La Carte du Monde de Tash Aw m’éloigne temporairement de mes promenades anglaises ; c’est même une lecture bien différente des romans vers lesquels je me tourne spontanément et pourtant j’ai passé un excellent moment.
Ce récit nous plonge dans l’Indonésie de 1960, lorsque le jeune Adam voit son père adoptif d’origine hollandaise se faire embarquer par des soldats. En fouillant dans la maison, il trouve la trace d’une certaine Margaret, qui aurait beaucoup compté pour son père ; l’adolescent part à sa recherche en quittant sa petite île pour Jakarta. C’est une ville tentaculaire, fascinante et sordide à la fois, dans laquelle les ressortissants étrangers ne se sentent plus tellement en sécurité, alors que le Président tend à se rapprocher de ses alliés communistes et que les manifestations se multiplient.
Plusieurs voix en alternance retracent l’histoire d’Adam, orphelin, de son frère Johan, adopté en Malaisie, de Karl, le père, amour de jeunesse de Margaret, elle-même enseignante américaine dont le collègue Din est soupçonné d’être à la tête d’un groupe extrémiste. Souvenirs et présent se mêlent, avec en toile de fond un contexte politique agité.
Je ne raffole pas des romans politiques mais cette dimension ne m’a pas du tout gênée et nourrit le récit intelligemment, s’invitant dans l’histoire personnelle des différents protagonistes. Outre la question du régime politique préférable et la perte d’illusions de ceux qui avaient cru à une nouvelle Indonésie, c’est aussi la société qui est dépeinte ici, avec le gouffre séparant les plus riches du reste de la population, presque miséreuse et sans avenir. Comme l’a déjà écrit mon amie Cryssilda, « le texte est en dialogue constant avec lui même » : chaque chapitre fait écho à un autre, les histoires s’entrecroisent et le contexte historique explique le parcours atypique des personnages.
Malgré les apparences, ce roman pose un regard éclairé sur une époque trouble et ne sombre pas dans le pessimisme ; pour preuve la fin plutôt heureuse pour les principaux personnages.
Très agréablement écrit, ce roman offre de beaux tableaux d’un pays qui parviennent à émouvoir le lecteur tout en le mettant mal à l’aise. Il pose aussi la question passionnante de l’identité : Margaret, américaine de nationalité, a bourlingué dans de nombreux coins du monde et a choisi de s’installer à Jakarta, parlant d’ailleurs parfaitement indonésien ; mais lorsque les tensions entre les deux pays montent, Margaret et ses compatriotes ne sont soudain plus les bienvenus. Adam a la peau plus claire que les enfants de l’île dans laquelle il grandit et reste ainsi un peu à part ; fasciné par l’Europe, il aimerait apprendre le néerlandais mais Karl refuse de parler sa langue natale et veut vivre en respectant autant que possible la culture indonésienne, alors qu’il est toujours perçu comme un Hollandais par la population locale. Au final, à quel pays, quelle nation, quelle culture appartenons-nous ? A celle qui figure sur notre passeport, à celle de nos parents ou bien à celle que nous choisissons ?
Un roman vraiment intéressant que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire.
Merci à Christelle des éditions Robert Laffont pour cette belle découverte… je regrette vraiment de ne pas avoir pu assister à la rencontre avec l’auteur, je me serais régalée !
442 p
Tash Aw, La carte du monde invisible, 2009
Commentaires
Écrit par : rachel | 11/02/2012
Écrit par : jeneen | 12/02/2012
Écrit par : Titine | 13/02/2012
@ Jeneen : cette question de la nationalité m’intéresse beaucoup pour des raisons personnelles aussi… ravie de t’avoir tentée avec mon billet :o)
@ Titine : j’aurais bien aimé venir avec vous à la rencontre, je me serais régalée aussi ! Une très belle découverte pour la Victorian team !
Écrit par : Lou | 13/02/2012
Écrit par : Nymphette | 13/02/2012
Écrit par : rachel | 14/02/2012
Écrit par : Djemaa | 15/02/2012
Écrit par : Liliba | 18/02/2012
@ Rachel : tout à fait, de nouvelles portes ouvertes !
@ Pascal : un très bon week-end à vous… et du rêve, nous en avons besoin en ce moment !
@ Liliba : et c’est bien dommage… certains pays sont presque oubliés de nos librairies d’ailleurs, car j’ai cherché à découvrir des auteurs grecs récemment et n’ai trouvé qu’une dizaine de titres dont aucun ne me tentait vraiment, le tout dans une grand librairie !
Écrit par : Lou | 19/02/2012
Écrit par : Karine:) | 20/02/2012
Écrit par : Lou | 20/02/2012
L’auteur a-t-il eu l’occasion de commenter le choix du titre qu’il a choisi et notamment de l’adjectif »invisible » ?
Écrit par : olp | 13/07/2012
@olp: Je ne sais pas et ça m’intéresserait aussi. Dans le roman Din utilise l’adjectif lorsqu’il parle de son « projet d’écrire une Histoire Secrète des Iles indonésiennes du Sud-Est… Pour moi ces îles étaient comme un monde perdu qui demeurait vrai et authentique, à l’abri des regards étrangers. Une sorte de monde invisible »(p.38)
Écrit par : Cardamone | 20/08/2012
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