Vanessa Springora, Le Consentement

Quand Le Consentement est sorti l’an dernier, j’ai hésité à me lancer dans sa lecture. Je le voyais fleurir partout mais n’étant pas forcément une grande adepte des témoignages et autobiographies qui fleurissent en France, j’hésitais.

La sortie en poche m’a décidée (d’autant plus que le texte de Camille Kouchner récemment paru nous interpelle également sur ce sujet). Je me demandais si j’allais adhérer à la démarche de l’autrice. Lavage de linge sale en public ou texte nécessaire ? Clairement, je pencherais pour la deuxième alternative.

Vanessa Springora revient sur sa relation avec G.M., l’écrivain Gabriel Matzneff. Publiant environ un livre par an, l’homme est un provocateur qui attire l’attention avec un texte intitulé Les Moins de seize ans dans lequel il fait semble-t-il l’éloge d’une sexualité consentante entre adultes et mineurs. Il publie, outre ses romans, des journaux dans lesquels ses « conquêtes » sont mises en avant. Apparemment, les termes sont parfois crus. Il est question de collégiennes mais aussi de petits garçons débauchés à Manille. Autant dire qu’entre la séduction facile d’adolescentes (une période de la vie où beaucoup se déprécient et ont besoin d’attention) et le recours à la prostitution d’enfants pauvres, le personnage est un véritable salopard. Cultivé, et séduisant il y a trente ans, certes. Mais un type dont l’œuvre littéraire est semble-t-il émaillée de références complaisantes à la pédophilie, quand il ne s’agit pas d’une apologie assumée. Un auteur reçu dans Apostrophes, la grande émission littéraire des années 80-90, où seule une intervenante canadienne s’est permis de le remettre à sa place. Un auteur également publié par plusieurs maisons d’édition, et pas des moindres.

Vanessa Springora nous parle de son enfance avec un père absent et violent verbalement. De sa sexualité précoce. Puis à l’adolescence, alors qu’elle évolue dans le milieu littéraire parisien dans lequel sa mère travaille, la rencontre avec Matzneff. Tout le monde connait les préférences sexuelles de l’auteur, mais il est pourtant bienvenu au sein de ce petit cercle. Vient le début de la relation amoureuse, à laquelle la mère ne s’oppose pas vraiment. Et quand la rupture arrive, initiée par Vanessa, sa mère lance, attristée : « Le pauvre, tu es sûre ? Il t’adore ! » Par la suite, l’écrivain publie des textes traitant de leur histoire. On comprend au fil du récit à quel point la frontière entre sexualité et littérature est ténue pour lui. A la fois parce qu’il se complait à décrire ses relations « amoureuses », mais aussi parce que Vanessa le suspecte d’aimer créer le drame, de pimenter la relation de façon à avoir quelque chose d’un peu plus consistant à raconter sur le plan littéraire.

Vanessa Springora écrit ici sa propre histoire, celle dont elle a été dépossédée à travers les écrits de son ancien amant. Et c’est ce point qui m’a fait saisir toute l’importance de sa démarche. Sans ce texte, elle serait restée cette figure de papier, jeune fille parmi d’autres au sein de l’œuvre d’un écrivain encensé par certains. Jeune fille détruite par l’image qui est donnée d’elle, par son portrait ensuite découvert par des professeurs, des proches. Il était juste qu’elle donne sa version des faits. Et si cela permet au passage de dire tout haut ce que le gratin littéraire validait tacitement, tant mieux. Gabriel Matzneff sera jugé en septembre 2021 pour apologie du crime et ses journaux ne seront plus publiés par Gallimard, suite à l’écho du Consentement. Si sa notoriété d’écrivain est probablement bien derrière lui, il risque probablement d’attirer de nouveau l’attention du public dans un contexte bien moins glorieux. On ne peut que se demander dans quel pays on vit après avoir lu ce titre autobiographique. Il ne s’agit pas de coucheries plus ou moins secrètes, comme celles de nos différents Présidents, sujet qui alimente chaque décennie la presse à scandale mais n’en reste pas moins du domaine du privé, ou de news people plus ou moins glorieuses si elles sont publiées. Que l’entourage, les éditeurs, les journalistes, la gauche caviar (et peut-être d’autres aussi) n’aient pas été capables de faire la différence entre potins de quai de gare et crime sur mineur, cela laisse pantois.

J’ai lu ce roman en une soirée, ce qui m’arrive très rarement. Impossible de le reposer une fois commencé. Il faut dire que je m’interroge beaucoup sur l’affaire Matzneff et son rapport avec le milieu de l’édition depuis que j’ai découvert cette affaire. On peut saluer Vanessa Springora pour son courage. A la fois parce qu’elle s’oppose à une figure littéraire soutenue de longue date par la classe intellectuelle et les héritiers vieillissants de la philosophie soixante-huitarde. Mais aussi parce qu’elle se dévoile beaucoup et prend le risque d’être jugée, par ses proches et de parfaits inconnus.

