Je ne sais même pas comment commencer ce billet, à vrai dire je sens déjà qu’il sera aussi intéressant que le discours de la crevette quand la marée monte mais si je ne le fais pas maintenant, je ne vous parlerai jamais de la magnifique biographie de Charles Dickens par Jean-Pierre Ohl.
J’ai pris tant de notes, décoré mon exemplaire de tant de post-its à la lecture que je pourrais tout aussi bien écrire un billet sans fin. Coupons la poire en deux : j’évoquerai surtout ici quelques aspects de la personnalité de Dickens qui m’ont paru particulièrement intéressants.
Cette biographie suit de façon assez classique le parcours de Dickens au fil des années, mêlant son histoire personnelle à son travail et indiquant ainsi en quoi tel ou tel événement marquant a eu une influence sur ses écrits. Sur la vie personnelle de l’écrivain, Ohl cherche à se montrer objectif et ne porte pas de jugement ni ne se prononce lorsqu’il s’agit de définir la nature de ses relations avec l’actrice Ellen Ternan ou ses deux belles-soeurs, qui ont finalement sans doute davantage compté pour lui que sa femme. Du moins c’est ainsi que je l’ai perçu, d’autant plus que Dickens est lassé des multiples grossesses de son épouse et sera d’ailleurs un père autoritaire et dur, sans doute pour éviter chez ses enfants l’échec de son père et de ses frères, assistés financièrement.
Le livre s’achève ainsi sur le Mystère d’Edwin Drood et recense les différentes hypothèses émises quant à la nature de la disparition de Drood et à l’éventuel assassin ; j’étais en pleine lecture de ce roman inachevé lorsque j’ai lu ce dernier chapitre qui a apporté un éclairage nouveau sur les personnages, à commencer par Jasper en qui on pouvait peut-être voir un Jasper-Hyde avant l’heure. Un chapitre particulièrement passionnant (j’ai évoqué quelques suppositions dans mon billet sur Edwin Drood), mais ce constat pourrait s’étendre à l’ensemble de cette biographie.
Ohl insiste beaucoup sur les paradoxes qui caractérisent Dickens : son intérêt pour les malheureux oubliés par la société mais son manque d’empathie lorsqu’il est vraiment confronté au peuple tel qu’il est en réalité (Ohl parle de sa « croisade grotesque contre les musiciens de rue qui jouent sous ses fenêtres ») ; la tentation du dandysme lorsqu’il est jeune, sa volonté farouche de réussir sur le plan social et sa critique de la bourgeoisie ; ses espoirs lors de l’avènement de la reine Victoria, ses convictions fortes (ainsi Oliver Twist est un « brulôt » en réponse à la nouvelle Poor Laws) mais son aversion pour toute forme de politique ou d’organisation pouvant justement mener à bien les réformes qui lui tiennent à coeur. Curieusement, alors que Dickens est un gentleman « éclairé », sensible aux progrès sociaux qui doivent impérativement voir le jour sous le règne de la jeune reine Victoria, Dickens est comme beaucoup de ses contemporains fortement conservateur sur certains sujets : ainsi il dresse un portrait bien peu flatteur des Juifs dans ses romans (tel Fagin dans dans Oliver Twist), même s’il prend conscience de son erreur et tente de rétablir un semblant de vérité en dressant bien maladroitement le portrait d’un Juif exemplaire à la fin de sa vie, dans l’Ami commun (à ce sujet, un autre texte en ligne) ; de même il se prononce en faveur de la répression suite à une révolte des Noirs en Jamaïque.
Avec beaucoup de facilité, Ohl nous captive, fait vivre devant nous un Dickens bien réel, parfois antipathique mais fascinant, tout en faisant en sorte de nous donner envie de lire tous ses romans, y compris ceux dont il a relevé les faiblesses. Ce texte est si dense qu’il me faudra sans doute le relire plusieurs fois pour mieux appréhender la genèse de l’oeuvre de Dickens, mais c’est sans aucun doute avec plaisir que je relirai ces passages. Ce livre apportera un éclairage intéressant à ceux qui ont déjà lu les romans de Dickens et constituera sinon pour les autres une clef d’entrée idéale pour les guider dans l’étonnant monde dickensien.
