Carine Hazan, jean-jacques

Aujourd’hui, place à jean-jacques, en lettres minuscules, rondes et dodues, de Carine Hazan. Un petit tour sur Deezer. Je cherche « Jean-Jacques Goldman. » Allez hop ! Commençons par le début. On lance « Quand la musique est bonne », premier album de 1982. Les titres de Goldman sont pour moi un joyeux mélange de tubes entendus à la radio sans prêter attention à l’année de sortie, contrairement à Carine Hazan dont on sent qu’elle maîtrise parfaitement la discographie du chanteur, avec ses réussites et ses erreurs de parcours. On ne peut pas dire que je connaisse bien Goldman, même s’il m’est sympathique et que je fredonne volontiers ses titres sur la route des vacances, quand une séquence Nostalgie vient ponctuer les premières heures à forte tendance rock indé. D’ailleurs, c’est seulement maintenant que je viens de faire attention aux paroles de « Comme toi » (« Calme toi », comme l’a chanté avec enthousiasme ma fille de quatre ans en l’entendant), et de faire le rapprochement avec le célèbre titre de Tatiana de Rosnay.

Avec cette jolie couverture qui invite à buller et sortir de vieux disques, je m’attendais à un roman feel good sur les traces de Goldman. Peut-être un road trip fait de rencontres improbables avec d’autres amateurs. De concerts. De mojitos. De guitares. Et une héroïne qui ressort boostée pour la vie par cette aventure et la rencontre avec son idole.

Il y a un peu de tout ça dans ce roman (les mojitos en moins peut-être), mais surtout beaucoup plus.

Fan du chanteur à l’adolescence, dans les années 1980, Carine a brutalement coupé court à sa passion en réalisant que Jean-Jacques et elle, c’est une histoire d’avance vouée à l’échec. Pour se préserver, elle range tous ses disques et passe à autre chose. C’est aussi plus commode à vrai dire, car dans le milieu social parisien un peu snob dans lequel elle grandit, écouter de la variété française est inconcevable.  On peut écouter Bowie ou du jazz par exemple, mais Jean-Jacques, un chanteur populaire, c’est un peu honteux. Alors à l’embarras de cette prédilection encombrante va succéder une période d’éducation au bon goût à laquelle participent ses proches et notamment ses amis. Carine découvre l’ambiance feutrée d’autres salles de concert, apprend à apprécier ce qu’il est de bon ton de connaître. Puis pour suivre son conjoint, à 44 ans, elle quitte Paris pour Marseille. C’est l’horreur, pour elle qui se sent parisienne jusqu’au bout des ongles. Marseille c’est la crasse, la violence, ce parler bien particulier, et les déchets qui remontent à la surface de l’eau les jours de grand vent. Et polluent accessoirement l’image qu’elle se fait de la mer. Vous savez, cette image qui vous vient spontanément à l’esprit quand vous fermez les yeux et invoquez un lieu apaisant.

Carine est rattrapée par sa passion pour Jean-Jacques, qui est censé y habiter. En 2016, elle décide de partir en quête du chanteur en réalisant un documentaire sur lui. Il est temps d’admettre qu’elle n’a jamais vraiment oublié ses premiers émois d’adolescente, l’intensité des concerts, les préparatifs pour se faire belle, la file d’attente, les « Jean-Jacques je t’aime » hurlés depuis la fosse.

Sur la forme, le documentaire ne manque pas de sel, puisque le principal protagoniste étant absent, c’est sa quête que Carine filme. Les amis à qui elle annonce son projet (dont beaucoup sont navrés). Ses déambulations dans un marché vide où le chanteur est venu plusieurs jours acheter du poisson. Les tentatives infructueuses visant à récupérer le numéro de ses contacts professionnels. Et une séquence d’anthologie où Carine recrute cinq sosies (plus ou moins ressemblants), cinq Jean-Jacques qui finiront par marcher puis danser avec elle dans un moment de communion hallucinée. Mais il faut bien qu’elle se lance, à la fin, parce que pour passer à autre chose, c’est bien le vrai Goldman qu’elle devrait rencontrer.

jean-jacques est un roman intelligent mais aussi touchant, porté par une plume alerte, tantôt piquante et drôle, tantôt plus vulnérable et attachante. Ce roman est d’abord celui d’une femme d’un certain milieu social et intellectuel, évoluant dans le secteur artistique, qui même adulte et mère, ne s’est pas encore vraiment affirmée. Qui, à force de vouloir rentrer dans le moule, s’est un peu perdue en route. Comment ne pas être sensible à cette honnêteté, qui n’est pas sans nous ramener à nos propres contradictions ? Il y a ensuite la condition de fan – ce terme détestable – parfaitement retraduite. Cette passion dévorante à l’adolescence, ce mélange de bonheur euphorique et de vide absolu qui parlera forcément à de nombreux lecteurs. Il y a aussi Marseille et un rapport ambigu à la ville, qu’on aimerait malgré tout explorer sur les traces de Carine et de Jean-Jacques (le vrai ou l’imaginaire). Et bien sûr, Jean-Jacques Goldman, qu’on a envie d’écouter et de mieux connaître après avoir passé ces heures de lecture en sa compagnie, rêvée ou non. Mon exemplaire truffé de post-its montre à quel point je me suis régalée, aussi bien sur le fond que la forme. Emportée, parfois en apnée, j’ai connu là mon premier coup de cœur littéraire de l’année.

237 p

Carine Hazan, jean-jacques, 2021

6 thoughts on “Carine Hazan, jean-jacques

  1. Ben alors, c’est étonnant comme livre ! Je note ça de ce pas, ça a l’air chouette !
    J’avais appris « Comme toi », au collège, les paroles sont tellement belles et terribles à la fois.

    1. J’ai complètement redécouvert hier la chanson, ça m’a scotchée et j’ai du mal à me la sortir de la tête. Je me disais qu’en quelques mots, il arrive à nous projeter immédiatement à cette époque et à nous faire sentir toute la tragédie de cette époque. Ma puce vient d’avoir sept ans alors quand j’entends « Elle n’avait pas huit ans » évidemment je fais le parallèle douloureux.

    1. Oh là là, tu ne peux pas passer à côté alors ! ;o) (ça y est tu me l’as remise dans la tête) Bises et bon week-end !

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