Romain Meynier, L’Île blanche

« Lire Romain Meynier, c’est comme ne rien faire, en mieux. » Peut-être, mais après avoir lu Revoir Marceau et maintenant, L’Île Blanche, j’ai tout de même l’impression d’avoir traversé la France en suivant des chemins bien hasardeux et survécu à un incendie sur une petite île proche de la Sicile. C’est presque épuisée de n’avoir rien fait mais tout vécu par procuration que je vais rédiger ma chronique, opérer quelques flexions du poignet et poursuivre avec un ou deux étirements – en espérant ne pas me fouler une vertèbre comme un certain personnage. Puis rejoindre le hamac le plus proche, qui me semble être un lieu bien plus sûr que l’île blanche de ce roman. Quoique.

Anti-héros en devenir, le narrateur vient d’épouser Hélène sur une petite île. Le bal vient d’avoir lieu et a réservé une surprise à la mariée, puisque son nouvel époux a troqué son costard pour un déguisement de Batman. Discutant de ce choix incongru à quelques centaines de mètres du chapiteau où s’amusent leurs invités, le couple fume, et le narrateur va négligemment jeter une cigarette encore incandescente par terre. L’air est chaud et sec et peu de temps après, le feu prend et embrase l’île, chassant brusquement les invités des alentours du manoir et menaçant ensuite l’île dans son ensemble. Le couple est contraint de rester en Sicile pendant que l’enquête se poursuit. Alors que Revoir Marceau évoquait un (drôle de) road movie, la fuite prend d’autres formes ici. Fuite des responsabilités, fuite des ennuis qui vont s’accumuler.

J’ai retrouvé beaucoup d’aspects de Revoir Marceau qui m’avaient plu, mais il m’a semblé que la prose de Romain Meynier s’épanouissait ici encore plus. On retrouve les points communs. A commencer par l’humour, avec ces courtes remarques incongrues qui, régulièrement, viennent casser le rythme et le sens d’un paragraphe par leur côté décalé. Par exemple : Il roule vite sans être trop rapide (p 65). Ou cette dispute autour d’un espresso qui se termine par un commentaire sur la qualité du café. Et ainsi de suite.

Le narrateur est un gaffeur, qui a fichu le feu à l’île, causé du tort sans le vouloir et qui se trouve totalement désemparé face à cette situation. Sauf qu’avec Romain Meynier, le désarroi ne s’affiche pas à coup de vague à l’âme, de lamentations et de désespoir. Non. Son narrateur va plutôt se promener plus que nécessaire en leggings moulants et coque noire. Se cacher accroupi et avancer élégamment, en canard par exemple. Se cacher derrière un cactus. Craindre un cuisinier à la terrible pelle à tarte. Se réveiller face à une inconnue et se mettre à faire de la gym pour donner le change. Chercher désespérément du papier toilette à un instant dramatique. Lorsqu’il s’aperçoit du début de l’incendie, il ne réagit pas : Je me dis tiens, ça c’est quelque chose, ça risque d’égayer la fête (p19). Et un peu plus tard, dans l’énorme brasier, alors qu’il peine à s’enfuir avec Hélène et Emilio, le serveur venu à sa rescousse : Je pense que tout est peut-être un peu foutu pour aujourd’hui (p 32).

Longtemps, dans ma vie, j’ai été prisonnier de choix sots, d’impulsions mal placées. Le plus grand problème était moins de me mettre dans des situations embarrassantes que d’y enchaîner mes proches. Je manquais parfois de discernement, et comblais cette carence par diverses actions étranges ayant pour but d’égayer un réel trop platonique à mon goût (p 54).

Mais au-delà de la touche humoristique bien reconnaissable, dans ce deuxième roman, la structure narrative est plus développée, les personnages secondaires plus fouillés, même si le protagoniste principal n’est bien sûr pas sans rappeler celui de Revoir Marceau.

Il y a ici un mélange de situations cocasses, de personnages surréalistes, grotesques et attachants, de phrases rythmées, soigneusement articulées et de blagues inattendues. On savoure le texte, on se bidonne aussi et on ne peut qu’espérer que le narrateur, malgré ses choix improbables, saura se tirer de ses mauvais pas. Un voyage en Sicile à ne pas manquer !

Un roman à partager avec le joli challenge Il Viaggio.

153 p

Romain Meynier, L’Île blanche, 2020

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