Il y a parfois des lectures que l’on redoute, que l’on repousse, et The Picture of Dorian Gray faisait partie de celles-là pour moi. Oeuvre incontournable de la littérature victorienne, avec un personnage principal converti depuis en mythe monstrueux au même titre que la créature de Frankenstein ou Dracula, ce roman m’intriguait depuis des années mais je n’osais pas le lire : envie de mettre ce grand roman de côté pour pouvoir le savourer plus tard ; curiosité assortie d’inquiétude depuis que j’avais lu un autre classique bien connu de R.L. Stevenson autour du même thème et qui m’avait plutôt ennuyée (une lecture que je retenterai malgré tout car je suis frustrée de rester sur cet échec auquel je ne m’attendais pas du tout).
Mais lorsque j’ai commencé à lire quelques pages de The Picture of Dorian Gray, toutes mes craintes se sont envolées : dès la première scène, le cadre, les dialogues (qui me rappelaient déjà The Importance of being Earnest dont je raffole) mais aussi le style fluide et élégant m’ont de suite emportée. Pour une traversée plutôt mouvementée, c’est certain.
Voici un petit extrait au tout début qui m’a beaucoup amusée : « But beauty, real beauty, ends where an intellectual expression begins. Intellect is in itself a mode of exageration, and destroys the harmony of any face. The moment one sits down to think, one becomes all nose, or all forehead, or something horrid. Look at the successful men in any of the learned professions. How perfectly hideous they are ! Except, of course, in the Church. But then in the Church they don’t think. A bishop keeps saying at the age of eighty what he was told to say when he was a boy at the age of eighteen, and as a natural consequence he always looks absolutely delightful. » (p3)
[Chronique riche en spoilers]
Lorsque l’histoire débute, Dorian Gray est un jeune homme innocent dont la beauté fascine Basil Hallward, artiste peintre prometteur de l’ère victorienne. Inspiré par la pureté de Dorian, Basil achève sa meilleure toile, répugnant cependant à l’exposer car il estime avoir trop laissé transparaître dans ce portrait des sentiments très personnels. Très proche de Dorian, Basil se voit forcé de le présenter à un ami de longue date, Lord Henry Wotton, par un concours de circonstances dont il se serait passé. Connaissant la personnalité corrosive de Lord Henry, Basil Hallward le prie instamment de ne pas le priver de Dorian Gray ni de le corrompre en lui soumettant ses théories cyniques sur la vie et les hommes en général. Bien entendu, Lord Henry s’empresse de faire le contraire et, devenant lui-même un objet de fascination pour le jeune homme, il crée rapidement une distance entre ses deux amis.
Lors de leur première rencontre, Lord Henry fait l’apologie de la jeunesse et de la beauté de Dorian. Ce premier poison sera à l’origine de la longue déchéance morale du jeune homme, qui émet un souhait impossible en contemplant son portrait : « How sad it is ! I shall grow old, and horrible, and dreadful. But this picture will remain always young. It will never be older than this particular day of June… If it were only the other way ! » (p29) Mais comme tout le monde le sait, c’est un souhait qui sera exaucé.
Dès lors, sous l’influence néfaste de Lord Henry, Dorian Gray décide de vivre pleinement sa vie et finit par assimiler plaisir et débauche sordide : après avoir séduit puis abandonné une jeune actrice qui met fin à ses jours, Dorian Gray devient un personnage de plus en plus trouble. Très recherché parmi les mondains, il finit par avoir une réputation sulfureuse : on l’aurait vu dans les quartiers mal fâmés de Londres, il aurait poussé un jeune héritier à s’endetter, aurait perdu la réputation de plusieurs femmes. Egoïste, désabusé et devenu lui aussi profondément cynique, Dorian Gray repousse l’aide de son ami Basil Hallward, épouvanté par cette radicale transformation.
Alors que Dorian Gray devient indifférent au sort d’autrui, son portrait s’enlaidit : le vice, la cruauté ainsi que la vieillesse viennent altérer les traits du chef-d’oeuvre de Basil. Jusqu’à ce que Dorian commette un meurtre, point culminant de sa déchéance ; enfin, Dorian prend conscience de son geste abominable et se retrouve dès lors torturé par les démons de son passé. Il alterne entre fausse mauvaise conscience et inquiétude : peur d’être arrêté, peur d’être retrouvé par le frère de l’actrice dont il avait causé la mort. Son comportement fait écho à une phrase tirée du début du roman : « Conscience and cowardice are really the same thing, Basil. Conscience is the trade-name of the firm. That is all. » (p7) A noter que sa transformation se fait sous les yeux d’un Lord Henry finalement peu averti, puisqu’il est incapable de voir à quel point Dorian a appliqué ses préceptes à la lettre, devenant au final un personnage abject, tandis que Lord Henry reste en quelque sorte un philosophe de salon et un beau parleur.
Un roman passionant, troublant, parfois angoissant qui se dévore plus qu’il ne se lit (hormis le chapitre descriptif faisant état des nouveaux centres d’intérêt et collections de Dorian Gray que j’ai trouvé passablement ennuyeux). Un chef d’oeuvre absolu qui marquera ma vie de lectrice. J’ai désormais hâte de voir les deux adaptations, dont je vous parlerai très prochainement.
Et je vous propose de parler pour le 1er Mai de la pièce Un Mari Idéal (la pièce ou une de ses adaptations).
