
Alors par moments, pour me couper des propos alarmistes, défaitistes et déprimés qui pullulent en ce monde (malgré – parfois – leur triste parfum de réalité), je me plonge dans les sixties avec leurs bohèmes, les sixties de mes parents à Pattes d’Eph’, à grosses fleurs et à cheveux longs, celles des Beatles qui viennent alors résonner à leur tour dans mon iPod… les sixties de I’ll take you there, un des derniers romans de Joyce Carol Oates.
Première rencontre avec Oates. Auteur majeur aux Etats-Unis mais assez méconnu en France… il devenait impératif de rectifier le tir et de découvrir cette grande dame de la littérature (anglo-saxonne, de surcroît !). Avec un roman à la fois difficile et intense, il faut bien l’avouer.
L’histoire : ayant indirectement causé la mort de sa mère à la suite d’un accouchement difficile, Annellia a toujours suscité le mépris de ses frères, la colère de sa grand-mère et l’indifférence de son père. Enfant en mal d’amour, Annellia devient une jeune fille brillante qui parvient à obtenir une bourse pour étudier la philosophie à Syracuse University. Elle apprend rapidement la mort de son père sur un chantier à l’Ouest. Entraînée par une autre jeune fille, elle intègre la sororité des Kappa Gamma-Pi, dont les membres sont toutes belles, provocantes… mais aussi filles faciles et écervelées ! Endettée, incapable d’assister aux fêtes et réunions de la sororité entre ses études et ses petits boulots, Annellia devient rapidement le mouton noir de la sororité et découvre qu’elle a été admise uniquement pour ses bons résultats et sa capacité à faire les devoirs des autres membres. La jeune femme parvient finalement à quitter la sororité. Fin du premier round.
Deuxième round : Annellia tombe amoureuse de Mathieus, un étudiant noir plus âgé qu’elle. Elle parvient à attirer son attention et entretient avec lui des relations d’abord philosophiques puis sexuelles, chargées de violence et de frustration. Encore une fois, Annellia ne parvient pas à se faire aimer et découvre que Matthieus a déjà été marié avant d’abandonner sa famille.
Troisième round : Annellia découvre que son père est en réalité vivant et apprend par la même occasion qu’il est cette fois-ci réellement à l’agonie. Elle parcourt les Etats-Unis en voiture pour le retrouver et lui dire adieu. Elle y rencontre sa « chère amie » Hildie qui lui apprend que son père a un cancer, qu’une opération l’a défiguré et qu’il ne peut plus s’exprimer normalement. Hildie lui reproche par la même occasion de ne jamais être venue le voir pendant son séjour en prison. Annellia ne proteste pas et prétend avoir su qu’il était détenu. Ayant promis de ne pas regarder son père, elle profite finalement d’un moment d’inattention d’Hildie pour observer le mourant à l’aide d’un miroir. C’est alors qu’elle croise le regard furieux et plein de reproches de son père qui décède à cet instant. Conformément à son testament, elle le fait enterrer auprès de sa mère, au grand dam d’Hildie qui encaisse cependant le chèque de l’assurance qu’Annellia lui envoie – et qui devait constituer son seul héritage.
Verdict : 2-1 pour Joyce Carol ! Une écriture musicale et très exigeante qui place effectivement cet auteur parmi les meilleurs et fait une fois de plus honneur à l’irremplaçable littérature anglo-saxonne. L’histoire douce amère ne peut manquer de trouver un écho en chaque lecteur, rappelant des situations déjà vécues et soulignant avec acuité l’éternelle question de l’altérité et des conflits et blessures qu’elle engendre. Un beau roman qui, sans trop insister sur le contexte des années soixante, évoque clairement les déchirements de l’Amérique à l’époque du Civil Rights Movement.
Seul bémol : sans toutefois se poser en victime, Annellia est un être parfois fondamentalement passif, peu enclin au conflit, et donc prêt à endosser la responsabilité de crimes et méfaits non commis sans broncher, à se dénoncer injustement pour mettre fin à une quelconque tension, à accepter les pires reproches avec philosophie. Ayant désespérément besoin de se faire aimer, elle pardonne immédiatement, s’offre en pâture aux autres et semble concourir volontairement à son propre sacrifice. Vous me rétorquerez que c’est tout à fait normal au regard du portrait intimiste que l’auteur dresse de son personnage. Annellia est d’ailleurs forte à sa manière, résistant aux pires épreuves et excellant en cours dans l’adversité. Pourquoi pas ? Simplement, certains lecteurs auront comme moi envie de saisir à deux mains Annellia, la secouer une bonne fois pour toutes pour lui insuffler un semblant de volonté et de dynamisme, l’empêcher de s’humilier en poursuivant Vernor Matthieus… bref, exiger de mademoiselle un caractère bien trempé !
En résumé, malgré cette mise en garde de votre chroniqueuse qui vous avertit d’ores et déjà que votre héroïne ne sera pas prompte à se défendre, I’ll take you there est une réussite et la marque d’un écrivain incontournable. Une découverte à poursuivre…
290 p
Commentaires
Écrit par : rotko | 26/01/2007
Si vous voulez en savoir un peu plus sur Joyce Carol Oates, voici le forum de Rotko :
http://grain-de-sel.cultureforum.net/FICTION-c1/Litterature-americaine-f2/Joyce-Carol-Oates-t550.htm?highlight=oates
Écrit par : Lou | 26/01/2007
Écrit par : Florinette | 26/01/2007
Écrit par : Lou | 27/01/2007
Écrit par : Caroline | 27/01/2007
Écrit par : Lou | 28/01/2007
Écrit par : Anne-Sophie | 01/02/2007
Écrit par : Lou | 02/02/2007
Je vais aussi l’ajouter à mes livres « à lire ».
Par contre, je ne savais pas que Oates avait écrit un livre sur Marilyn « Blond ». Cela m’intéresse car je pense très bientôt acheter la dernière biographie « Marilyn dernières séances » de Schneider; ce livre m’attire.
Écrit par : carole | 04/02/2007
Écrit par : Lou | 04/02/2007
Mais je pense d’abord lire « Blonde » car les diverses critiques que j’ai lues sur le net sont positives.
A suivre dans les prochaines semaines sur mon blog….
Écrit par : carole | 04/02/2007
Écrit par : Lou | 04/02/2007
Comme toujours, il y a beaucoup de violence, sentiments, amours, confrontations physiques, tracés de vie très difficiles … mais quelle résilience!
Contente d’avoir lu un compte-rendu de celui-ci, qui me semble attrayant aussi. Cette dame est une grande dame de la littérature, vraiment!
Écrit par : Edmée De Xhavée | 07/06/2009
Je la lis aussi en anglais. J’ai commencé à la découvrir en VO et je ne me vois pas passer maintenant au français. J’ai en attente « the Gravedigger’s daughter », ainsi que trois autres titres dont » We were the Mulvaneys », que je dois normalement lire ce mois-ci.
Écrit par : Lou | 07/06/2009
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