Depuis quelques années, et parce que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, je me rends régulièrement à Leipzig, découvrant a posteriori une RDA dont je n’ai jamais vraiment eu conscience du temps où elle existait, le mur étant tombé l’année de mes 6 ans. Je me souviens encore de ma mère m’intimant de regarder le journal télévisé en me disant que c’était une page d’Histoire qui se tournait ; je m’imagine sans doute en train de fixer temporairement mon attention sur le poste en songeant aux activités innombrables auxquelles je pourrais me livrer en allant retrouver mes jouets ; et pourtant, je revois très nettement ce mur et une main tendant à une autre une rose désormais gravée dans mon esprit.
J’ai depuis découvert l’Allemagne et, première surprise pour la Française que je suis, un passé au sein de la RDA fantasmé, parfois regretté par ses anciens habitants. Innocemment, je pensais que l’absence de liberté suffisait à rendre ce régime odieux ; enfant, j’étais heureuse pour ces deux moitiés de pays qui se réunissaient enfin, m’imaginant un flot infini de petits et grands bonheurs, de familles retrouvées, d’Allemands enfin libres et à même de bénéficier des choses merveilleuses dont l’Europe occidentale ne devait certainement pas manquer dans mon imagination de petite fille. Puis j’ai vu ces régions par endroit fantomatiques, des usines délabrées, des quartiers entiers aux immeubles superbes mais vides, des rues désertes, des tags omniprésents dans certaines rues, des portes condamnées, des vitres brisées, de vieux rideaux encadrant des fenêtres sales. Et petit à petit, je me suis intéressée à la vision que les Allemands de l’ex RDA ont de la réunification, d’où mon envie de lire L’ombre du mur, Chroniques du mur de Berlin.
Ce livre est composé d’un ensemble de textes écrits par des Allemands et des Européens de l’Est qui, à leur manière, entre chroniques, mémoires et nouvelles (qui évoquent parfois le principe des « docu-fictions »), reviennent sur une Allemagne divisée. La variété prime : variété du style, des thèmes choisis et des perceptions. Le caractère personnel des récits, l’intimité partagée avec le narrateur, le vécu tout à fait palpable font à mes yeux l’intérêt de ce livre. La dimension politique n’est jamais loin ; quant à l’Histoire, il ne s’agit pas seulement de celle de Berlin, mais bien plutôt de l’Histoire européenne, de cette Europe coupée en deux, de ces pays de l’Est soumis à l’influence soviétique. Je dois avouer que je m’attendais à des récits traitant essentiellement de la ville de Berlin et que l’élargissement du cadre aux pays de l’est ainsi que les chroniques traitant davantage de leurs régimes politiques m’ont d’abord un peu déçue. Il me semble aussi que les textes sont parfois inégaux, certains ayant retenu mon attention plus que d’autres, pour des raisons diverses. Voilà pourtant un livre intéressant, d’une maison d’édition exigeante.
Mon texte préféré est celui de Lutz Steiler, « Le Pèse-temps ». Les appartements inoccupés n’étaient pas chose rare. Dans certaines rues, des enfilades entières d’immeubles avec cours intérieures étaient vides. A cela s’ajoutaient les appartements des habitants censés avoir fui par la Hongrie, certains situés dans les meilleurs quartiers, mais bien plus difficiles à repérer. Quand ils n’avaient pas déjà été pillés ou confisqués, ils avaient encore des rideaux, et les fenêtres elles-mêmes ne pouvaient guère être restées beaucoup plus de neuf mois sans avoir été nettoyées. (p115)
Merci aux Editions des Syrtes (et merci pour le Tchekov dont je parlerai bientôt aussi) et merci à Babelio, en particulier à Guillaume, organisateur d’exception toujours très sympathique.
