Ode à une poétesse

bobin_dame_blanche.jpgJ’ai récemment repéré sur le blog de Maggie un article consacré à La Dame blanche de Christian Bobin, un auteur que Malice et Lilly m’avaient déjà donné envie de lire. La Dame blanche est un hommage rendu à la poétesse américaine Emily Dickinson, que je connais encore trop peu. Le petit livre de Bobin se présentait comme une parfaite introduction à son oeuvre, une porte d’entrée en quelque sorte. J’ai donc profité de quelques achats de Noël pour me procurer de suite un exemplaire, dégusté dans les jours qui ont suivi.

J’attendais beaucoup de Bobin et de son écriture très justement réputée lumineuse. Malgré tout, je dois reconnaître que la première partie du livre m’a laissée perplexe, en raison des constantes allusions à la religion qui ont fini par me détourner de Dickinson et me peser. Cette omniprésence du divin et des références bibliques intervient presque à chaque page et s’exprime à travers le vocabulaire employé dans les descriptions (on parle d’enluminures, de Bible, de sanctifier), les personnages à l’allure divine (ainsi sur le père : « Le Dieu de l’Ancien Testament, un dimanche matin, à l’heure où la famille mise au garde-à-vous s’apprête à royalement défiler sur le chemin de l’église, s’aperçoit de l’absence d’Emily » (p20); sur Emily : « la colère des saintes » (p27)…), ou de transitions faites par des références à un passage tel que celui-ci « La légende dit que saint Christophe a fait traverser un fleuve au Christ enfant, en le portant sur ses épaules. » (p39) Cette autre biographie m’a permis de mesurer la pression qu’exerçaient les Calvinistes sur la côte est à l’époque, et de mieux saisir pourquoi la religion a joué un rôle important dans la vie de Dickinson : Amongst other reasons, Emily could never accept the doctrine of “original sin”. Despite remaining true to her own convictions, Emily was left with a sense of exclusion from the established religion, and these sentiments inform much of her poetry. There is frequent reference to “being shut out of heaven”. Je regrette ceci dit l’écrasante présence de ce thème dans le livre, au détriment d’autres aspects de la personnalité et de l’oeuvre d’Emily qui sont assez rapidement survolés.

Autre thème présent, la mort intervient dès les premières lignes avec la respiration hâchée d’Emily qui finit par s’éteindre. La maison est à deux pas du cimetière et les morts ne manquent pas tout au long de la vie d’Emily. La première scène, très visuelle, arrache le lecteur à son quotidien et permet une immersion immédiate dans ce livre à l’atmopshère particulière, très poétique. Le décès puis l’enterrement constituent deux scènes que l’on a aucune peine à se représenter. Des scènes au demeurant émouvantes qui paraissent curieusement réelles.

Peu avant six heures du matin, le 15 mai 1886, alors qu’éclatent au jardin les chants d’oiseaux rinçant le ciel rose et que les jasmins sanctifient l’air de leur parfum, le bruit qui depuis deux jours ruine toute pensée dans la maison Dickinson, un bruit de respiration besogneuse, entravée et vaillante – comme d’une scie sur une planche récalcitrante – ce bruit cesse : Emily vient de tourner brutalement son visage vers l’invisible soleil qui, depuis deux ans, consume son âme comme un papier d’Arménie. La mort remplit d’un coup toute la chambre. (p9)

De fait, il est impossible de demeurer insensible à l’écriture imagée et soignée de Christian Bobin, dont le récit s’apparente sans doute davantage à une ode à la poésie et à une forme de poésie romanesque qu’à une biographie, romancée ou non. On se délecte de certaines phrases d’une fraîcheur appaisante, aux sonorités parfaitement maîtrisées.

Cette naissance provoque un premier éloignement d’Emily, à peine perceptible -une buée sur un miroir. Ses lettres continuent de battre des ailes devant les fenêtres de Susan – des milliers de mots doués d’une vie impérieuse, suppliants et altiers. (p65)

Depuis l’enfance – jusqu’à son séjour chez Mary Lyon – Emily cueille les fleurs qui rêvent dans les bois et les collines autour d’Amherst. Elle les baptise de leur nom latin puis les couche sous une couverture de papier cristal, dans le dortoir de son herbier où dorment bientôt plus de quatre cents religieuses décolorées d’un autre monde : plusieurs fleurs sur chaque page encadrent la majesté d’une fleur centrale, leurs pétales à peine froissés et leurs tiges maintenues par de luisants papiers collés. En attente de l’époustouflant soleil de la résurrection, elles se souviennent des lumineux souffles de leur ancienne vie. (p76)

