Le père et la fille

le gall_peine_menuisier.jpg« Je retrouvais le cadre immense, le visage grandeur nature, le garçonnet de papier. Le rayon de son regard me fixait alors. J’étais debout sur une chaise, au même niveau que lui mais à bonne distance. Il m’envoûtait, je cherchais son mystère et restais sans réponse devant le pâle sourire, les yeux clairs habités d’une douce mélancolie. Sa trop grande gravité, qui ne correspondait pas à l’enfant espiègle qu’il avait été, me laissait penser qu’il pressentait son destin. » (p119)

Dans cette rentrée littéraire 2009, La Peine du Menuisier va sans doute constituer l’une des plus agréables surprises parmi les premiers romans. L’auteur est née en 1955 à Brest. Dans un texte autobiographique, elle revient sur le parcours de Marie-Yvonne, de l’enfance à l’âge adulte, entre fantômes et silences au sein d’un entourage profondément catholique.

Le silence, c’est celui du « Menuisier », ce père âgé qu’elle ne sait pas nommer autrement. C’est aussi le silence qui la caractérise, petite fille taiseuse, secrète, sans doute un brin fantasque et morbide. Point commun entre le père et la fille, le silence les rapproche et les sépare à la fois, leur permettant de communier et de se comprendre implicitement mais les empêchant d’aborder certains sujets et de se dire l’essentiel, alors que la mort du père approche à grands pas.

Outre la relation père-fille difficile au cœur de ce roman que Marie Le Gall a d’ailleurs dédié à son père, la narratrice explore de nombreuses thématiques à travers le récit de sa vie, à commencer par les racines et les secrets de famille qui ne semblent pas manquer chez ces parents qui l’ont conçue très tard, dix-neuf ans après Jeanne, sa sœur folle et pleine d’amour. Entourée de non-dits et d’absents, ces membres de la famille qu’elle n’a jamais connus qu’à travers les photos pour toujours figées qui peuplent sa maison d’enfance, Marie-Yvonne est fascinée par la mort, revenant sans cesse au portrait de René-Paul dont un jouet conservé à la cave l’attire sans cesse. Enterrements, errances dans les cimetières, heures passées à regarder les restes d’os extraits d’une tombe humide et nauséabonde par le fossoyeur, conjectures au sujet des photos des disparus, la mort est une question qui taraude la narratrice de manière obsessionnelle.

L’histoire personnelle est aussi l’occasion de dresser un portrait d’une Bretagne aujourd’hui disparue, celle des années soixante où le rapport à la terre, les souvenirs de guerre, les traditions familiales et la vie quotidienne avaient encore le goût des temps anciens, une époque révolue racontée avec justesse sur un ton toujours sobre et précis.

le gall_Expo-Brest-2007.jpgCe livre présente beaucoup de qualités et pourtant, j’ai d’abord eu beaucoup de peine à m’immerger dans le récit qui manquait à mon sens de fil conducteur pendant les cent premières pages. Bien sûr, dans le titre, la dédicace et certaines scènes, tout tendait à faire de la relation au père la quête finale de la narratrice. Malgré tout, la première partie privilégie un peu trop l’anecdote à mon avis, au détriment du récit. Les réminiscences de Marie-Yvonne sont intéressantes à lire mais me rappellent un peu trop les mémoires qui se transmettent au sein des familles, le but étant de retranscrire ses souvenirs le plus fidèlement possible, sans se préoccuper des questions de déroulement et de structure propres au roman. Quoi qu’il en soit, le style soigné et le ton plein de pudeur de Marie Le Gall m’ont convaincue et je suis ravie de ne pas avoir planté là ce beau roman. Plus centrée sur la relation entre la narratrice et son père, la deuxième partie est passionnante et m’a beaucoup émue. Les moments volés qui noyaient la première partie à force d’accumulation sont ici parfaitement insérés dans une « intrigue » de mieux en mieux menée.

Au final, voilà un beau roman très personnel qui parvient à avoir une portée plus générale, le lecteur pouvant difficilement lire cette histoire unique sans songer à sa propre famille et aux similitudes inévitables entre les parcours individuels. L’art d’aimer, le temps trop court à partager avec ses proches, la souffrance inhérente aux relations distantes que Marie-Yvonne entretient avec ses parents sont remarquablement retranscrits. Touchant et évocateur, le récit est porté par l’ambiance un peu mystérieuse et chargée d’histoire. Et lorsque l’on tourne la dernière page, il est difficile d’abandonner ce menuisier et cette famille auxquels on s’est nous aussi attachés. Un bel hommage au père disparu.

« Par tradition, il me donna le prénom composé de sa soeur asthmatique, morte en crise beaucoup trop tôt en laissant trois jeunes orphelines. C’était aussi le prénom de sa tante, la soeur de Tad, qui n’avait vécu que quelques années. « Marie-Yvonne », avait écrit l’employée. Enfin, puisqu’il fallait un second prénom, celui de la fille de ma marraine, Nicole, fit l’affaire. Asphyxiée par une fuite de gaz, elle s’était éteinte à six ans. » (p 22)

Les avis de Cathulu, de Cuné.

Opération Masse Critique dans le cadre des Chroniques de la rentrée littéraire.

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283 p

Marie Le Gall, La Peine du Menuisier, 2009

 

« Ce blog a décidé de s’associer à un projet ambitieux : chroniquer l’ensemble des romans de la rentrée littéraire !

Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l’ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l’opération. Pour en savoir plus c’est ici. »

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Commentaires

Aaaaaah voici celle qui a cliqué avant moi pour ce bouquin ! 😀 En fait, je suis tombée sur le joli résumé de ce livre (aussi via Chroniques de la rentrée littéraire) et j’ai eu envie de le lire, mais tu as été la plus rapide, je crois. 😉
C’est un roman que je lirai, oui ! 😀

Écrit par : Leiloona | 23/08/2009

Est-ce que tu me le prêterais ? (oui, je suis comme ça, le lundi matin, je demande franco:)))

Écrit par : fashion | 24/08/2009

Ton billet est intéressant, juste et sincère ! Concernant la rentrée littéraire dans le cadre de chroniques de la rentrée je viens de mettre en ligne mon billet !

Écrit par : Alice | 24/08/2009

Bienvenue au club! 😉

Écrit par : Daniel Fattore | 24/08/2009

et bien moi qui habite dans cette région, je le note tout de suite

Écrit par : Gambadou | 24/08/2009

Je suis assez peu tentée malgré ton avis et le fait que Phébus publie rarement des livres inintéressants. Si je ne trouve pas d’autres romans de la rentrée qui m’intéressent, j’y reviendrais peut-être, mais pour l’instant je vais passer.

Écrit par : Lilly | 24/08/2009

J’étais déjà tentée après les billets de Cathulu et Cuné, même si le titre ne me disait rien au premier abord… à découvrir, donc… un jour!

Écrit par : Karine:) | 25/08/2009

Je lis ton billet en diagonale, je suis en pleine lecture des 100 première pages justement .. je reviendrai le lire plus tard.

Écrit par : Aifelle | 26/08/2009

Cela semble être un très beau roman, empreinte de poésie et de souvenirs personnels ! Un livre de la rentrée littéraire que je n’aurais pas nécessairement remarqué si tu n’en n’avais pas parlé aussi bien, Lou …

Écrit par : Nanne | 26/08/2009

Décidemment, voilà qui est prometteur! Vivement! Je n’ai pour l’instant entendu que des jolis choses à son sujet!

Écrit par : chiffonnette | 28/08/2009

ça a l’air très émouvant.

Écrit par : Edelwe | 31/08/2009

Les commentaires sont fermés.

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