309 p
Collectif, L’ombre du mur, Chroniques du mur de Berlin, 2009
Commentaires
effectivement beaucoup se mettent a regretter cette RDA…la liberte ne fait pas vivre d’apres eux…mais cela devient un mythe maintenant…
Écrit par : rachel | 05/01/2010
Steuplé, steuplé, steuplé ???? 🙂
Écrit par : Cryssilda | 06/01/2010
On se calme Cryssilda ! Bon, maintenant au moins on saura quelle sera ta lecture voyage pour ton prochain séjour en Allemagne !
Lou, n’aurais-tu pas reçu un truc rose dans ta BAL ?
Bise,
Emma
Écrit par : Emma | 06/01/2010
Un truc rose? Wow, qu’est ce que tu lui as encore envoyée??? MDR
Écrit par : Cryssilda | 06/01/2010
Un thème qui m’intéresse énormément. Je note!
Écrit par : Edelwe | 06/01/2010
Bah le truc que t’as vu ! Il était rose…
Écrit par : Emma | 06/01/2010
Il y a des commentaires étranges dans ce coin, mais bon, passons!! 😉
J’aime aussi beaucoup l’Allemagne (au contraire de l’allemand, qui m’a pourtant permis à travers de voyages scolaires de la découvrir!) et ce livre a vraiment l’air très intéressant!
Écrit par : loula | 06/01/2010
@ Loula : Oui c’est étrange par ici… sûr, quand Emma rôde… 😀
@ Emma : Mais je sais de quoi tu parlais, je voulais juste mettre un peu de mystère dans tout ça! 🙂
@ Lou : Je réponds à tes com, y’a un truc qui va vraiment pas par ici 😀
Écrit par : Cryssilda | 07/01/2010
Un plaisir de te lire, Lou 😉
Écrit par : Sibylline | 07/01/2010
La campagne autour de Berlin aujourd’hui est un des endroits les plus déprimants d’Europe. On dirait que le temps s’y est suspendu après 1989 et le contraste est plutôt triste avec le dynamisme actuel de Berlin.
Écrit par : Laids Livres | 08/01/2010
@ Rachel : je connais là-bas beaucoup d’adultes qui vivent dans des conditions relativement difficiles après avoir connu de longues années de chômage. La réunification s’est faite trop brutalement, avec des fermetures d’usine en masse sous prétexte qu’elles n’étaient pas efficaces (très certainement vrai)… au lieu d’adapter progressivement…
@ Cryssilda : bonjour grande prêtresse-secrétaire officielle de mon blog ;o) Je suis désolée j’ai complètement oublié hier ! Je me le note pour samedi soir, avec également « La Dame à la lampe » qu’Alice vient de finir !
@ Edelwe : je serai très curieuse de lire ton billet si tu finis par craquer et le lire !
@ Emma-Cryssilda : le suspense est désormais insoutenable !! Je sens que la postière va encore me détester quand je vais aller réclamer une enveloppe sans avis de passage (mon facteur est un gros blaireau, nah !).
@ Loula : pour l’allemand je le détestais avant, et l’Allemagne me disait à peu près autant que le fin fond de la Sibérie, mais j’ai petit à petit appris à apprécier le pays et quant à la langue, je trouve que selon les personnes qui la parlent et les accents, elle peut être aussi bien épouvantable que très chantante (mais il m’a fallu du temps pour voir ça :)). Quant aux commentaires bizarres, ne t’inquiète pas c’est normal avec ces deux-là ^^
@ Cryssilda : si si c’est très bien, je délègue, je délègue en ce moment (congé spirituel forcé !)… tu ferais pas aussi les billets par hasard ?;o)
@ Sibylline : merci pour ce gentil commentaire ! Je n’oublie pas Lecture / Ecriture, d’ailleurs je me note ça de suite, ça fait partie des 3000 choses en retard que je dois gérer rapidement !