Ce travail de la langue, cette façon de jouer avec le sujet sont à mon sens un atout et une faiblesse : on savoure l’écriture de l’auteur, on aime sa prose finement ciselée mais on ressort de cette lecture avec une impression de flou et le sentiment d’avoir eu un aperçu très superficiel de la vie d’Emily Dickinson qui, on s’en rend compte finalement, est plus un prétexte qu’un objectif en soi pour le narrateur.

emily-dickinson.jpgLe portrait qui est fait de Dickinson reste proche de l’image que l’on a souvent d’une femme un peu étrange qui restait terrée dans sa maison, toute de blanc vêtue, adoptant un comportement jugé selon les uns et les autres excentrique, artistique ou théâtral. Quelques anecdotes ne manquent pas d’humour, comme ces retrouvailles avec une amie de longue date qui se font à distance, chacune restant à un étage différent et se contentant de bavarder un long moment sans jamais se revoir.

Dickinson s’inscrit dans la continuité, dans la lignée d’auteurs illustres. La petite Emily manque l’église pour lire Les Confessions d’un mangeur d’opium, se passionne pour Dickens et Emily Brontë. Lorsqu’elle écrit, un certain Rimbaud vient de partir en Orient. Tous deux disparaissent à leur façon. Emily dans sa chambre « interdite« … cette pièce où elle se sent si bien. Arthur « sous le soleil clouté d’Arabie« . « Les deux ascétiques amants de la beauté travaillent à se faire oublier« . (p107) J’ai évidemment beaucoup apprécié ce clin do’eil à la littérature, à ses filliations, aux liens qui se tissent entre les auteurs (parfois seulement dans notre imaginaire, comme ce rapprochement de Dickinson et de Rimbaud).

Le mieux reste toutefois d’écouter la musique d’Emily…

THE DAISY FOLLOWS SOFT THE SUN

  • HE daisy follows soft the sun,
    And when his golden walk is done,
    Sits shyly at his feet.
    He, waking, finds the flower near.
    « Wherefore, marauder, art thou here? »
    « Because, sir, love is sweet! »
    We are the flower, Thou the sun!
    Forgive us, if as days decline,
    We nearer steal to Thee,–
    Enamoured of the parting west,
    The peace, the flight, the amethyst,
    Night’s possibility!

Commentaires

assez ressemblante a Jane Austen…un peu non?…en tout cas que de femmes, il y avait « etrange »…

Écrit par : rachel | 03/01/2010

Bonne année à toi, avec beaucoup de joies, de lectures, de rencontres, d’échanges, et la réussite dans tous tes projets !

Écrit par : liliba | 03/01/2010

Bonne Année Lou ! Malgré tes réserves, je reste très tentée par ce livre ;o) Et je trouve le poème très mignon!

Écrit par : Lilly | 03/01/2010

Je ne connais pas du tout l’œuvre d’Emily Dickinson, mais je suis tentée depuis quelques jours par ce livre et ses « Poésies complètes » récemment traduites en français. Après avoir lu ce billet, j’attends moins du livre de Christian Bobin, bien que j’espère le lire bientôt. 😉

Écrit par : Poudre de riz | 03/01/2010

Sur ce livre tu as oublié les petits cœurs ????
Plus sérieusement, je pense que la religion quand elle est évoquée en littérature, il faut savoir l’accepter sinon on passe à côté de toute une littérature et de l’art aussi 😉 Enfin c’est comme cela que je le vois ! (c’est comme accepter, comprendre l’autre, la religion ne fait pas partie de ta vie, mais elle fait partie de la vie et l’on ne peut pas l’ignorer)
Je crois que Christian Bobin est un grand mystique comme l’était Emily Dickison. Ce livre n’est pas vraiment une biographie, mais plutôt un regard d’un auteur vers un autre auteur. Personnellement, j’ai un souvenir diffus de ce livre, mais je le reprendrai sûrement un de ces jours 😉

Écrit par : Alice | 04/01/2010

Je vais faire hurler dans la blogosphère mais ..je n’aime pas Christian Bobin, j’avais acheté ce livre pour E Dickinson et je suis ressortie déçue, mieux vaut se tourner vers son oeuvre complète qui vient de sortir ou vers sa correspondance chez Corti

Écrit par : Dominique | 04/01/2010

tous nos voeux pour 2010,Mary et Alain

Écrit par : alain | 04/01/2010

J’avoue avoir eu du mal avec la poésie de Dickinson, comme avec la plupart des poètes de cette époques. Dommage parce que j’ai l’impression de passer à côté de merveilles!

Écrit par : chiffonnette | 05/01/2010

Coucou !

Je me permets de te laisser un com pour te signaler que je prévois de fermer mon blog dans les prochaines semaines et que tu me trouveras maintenant sur un nouveau forum consacré à la littérature et à la culture britannique.
http://whoopsy-daisy.forumactif.net/forum.htm
(nous sommes plusieurs à avoir quitté The Inn at Lambton)

A bientôt j’espère !

