Cher Sigmund…

medium_pamuk_chateau_blanc.JPGAujourd’hui, mon livre et moi nous sommes placés côte à côte face à un miroir. Encadrés par les crèmes, gels, brosses et dentifrices qui ornent la salle d’eau où trône cette glace, mon livre et moi nous sommes longuement interrogés sur la vérité profonde du pourquoi moi et pourquoi les autres. Si mon livre se dit moi mais que je me reconnais dans ses pages, suis-je le miroir de mon livre ou l’incarnation vivante de ses mots ? Mon livre me ressemble-t-il ou cherche-t-il à me le faire croire ? Et si je n’ai pas dit ce qu’il dit que j’ai dit, alors ai-je dit ce que je n’ai pas dit ou oublié que mon livre l’avait dit avant moi ?

N’aie crainte, lecteur avide de scandales, de passions, de drames, de folie et de funestes troubles de la personnalité ! Mon livre et moi sommes nous-mêmes ou peut-être lui moi et moi lui ou peut-être ni l’un ni l’autre ou simplement le reflet d’un autre et de son livre dans la glace de sa salle de bain. Pas de psychomachintruc ici, pas de thérapie surtaxée ni de fausses analyses détaillées du moi profond… d’ailleurs, je m’en vais me défaire de mon livre, le brûler, briser mon miroir et me retrouver enfin !

Ouf, il s’en est fallu de peu pour que mon livre et moi-même sombrions dans la plus pathétique décadence en nous livrant à ce petit jeu de rôle. Si j’y échappe avec soulagement, je ne regrette cependant pas mon intrépide plongeon dans les profondeurs du Château Blanc d’Orhan Pamuk.

Prix Nobel de littérature depuis peu, Pamuk a attiré mon attention à juste un titre avec ce beau roman serti d’une couverture fleurant bon les contrées lointaines et les déserts mélancoliques. Autobiographie d’un Italien capturé par les Turcs et devenu esclave, ce récit se déroule sous le règne de Mehmet IV, au XVIIe. Le héros y relate ses aventures à la cour et sa participation à de gigantesques projets faisant appel aux connaissances scientifiques les plus abouties à l’époque, mais aussi au génie de deux hommes suffisamment fous pour chercher à changer le cours des choses par leurs inventions et leurs réflexions sur la condition humaine.

Parce qu’il semblait transcender les cultures, Le château blanc m’a tout de suite séduite. En réalité, le récit se déroule uniquement en Turquie et la culture italienne n’occupe qu’une place mineure dans le récit. Peu importe. Le style est agréable, l’histoire se lit avec plaisir et, malgré quelques longueurs et redondances, ce roman est un beau conte prêt à faire rêver les Modernes que nous sommes.

Mais gare à vous si vous poussez la porte du château les yeux fermés. Soyez au guet, attentifs à chaque bruit, à chaque remarque et surtout, à chaque non-dit. D’emblée, le narrateur inquiet pour son lecteur le met en garde : il lui annonce que le présent livre est en réalité la transcription d’un véritable récit retrouvé récemment dans les archives nationales. Certes, il s’agit bien de la prétendue autobiographie d’un Italien devenu esclave à Istanbul. Mais les incohérences ne manquent pas dans son récit. Il décrit par exemple la peste alors que celle-ci n’est évoquée dans nul autre document historique de l’époque. Prenons donc ce manuscrit avec précaution et n’accordons pas trop d’importance à ce que nous raconte cet énergumène enclin à la fabulation.

Nous voilà maintenant plongés dans le récit douteux d’une vie exceptionnelle… mais voilà que le doute surgit à nouveau. Le nouveau maître de notre héros lui ressemble trait pour trait et ne semble pas s’en émouvoir, ni même y prêter attention. Coïncidence ? Non, car dans une relation faite de passion et de haine, les deux personnages vont subir l’influence de l’autre, la rejeter, l’ignorer, la dénoncer, la rechercher pour la rejeter à nouveau… l’un devient l’autre ou l’un a toujours été l’autre, le doute subsiste jusqu’à la fin du récit. C’est alors que maître et esclave changent de rôle. Le maître s’enfuit en Italie et rejoint la fiancée de l’esclave, qui lui se fait passer pour le maître, premier astrologue à la cour. Vérité ou mensonge ?