@ Laides Livres : je ne connais pas très très bien la campagne dans ces coins, j’ai juste traversé un certain nombre de coins assez morts en voiture et dormi deux nuits en banlieue berlinoise chez les grands oncle et tante de Mr Lou (au secours, plus jamais de séjour saucisse de foie grise, saucisse de cheval et confiture au whisky arrosés d’émissions à la Pascal Sevran). Mais déjà les grandes villes que sont Halle ou Leipzig par exemple (je connais moins Dresden que j’ai visitée en vraie touriste) sont toujours en travaux et assez dynamiques… avec d’énormes disparités entre les quartiers, certains étant abandonnés ou uniquement faits de logements sociaux.
Écrit par : Lou | 10/01/2010
oh oui le probleme fondamental est que Kohl voulait absolument devenir le premier chancelier de l’allemagne reunifiee…d’ou la rapidite…helas….
Écrit par : rachel | 10/01/2010
C’est le 2ème ouvrage que je vois sur les blogs et qui parle d’un sujet qui m’intéresse hautement et me titille (surtout quand il s’agit de l’Allemagne !), la RDA et la perception que les habitants de l’Est en ont eu … C’est assez étrange cette nostalgie pour cet ancien pays où la liberté n’existait pas, où les personnes étaient sans cesse sous surveillance, où le chômage était inexistant, mais l’économie ressemblait à celle de 1945 ! J’ai parfois du mal à comprendre les humains qui veulent tout et leur contraire …
Écrit par : Nanne | 10/01/2010
Et bien ça c’est un titre qui me parle. Une vision de la RDA et du bloc de l’Est par des gens qui y ont vécus voilà qui entre juste dans mes intérêts!
Écrit par : Axl | 11/01/2010
@ Rachel : j’avoue que je connais mal le parcours de Kohl, mais cela fait partie des nombreuses lacunes à combler !
@ Nanne : j’avais le même point de vue avant mais finalement je crois que les choses ne peuvent pas se résumer aux questions de liberté… lorsque j’ai poussé de hauts cris de Française horrifiée, on m’a rétorqué qu’après tout nous ne pouvions pas non plus facilement circuler à l’est ; on m’a parlé des échanges avec la Pologne notamment, des bourses, des aides sociales, des crèches subventionnées et de nombreux avantages du système qui permettaient aux gens de vivre correctement. Quant à la monotonie, les produits manquants, c’est sans aucun doute un plus mais c’est aussi un luxe qui ne paraît pas forcément fondamental quand on peut enfin théoriquement y accéder, alors que le pouvoir d’achat s’effondre. Le taux de chômage est encore énorme aujourd’hui en ex RDA (ce qui expliquerait en partie la montée du néo-nazisme). Les conditions salariales sont parfois honteuses (salaires très bas, temps complets payés à mi-temps)… Il est clair que le système économique de la RDA n’était pas viable mais la nostalgie de certains pour certains aspects de l’ancien régime ne me paraît pas incompréhensible compte tenu de leur situation actuelle. Pour l’anecdote, récemment j’ai été étonnée en discutant de la chute du mur avec Mr Lou. Je lui demandais s’il s’en souvenait, comme ça m’avait marquée en tant que petite Française de 6 ans, et j’ai appris que ses parents ne lui avaient pas expliqué ce qui s’était passé parce qu’ils étaient plutôt effrayés par l’événement. Chez les personnes plus âgées, il y a aussi des idées reçues à notre encontre… par exemple, on m’a déjà demandé s’il y avait des lieux de rencontre, des possibilités pour les enfants de partir ensemble en colonies de vacances, comme si nous étions de terribles individualistes et que tout événement trop lié à la vie en communauté était presque inconcevable… je suis loin d’avoir une opinion tranchée sur la question mais les rencontres faites grâce à mon Allemand de l’est m’ont fait voir les choses un peu différemment (ah là là je m’étends !:o))
@ Axl : dans le magazine Books on parle d’un livre allemand sur le même sujet. Je vais de mon côté chercher une traduction française ou anglaise, mon allemand étant trop mauvais pour une lecture dans la langue de Goethe !