Écrit par : Emjy | 05/01/2010

@ Rachel : je n’avais pas vraiment pensé au rapprochement, pour moi Jane Austen n’est pas si étrange ni mystique que ça. Après, je suis toujours fascinée par les femmes de caractère vivant à ces époques où on ne leur faisait pas facilement place, notamment en littérature.

@ Liliba : un grand merci à toi et bonne année aussi :o)

@ Lilly : c’est un livre superbement écrit et rien que pour ça je lirai sans doute à nouveau Bobin, malgré mes réserves ^^

@ Poudre de riz : j’ai vu ce livre en librairie, il est magnifique ! Il me tente aussi énormément.

@ Alice : oui ça m’arrive pour les cœurs ;o) En plus j’ai préparé le billet chez mes parents, je comptais le relire et l’aménager un peu chez moi où j’ai mon dossier petits cœurs mais avec mes soucis j’ai laissé le billet se publier tout seul. Si j’y pense tout à l’heure j’en rajoute, promis ! Quant à la religion, je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il ne faut pas s’arrêter à ça, même si ce n’est pas mon thème de prédilection (tout comme la guerre par exemple). Ce que je reproche à Bobin tient surtout au fait qu’il met cet aspect des choses aussi en avant, du moins davantage que d’autres aspects… j’avoue que son côté très mystique me rebute un peu. Malgré tout j’ai suffisamment goûté son écriture pour le relire.

@ Dominique : je serai moins catégorique que toi mais bon, je reste persuadée aussi que si on intéresse à ce livre pour Emily Dickinson, mieux vaut effectivement l’aborder plus directement.

@ Alain et Mary : merci à vous, et une très belle année 2010 à vous aussi !

@ Chiffonnette : je lis très peu de poésie et je ne me sens pas toujours à l’aise avec ce genre littéraire, mais j’aime les sonorités des poèmes de Dickinson et les images qu’elle fait naître dans ma tête.

@ Emjy : … mais j’adore ton blog !! snif !
Bon j’arrête de faire mon Caliméro :o) Merci de m’avoir laissé ce message (surtout en ce moment où je suis assez à l’ouest pour ne même pas avoir vu passer Books and the city). Je compte m’inscrire au nouveau forum, même si je ne suis plus du tout les forums dans lesquels je me rendais avant; celui-là a tout pour me plaire et je m’y sentirai sans doute plus à l’aise que dans the Inn at Lambton où je n’ai jamais posté et où j’arriverais un peu comme un cheveu sur la soupe après de belles années de service… A très bientôt alors !

Écrit par : Lou | 10/01/2010

Bonne année à toi aussi ! Quel article ! Je comprends pourquoi on me reproche de faire des billets trop courts ! En tout cas je suis contente de le voir dans ta liste des livres primés d’un Lou… C’est vrai qu’on dirait de la poésie avant d’être une biographie…

Écrit par : maggie | 10/01/2010

Je partage tout à fait ce point de vue
Bobin n’a pas fait une biographie,il s’est servi de Emily Dickinson avec qui il se trouve certainement beaucoup de points communs pour écrire un beau texte toujours poétique..et je ne suis pas sûre que son livre soit une bonne introduction à la poésie de Emily que, hélas, je n’arrive toujours pas à lire..que par petits bouts..Et pourtant je suis fascinée par cette femme

Écrit par : gazou | 11/01/2010

Je partage tout à fait ce point de vue
Bobin n’a pas fait une biographie,il s’est servi de Emily Dickinson avec qui il se trouve certainement beaucoup de points communs pour écrire un beau texte toujours poétique..et je ne suis pas sûre que son livre soit une bonne introduction à la poésie de Emily que, hélas, je n’arrive toujours pas à lire..que par petits bouts..Et pourtant je suis fascinée par cette femme

Écrit par : gazou | 11/01/2010

J’ai beaucoup aimé ton billet !!! super 🙂 moi qui vais essayer de m’acheter tous les poèmes d’Emily Dickinson, un très joli recueil avec les poèmes traduits en français, ça me fera du bien !!!

Écrit par : Hambre | 16/02/2010

A part Corti, personne à ma connaissance à ce jour ne s’est vraiment intéressé à Emily Dickinson. Les traductions vues par une auteure n’ont pas ressenti la sensibilité d’Emily et l’esprit de la poésie et bien-sûr de la poétesse en souffre.

Si quelqu’un peut me donner plus d’infos sur Emily, sur des poésies bien traduites, je suis preneur pour informer sur mon site en référence…

Moi aussi, j’ai un immense respect et un très bon ressenti de cette Auteure si originalement complexe….

Écrit par : Messager | 07/08/2010

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