Pour une autre biographie de Dickens adaptée à un jeune public, je vous recommande le livre de Marie-Aude Murail (un régal) ; quant à Jean-Pierre Ohl, son roman Les Maîtres de Glenmarkie est un des romans français que je préfère, si vous ne l’avez pas lu je vous recommande très fortement de le faire (non ce n’est pas une hache que je cache derrière mon dos au cas où vous douteriez encore de l’intérêt de cette lecture, je suis persuadée que nous n’avons pas besoin d’en arriver là).
Aujourd’hui Charles Dickens fêterait ses 200 ans. Elles le fêtent aussi : Cryssilda avec Les Chroniques de Mudfog (j’étais passée à côté de ce texte mais mon édition était aussi plein de coquilles), Karine:) et Titine avec cette biographie de Jean-Pierre Ohl… mais aussi depuis Isil, Kikine, Sabbio, Mélodie, Ellcrys, Allie, DeL …
286 p
Jean-Pierre Ohl, Charles Dickens, 2011
Commentaires
Écrit par : rachel | 07/02/2012
Écrit par : Maribel | 07/02/2012
Écrit par : JainaXF | 07/02/2012
@ Maribel : je savais bien que j’étais dotée de capacités de persuasion sans limite :o)
Écrit par : Lou | 07/02/2012
Écrit par : Lou | 07/02/2012
Écrit par : keisha | 07/02/2012
Écrit par : Titine | 07/02/2012
mais il y a tant de bouquins dans cette pal que cela m’arrive d’en faire des cauchemars
Écrit par : niki | 07/02/2012
Écrit par : rachel | 07/02/2012
Écrit par : Cryssilda | 07/02/2012
Écrit par : choupynette | 07/02/2012
Écrit par : Cléanthe | 07/02/2012
@ Titine : je ne sais pas ce que j’aurais pensé de Dickens si je l’avais connu (eh oui je n’ai pas eu cette honneur malgré mon âge avancé) mais j’apprécie le fait que cette bio cherche à aborder toutes les facettes de sa personnalité, bonnes ou moins bonnes… et le personnage, s’il n’est peut-être pas toujours parfait, est dans tous les cas fascinant… il bouillonne d’énergie et Ohl rend cela très bien.
@ Niki : heureusement que je ne fais pas de cauchemars concernant ma PAL car si mes livres étaient vraiment vivants je ne serais plus en vie ou alors enchaînée dans une cave pour enfin leur rendre justice et tous les lire !
@ Rachel : la couverture ? J’aime beaucoup les couvertures de cette collection. Il me reste à lire celui sur Woolf et j’hésite à me procurer celles sur Wilde (j’ai lu quelque chose de négatif à son sujet) et de Shakespeare… et j’attends Austen ou les Brontë de pied ferme !
@ Cryssilda : oui mais la bio de Charlie est un vrai roman et Ohl un excellent auteur :o)
@ Choupynette : je crois que j’ai réussi à faire lire ce roman à pas mal de monde en fait, à force d’en parler ici et sur les blogs mais aussi à mon entourage :o) J’ai hâte de lire « Monsieur Dick » !
@ Cléanthe : je n’ai pas encore lu George Eliot mais j’espère le faire cette année, j’ai décidé de me consacrer essentiellement à lire les auteurs qui me tentent depuis des années et que je ne prends pas le temps de lire, et notamment beaucoup de classiques… dont Henry !!!
Écrit par : Lou | 08/02/2012
Écrit par : Mrs Figg | 08/02/2012
Écrit par : Lou | 08/02/2012
Écrit par : rachel | 09/02/2012
Écrit par : maggie | 09/02/2012
Écrit par : Dominique | 10/02/2012
@ Maggie : moi aussi ! J’ai commencé « Drood », j’espère que je vais aimer, j’essaie de bien penser que c’est une fiction pour en profiter… j’ai lu le tout début pour l’instant.
@ Dominique : le livre de MA Murail est merveilleux pour les enfants mais il reste assez court… cette biographie de Jean-Pierre Ohl est en effet un bon compromis !
Écrit par : Lou | 11/02/2012
Écrit par : Emjy | 13/02/2012
Écrit par : Lou | 13/02/2012
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