Avec Les Deux Mariages de Lenka, Isabelle Flaten nous emmène à Prague, suite à la révolution de Velours.
Lenka est devenue veuve juste avant la chute du régime communiste. Parce qu’elle a étudié le français, elle trouve un emploi de nounou et femme de ménage pour un couple d’expatriés français, les Daumesnil. Elle est confrontée au quotidien à l’écart entre leurs deux mondes : dans la journée, elle nettoie l’appartement bourgeois du couple pendant que son employeuse mène une vie éreintante faite de shopping et de thés entre expatriées. Après l’école, Lenka retrouve la petite qui lui est attachée mais aussi son frère aîné, ouvertement méprisant. Le soir, elle quitte ce monde doré pour l’exiguïté de son nouveau logement. Elle y croise parfois Eva et Marek, d’anciens amis. Sans que l’on comprenne tout de suite ce qui a bien pu se passer, Eva a tourné le dos à Lenka et se montre franchement hostile à sa présence dans l’immeuble. Lenka, elle, tente de s’accrocher à cette amitié, car les deux femmes étaient proches avant. Le roman va couvrir une période charnière pour cette femme abîmée par l’histoire, à qui une nouvelle chance sera – peut-être – offerte.
Ce récit est d’abord celui d’une femme entre deux âges, jolie et veuve assez jeune pour considérer l’éventualité d’un nouveau départ. Isabelle Flaten en dresse un portrait complexe, nous fait voir toute l’injustice de sa vie sans pour autant masquer ses faiblesses, ses faux pas. C’est une femme à la croisée de tous les possibles, dans un monde bouleversé par l’ouverture à l’Ouest. Car le récit permet d’aborder la complexité du changement de régime. On a tendance en France à livrer une vision très optimiste de la chute du mur et de la fin du bloc soviétique. Et il est évident que ce régime méritait les descriptions extrêmement critiques qui en ont été faites, à commencer par l’absence de libertés – sujet très clairement abordé dans ce roman. Mais la vision qu’on en a souvent et que j’ai longtemps partagée est un peu trop lisse et simpliste. Derrière l’ouverture à l’Ouest, il y a eu le chômage de masse, la désindustrialisation (y compris par exemple en Allemagne la fermeture d’usines rentables pour ne pas faire de concurrence à des usines de l’Ouest), le déclassement social. Lenka illustre cet aspect moins glorieux en ayant perdu son logement confortable mais aussi à travers l’amertume de son travail au service de ces nouveaux arrivants étrangers.
On découvre par ailleurs que le passé de Lenka n’est pas sans tache. C’est là tout l’intérêt de ce récit, qui nous donne à voir une femme ordinaire dont les choix parfois ambigus reflètent une situation historico-politique tout aussi floue et incertaine. C’est parce que cette femme est imparfaite et ses décisions parfois troublantes que Les deux mariages de Lenka est pour moi un roman réussi et audacieux. J’espère qu’il saura éveiller votre intérêt en cette nouvelle rentrée littéraire !
Et n’oubliez pas Adelphe, formidable roman d’Isabelle Flaten que j’ai découvert cet été et ne cesse de recommander depuis.
149 p
Isabelle Flaten, Les Deux mariages de Lenka, 2020
Et bin deux mondes a decouvrir….cela semble vraiment bien..oui tu me titilles
Voilà qui est diablement tentant. Même si ton enthousiasme pour « Adelphe » m’intrigue depuis ton billet, cette nouvelle histoire semble correspondre à mes goûts.
Sinon, j’ai bien reçu la biographie de Jane Austen. Merci encore !