Lu et savouré au début de mes vacances, Les Attracteurs de Rose Street est un court roman fascinant et d’une grande qualité littéraire.
Londres, fin du XIXe (un de mes cadres de prédilection). Samuel Prothero est un jeune médecin aliéniste, à l’heure où cette discipline n’en est pas encore une. C’est l’époque des asiles enfermant sans distinction tous les types « de folie », où un gentleman peut se débarrasser sans trop de difficultés d’une femme ou d’une soeur embarrassante en la faisant interner. Une époque où le soin se limite à un enfermement dans des conditions insalubres et à des traitements barbares. L’accueil est meilleur bien entendu dans les asiles privés pour gens fortunés, mais les conditions d’admission restent floues et l’accompagnement minimaliste. Lucius Shepard ne s’étend pas sur ces points, néanmoins il présente Prothero comme un homme encore plein d’idéaux, qui souhaite ouvrir une clinique où de vrais traitements et des conditions de séjour décentes seront proposés aux malades. Prothero est également ambitieux (je dis également car son objectif humaniste à long terme est peu en phase avec les préoccupations des hautes sphères victoriennes). C’est pourquoi il a rejoint le Club des Inventeurs, qui réunit des gentlemen fortunés et lui permet de se constituer un réseau.
Il y rencontre Jeffrey Richmond, mis au ban de ce club, à peine toléré par les autres membres, qui n’hésitent pas à rire ouvertement à ses dépens lorsqu’ils ne l’ignorent pas. S’il snobe cet homme pour préserver son image, Prothero est un jour rattrapé par Richmond dans la rue, une nuit brumeuse où on ne distingue rien. Richmond lui propose de le payer le double de ses honoraires habituels pour l’aider ainsi qu’une autre patiente. Samuel Prothero va donc s’installer chez Richmond après avoir constaté par lui-même l’intérêt du cas.
Jeffrey Richmond vit dans le quartier malfamé de Saint Nichol, en dépit de ses revenus confortables. Il est propriétaire d’une ancienne maison de passe dont on apprend très vite qu’elle a été tenue par sa soeur (aussi surprenant que cela puisse être pour une famille bourgeoise comme la leur). Il a conçu des machines dont le but est de purifier l’air londonien. En les mettant en route sur le toit de sa maison, il a déclenché un phénomène imprévu : ses attracteurs font apparaître des fantômes, qui se manifestent essentiellement dans une chambre du dernier étage. On peut les observer à travers une vitre, même s’il leur arrive de surgir à d’autres endroits de la maison. Parmi ces fantômes, Christine, la soeur de Jeffrey, revient régulièrement sous diverses apparences : notamment dans des sous-vêtements affriolants mais aussi, tout juste morte suite à un coup porté à la tempe, sanguinolente et lugubre à souhait. Samuel Prothero est engagé pour communiquer avec elle et tâcher de comprendre ce qui a pu la conduire à cette fin tragique.
Un court récit, certes, mais dense et passionnant. Il a dépassé mes attentes à plusieurs titres : tout d’abord par l’écriture, avec un style élégant bien qu’un peu désuet, parfaitement adapté au narrateur du XIXe. Sur le fond ensuite : j’ai retrouvé des ingrédients que j’apprécie particulièrement, entre les fantômes, une Londres brumeuse et inquiétante, l’hypocrisie des classes aisées victoriennes et la crasse sordide des bas-fonds de la ville. Cependant, Lucius Shepard fait preuve d’originalité en dressant le portrait de Jeffrey Richmond, anti-héros trouble, génial inventeur aux motifs ambigus, à la personnalité désarçonnante et au choix de vie plus qu’inhabituel. Il choisit aussi de faire appel à la technologie pour engendrer des manifestations surnaturelles, ce qui nous éloigne du cadre plus classique de l’histoire de la traditionnelle maison hantée. Avec ses attracteurs, il nous donne à voir un autre monde sinistre et insaisissable qui met le lecteur mal à l’aise. Un roman atypique, sombre et envoûtant.
Lu dans le cadre de la lecture commune du Challenge Halloween, et du Challenge British Mysteries.
129 p
Lucius Shepard, Les Attracteurs de Rose Street, 2011
Et bin oui didonc….cela semble etre tout un bien bon livre….oui
Excellent, même ! Je recommande !
Je le note évidemment ! 🙂
Tu fais bien :o)
Tiens tiens tiens, ton article donne envie de le lire, l’ambiance que tu décris me fait un peu penser à Dickens 🙂
Il y a un peu de ça en effet ! Dans l’écriture, Shepard a vraiment veillé à renvoyer aux auteurs victoriens. J’espère qu’il te séduira aussi !
Je l’ai vu chez Hilde, il me tentait bien. J’ai lu deux ou trois romans dans cette édition et j’aime beaucoup ce qu’il propose…