254 p
Oscar Wilde, The Picture of Dorian Gray, 1890
Challenge Oscar Wilde : 1 billet
God Save the Livre : 1 roman (catégories Dirty Harry et Queen Mum)
Commentaires
mais je n’ai toujours pas lu le roman (oui j’ai un peu honte, je le reconnais :o)))
Écrit par : niki | 05/03/2011
En tout cas, bien contente de voir qu’il t’ait plu !
PS : je ne crois pas avoir été ennuyé par les collections ! C’est très fin de siècle !
Écrit par : maggie | 05/03/2011
Écrit par : Lilly | 05/03/2011
Écrit par : Sabbio | 06/03/2011
Écrit par : Sabbio | 06/03/2011
Écrit par : keisha | 06/03/2011
@ Maggie : oui oui je fais du forcing pour te le faire relire ;o) Pour les collections j’avoue avoir trouvé ces longues pages descriptives plus ennuyeuses. Je n’arrive pas à me souvenir d’autres auteurs de la même époque ayant employé ce procédé mais j’ai sûrement dû déjà croisé cela. Je ne sais pas si c’est l’étalage en général qui me gêne ou plutôt le fait qu’ici ces descriptifs étaient très longs et se succédaient sans fin selon un procédé volontairement répétitif (je voyais bien le but mais je n’arrivais pas à m’y intéresser). Mais c’est une question de goût, je n’oserais pas critiquer Wilde à travers cette oeuvre 🙂
@ Lilly : je compte les voir dans les jours à venir, donc mes billets ne devraient pas trop tarder. Titine m’a offert l’adaptation de 1940 qu’elle avait adorée, par contre je me demande dans quel ordre les regarder.
@ Sabbio : un bien grand plaisir de lecture en effet !
@ Keisha : oui c’est le genre de lecture « choc » qui nous paraît indispensable et évidente dès qu’on l’a faite !
Écrit par : Lou | 06/03/2011
Écrit par : choupynette | 06/03/2011
Écrit par : rachel | 07/03/2011
Écrit par : Voyelle et Consonne | 07/03/2011
Écrit par : Joelle | 07/03/2011
@ Rachel : je n’ai pas encore vu le film mais d’après ce que j’ai cru voir (et ça serait logique) il jouerait Lord Henry. ça lui va comme un gant je trouve !
@ Voyelle et consonne : sait-on jamais, peut-être te tenterai-je en parlant des adaptations ?:) Je relirai certainement ce roman, au moins par passages, je ne suis pas étonnée que tu l’aies lu plusieurs fois.
@ Joëlle : je te le prêterais bien mais j’ai l’exemplaire de mon père. Je serais vraiment heureuse de lire ton billet si tu te décidais :o)
Écrit par : Lou | 07/03/2011
Écrit par : rachel | 07/03/2011
Écrit par : claudialucia ma librairie | 08/03/2011
Écrit par : Titine | 08/03/2011
Écrit par : Manu | 09/03/2011
Écrit par : Meloe | 10/03/2011
Écrit par : Edelwe | 10/03/2011
@ Claudialucia : la semaine a été chargée et je n’ai toujours pas vu cette adaptation mais ça ne saurait tarder, et j’en parlerai ici aussi 🙂
@ Titine : en même temps c’est bien aussi de se laisser de telles rencontres pour plus tard, histoire d’avoir chaque année de nouveaux coups de coeur absolus 🙂
@ Manu : j’aurais adoré le lire au lycée, mais on était assez franchouillards et à part Zweig on n’a jamais étudié que des auteurs français je crois !
@ Meloe : oui, j’ai commencé avec un Wilde sublime mon challenge, j’aurai sans doute du mal à trouver les lectures suivantes aussi marquantes… mais j’ai déjà aimé voire adoré mes lectures précédentes alors je ne m’inquiète pas trop !
@ Edelwe : je te le conseille vivement… Peut-être dans le cadre du challenge Wilde ?;)
Écrit par : Lou | 13/03/2011
Écrit par : rachel | 13/03/2011
Écrit par : Lou | 22/03/2011
Écrit par : rachel | 22/03/2011
Écrit par : Lou | 24/03/2011
en tout cas ce soir, il y a un autre film de colin firth a la tele, « le sourire secret des femmes »…bin c une traduction du titre espagnol…;o)
Écrit par : rachel | 25/03/2011
C’est incroyable que tu découvres ce roman juste maintenant, mais mieux vaut tard que jamais !
Je vais essayer de vous suivre pour le 1er mai !
Écrit par : Cryssilda | 01/04/2011
@ Cryssilda : c’est incroyable que tu n’aies pas lu plus de Jane Austen 😉 Pour celui-ci je me le gardais en réserve et j’avais peur d’être déçue… heureusement non, ouf !! génial pour le 1er mai ! j’hésite à créer un groupe sur fb du coup…
Écrit par : Lou | 02/04/2011
Écrit par : Lou | 02/04/2011
Écrit par : rachel | 02/04/2011
Écrit par : Lou | 03/04/2011
Écrit par : rachel | 03/04/2011
Écrit par : Lou | 03/04/2011
Écrit par : rachel | 04/04/2011
Écrit par : Lou | 04/04/2011
Écrit par : rachel | 04/04/2011
Voici ma première contribution au challenge Wilde, génialissime comme tout ce qu’il a fait !
Écrit par : Titine | 06/05/2011
Écrit par : Lou | 08/05/2011
Et voici l’adaptation qui marche aussi pour le challenge « back to the past ».
Écrit par : Titine | 09/05/2011
Écrit par : Lou | 10/05/2011
Écrit par : Marie | 11/10/2013
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