Le récit s’achève alors que l’ancien esclave évoque la venue d’un personnage persuadé que le maître devenu esclave en fuite est bien l’Italien pour qui il se fait passer. Cet homme lit alors les mémoires que nous venons de parcourir. Et le voilà pris d’un doute, il refuse, puis admet l’échange… connaissons-nous alors la véritable identité du narrateur ? Sans aucun doute ! Oui, mais… c’est alors que l’homme s’exclame et cherche compulsivement un passage déjà lu. Incohérence ? Et nous voilà, pauvres lecteurs, abandonnés lâchement sur ce dernier sursaut, en proie au doute et franchement ravis de cette fin qui compense largement les quelques longueurs du récit…

A recommander également pour les lecteurs habituels d’Amin Maalouf !

259 p

Commentaires

bravo pour ta remarquable présentation.
j’ai un ami fan de lui . il comprend , lit et parle turc.
J’hésitais à le lire.
Tu m donnes vraiment envie.

Écrit par : Gioria | 16/01/2007

@ Marc Gioria : tu ne pouvais pas me faire de plus beau compliment ! 🙂

Écrit par : Lou | 16/01/2007

Orhan Pamuk m’intéresse de plus en plus. Je ne l’ai pas encore lu mais je compte bien le faire bientôt! J’ai noté quelques uns de ses livres: Neige, La vie nouvelle, et maintenant celui-ci qui me tente bien! 🙂

Écrit par : Allie | 16/01/2007

Cest vraiment une très jolie description et je le note dans mes prochaines lectures..j »ai vraiment envie de le découvrir.

Écrit par : beatrix | 17/01/2007

@ Allie : j’attends avec impatience tes futures critiques sur cet auteur !

@ Beatrix : je suis ravie de t’avoir donné envie de découvrir ce roman 🙂 j’espère qu’il te plaira autant !

Écrit par : Lou | 17/01/2007

Un roman qui me tente aussi, merci pour ta critique.

Écrit par : Caroline | 18/01/2007

Du même auteur j’ai La vie nouvelle qui m’attend bien sagement sur ma table de chevet. 😉

Écrit par : Florinette | 18/01/2007

@ Caroline : n’hésite pas à me faire part de ton avis une fois que tu l’auras lu !

@ Florinette : je compte bien découvrir ses autres romans prochainement 🙂

Écrit par : Lou | 19/01/2007

Il est dans ma PAL (et celle de mon homme). Et je me suis engagée à lire « Mon nom est rouge » dans mon challenge 2007.
J’ai hâte de lire ces deux romans après la lecture de ton billet.

Écrit par : katell bouali | 27/01/2007

@ Katell Bouali : merci pour ton petit mot ! Je viens quant à moi de recevoir « Neige » pour mon anniversaire… a priori très différent de ce livre-ci, j’ai hâte de le découvrir !

Écrit par : Lou | 27/01/2007

Ce livre est en attente sur ma PAL depuis quelques mois déjà. Je te remercie pour ton compte-rendu qui m’éclaire un peu sur ce qui m’attend à la lecture de ce roman. Je ne suis pas un spécialiste de Pamuk, mais je ne peux que te conseiller ( si tu ne l’as pas encore lu) la lecture de « Mon nom est Rouge » que j’ai adoré. On a depuis quelques années l’habitude de comparer à tort et à travers de nombreux romans au « Nom de la Rose » d’ Eco. C’est souvent bien trop flatteur pour des romans qui ne méritent pas ce compliment; par contre « Mon nom est Rouge » est à mon avis capable de supporter la comparaison.
Mais je m’égare….Donc merci encore une fois pour tes impressions sur ce roman.
Bonnes Lectures

Écrit par : Pascal | 08/02/2007

@ Pascal : « Le château blanc » est ma première lecture de Pamuk, mais je ne compte pas m’arrêter là… ton commentaire me donne particulièrement envie de lire « Mon nom est Rouge » car pour oser la comparaison avec Eco, il faut effectivement avoir été conquis ! Merci encore !

Écrit par : Lou | 09/02/2007

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