Écrit par : Lou | 13/01/2010
oui Kohl quand meme iun sacre bonhomme…et je viens de lire ce que tu as ecrit a nanne…oui on reagit avec notre comportement de ultra-consomateur mais pas en fonction de liberte a mon avis face aux nostalgiques de la RDA…
Écrit par : rachel | 14/01/2010
Merci pour le filon, je vais me renseigner.
Je viens de lire avec beaucoup d’intérêt ton commentaire pour Nanne.
Je pense qu’aux premiers abords nous avons tous la même réaction de rejet viscéral envers le système politique du bloc de l’Est.
Ca s’explique assez facilement : entre l’idéal de liberté qu’on nous a toujours inculqués et le vision que la presse à fait passer de ces régimes, ce serait difficile de réagir autrement tant qu’on a pas rencontré « l’autre » ou qu’on n’a pas eu l’opportunité d’être éveillé à la réalité.
J’ai travaillé sur les ouvrages d’Anna Politkovskaia portant sur l’état actuel de la Russie au sens large et je peux te garantir que ça été une vraie gifle à la première lecture. On ne sort pas indemne de ce genre de vision mais ça a le mérite de remettre l’église au milieu du village.
Écrit par : Axl | 14/01/2010
@ Rachel : c’est toujours délicat de se mettre à la place de personnes qui ont finalement vécu dans un univers tellement différent du nôtre… on calque dessus nos propres valeurs, et même si nos critiques ne sont pas forcément fausses, on ne peut pas non plus vraiment comprendre la réaction de l’autre et notre jugement reste très partiel.
@ Axl : merci pour ton commentaire très intéressant. Tu me rends du coup curieuse concernant les travaux d’Anna Politkovskaia et je vais faire quelques recherches à son sujet.
Écrit par : Lou | 17/01/2010
Oh mais de rien, ca touche juste un de mes chevaux de bataille. J’ai un peu tendance à … m’emballer.
Je te préviens la lecture de Politkovskaia est parfois très dure sur le plan émotionnel.
Écrit par : Axl | 17/01/2010
Discussion intéressante ici, je pense, car il est rare que les gens de l’ancien bloc de l’OUEST mettent en question ce qu’on leur a mis dans les têtes durant toute leur vie.
En ce qui me concerne, j’étais très jeune quand le mur est tombé (6 ans), mais j’ai tout de même des souvenirs d’avant la chutte du mur et mon enfance était tout autre que noir, enfermée, torturée, surveillée et tous les clichés qu’on attribue à la RDA et les autres pays de l’est.
Beaucoup de gens que je connais, qui sont restés dans cet Allemagne de l’Est (qui sera un Allemagne de l’Est encore pendant une bonne 50 aine d’années) ont tout de même des sentiments partagés par rapport à la réunification. J’ai pu assister pendant ma jeunesse au déclin des conditions sociales. Ma région est maintenant chrétien-démocrate (vive la séparation politico-réligieuse) et libérale. Quand je suis arrivé en France j’ai été frappé par tous les aquis sociaux qui existait encore et qui ont été abolis par l’Allemagne réunifié quelques années (parfois mois) avant.
En ce qui concerne le passage d’un système socio-totalitaire (je ne dis pas communiste, parce que c’est un abus total de la langue français à mon avis) à un système capitaliste, la RDA a eu la chance d’avoir un partenaire très fortifié par des investissements massifs des américains. Il ne faut pas oublier que les deux Allemagnes étaient des vitrines des 2 blocs. Donc chez nous on se plaint, mais ça va encore relativement bien. Au cours de quelques voyages en Pologne et République Tchèque on peut se rendre compte que d’autres pays n’ont pas cette chance là. Et passer de ses propres forces d’une forme d’état à une autre forme d’état, de consommation, de production industrielle est extrèmement difficile.
Écrit par : Mr Lou | 18/01/2010
oui on juge avec nos valeurs…cela ne peut etre que subjectif!..;o)
Écrit par : rachel | 19/01/2010
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