Au passage, et peut-être de façon étonnante, Vanessa Springora m’a redonné envie de découvrir Lolita de Nabokov. Roman que j’hésite à lire depuis plus de dix ans, et dont le sujet m’inquiétait un peu. Elle oppose Matzneff à ce roman. Là où son ancien amant est systématique dans ses choix de partenaires enfants ou adolescents, et n’affiche aucun regret, le profil du personnage de Nabokov semble plus complexe et torturé.

Enfin, faut-il lire Matzneff ? C’est la question que je me posais avant de lire Le Consentement. Après l’avoir lu, et après avoir parcouru le résumé d’un certain nombre de ses livres (et quelques avis), la réponse tend vers la négative. En toute honnêteté, j’hésite tout de même à lire un des textes publiés par une maison en particulier, que j’apprécie énormément, pour tenter de comprendre ce choix de le publier en toute connaissance de cause.

215 p

Vanessa Springora, Le Consentement, 2020

9 thoughts on “Vanessa Springora, Le Consentement

  1. Je commence à me dire que je vais le lire en fin de compte. Cette histoire me paraît dingue, le milieu artistique était vraiment criminel à l’époque (Eva Ionesco, Polanski, Springora…).
    La comparaison avec Nabokov m’intéresse aussi.

    1. Il me semble que tu avais lu « Lolita », non ? J’avais seulement lu un recueil de nouvelles de Nabokov. Je connais moins l’affaire Eva Ionesco mais tu me la remets en mémoire. Je pense aussi à tous les intellectuels qui ont signé des pétitions en faveur de délinquants sexuels. Des politiques comme Jack Lang mais aussi une palanquée d’écrivains et philosophes majeurs ! Et puis aujourd’hui il y a l’affaire Duhamel. Pour le coup j’ai bien envie de lire « La Familia Grande », peut-être en poche mais cela a l’air d’être plus large que ce qui en est majoritairement dit dans les médias.
      Et j’étais un peu comme toi, pas tout à fait certaine de lire « Le Consentement » jusqu’à mon achat d’impulsion.

  2. Et je te dirais non…car ses ecrits, il fait l’apologie de la pedophilie….il n’y a pas de difference entre l’artiste et l’homme…oui vraiment toute une histoire et bravo a Vanessa Springora…

    1. Je suis plus partagée, bien qu’incertaine. Il semblerait que ses journaux soient à proscrire en effet (et comment ont-ils pu être publiés à l’origine, on peut se le demander), mais que tous ses romans ne soient pas aussi explicites. Et je ressens le besoin de comprendre pourquoi certaines maisons d’édition ont choisi de publier cet auteur malgré tout, parce que cela me travaille un peu.

  3. Je t’avoue que si je crois le texte de Springora nécessaire, je ne me sens pas prête à le lire. Mais ton billet me conforte dans l’idée que c’est un texte important !

    1. J’avais un peu le même avis que toi avant, mais finalement la lecture n’a pas été aussi éprouvante que je le pensais. En revanche elle est édifiante.

  4. Cette femme a eu un courage dingue, je comprends tout à fait pourquoi elle a écrit ce livre, qui a sans doute fait du bien à la société en dénonçant à la fois des agissements et un silence étourdissant de la part de l’entourage de cet homme. Je ne ressens aucune envie de lire Matzneff, mais je dirais que si on le souhaite, il faudrait éviter de lui rapporter de l’argent en empruntant ou achetant en seconde main ses livres (c’est mon avis tout personnel bien entendu). J’ai lu Lolita il y a longtemps et ce livre en vaut la peine, par contre. Le personnage est torturé, oui, je dirais même qu’il apparait comme mentalement malade au cours de la lecture. Le style de Nabokov est d’une beauté et le début et la fin de ce livre sont grandioses. Je ne trouve pas qu’on puisse dire que c’est une apologie de la pédophilie, en revanche, c’est bien un livre qui met mal à l’aise. Tu devrais le lire pour te faire un avis ! 🙂

    1. Merci pour ton conseil sur Nabokov :o) Je me suis enfin offert l’édition qui me faisait envie depuis longtemps. Je suis assez d’accord concernant Matzneff et ses droits d’auteurs. Je n’arrive pas à réaliser à quel point il a vraiment marqué son époque. J’ai interrogé quelques personnes autour de moi qui ont aujourd’hui 60 ou 70 ans et ça ne leur disait pas grand-chose alors qu’elles lisent beaucoup – pas forcément énormément de littérature française contemporaine ceci dit. Et oui pour Vanessa Springora, son texte dénote d’un grand courage.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *