, qui ne s’est pas contentée de raconter des histoires mais qui s’est vraiment interrogée sur l’art et la manière d’innover sur la forme également… quand on lit « Nuit et Jour » on sent vraiment l’influence de ses prédécesseurs, ce roman est celui d’un écrivain qui se cherche encore mais ensuite aussi bien le fond comme la forme sont très éloignés des auteurs classiques dont elle s’est nourrie.

Écrit par : Lou | 23/09/2013

ooh cela doit etre genial ce livre a 6 mains…..oh il en a ecrit pas mal alors…

Écrit par : rachel | 24/09/2013

Les commentaires sont fermés.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *