Si je devais nommer dix ou mêmes cinq auteurs parmi mes favoris, Vita Sackville-West y occuperait assurément une place de choix. Petit à petit, à raison d’une à deux lectures par an, je poursuis la découverte de son oeuvre avec un plaisir toujours renouvelé. Initialement lu pour la lecture commune consacrée aux femmes écrivains du XXe, The Heir est une novella rédigée par une Vita encore jeune et choquée par l’attitude d’un Sud Américain de sa connaissance alors qu’ils visitaient ensemble une demeure, mise en vente suite au décès de sa propriétaire.
Sur le fond, ce texte pourrait aujourd’hui déplaire par certaines valeurs qu’il défend. A la mort de la vieille et autoritaire Miss Chase, le domaine de Blackboys doit revenir à son neveu. Celui-ci est absorbé par sa vie dans un bureau, une vie que le lecteur imagine rapidement étriquée et sans intérêt. Au décès de sa tante, le jeune homme regrette de devoir laisser à d’autres le soin de gérer ses affaires le temps de régler la succession, qui ne semble pas éveiller un grand intérêt chez lui. Le récit va s’articuler autour de Blackboys : la propriété sera-t-elle vendue et morcelée ? Restera-t-elle aux mains de la famille des Chase, qui y ont toujours vécu ?
Chase est accompagné dans la succession par les deux notaires de sa tante. Mr Farebrother, âgé, un peu ridicule, toujours optimiste et positif dans ses remarques qui ne sont que rarement constructives.´Very sad, too, the death of your aunt,´he added. ´Yes,´said Chase. ´Well, well, perhaps it isn’t so bad as we think,´said Mr Farebrother, causing Chase to stare at him, thoroughly startled this time by the extent of the rosy old man’s optimism (p 23). On le sent attaché à Blackboys et aux Chase ainsi qu’au monde suranné auquel ils renvoient.
Son associé, Mr Nutley, est énergique et ambitieux. Bien décidé à tirer son épingle du jeu, il voit le décès de Miss Chase comme une belle opportunité pour lui et s’adresse à Mr Chase comme si tout était déjà décidé : méprisant le domaine de Blackboys – et surtout visiblement envieux – il propose d’en organiser la vente, en le divisant en différents lots (cottages, terrains constructibles, maison…). Si au début il semble surtout efficace, il va rapidement devenir de plus en plus antipathique en outrepassant ses fonctions, pénétrant comme bon lui semble dans la propriété et manifestant de l’agacement envers Mr Chase lorsque celui-ci s’installe pour un moment au manoir ou rend visite à ses locataires. And under his irritability was another grievance : the suspicion that Chase was a dark horse. The solicitor had always marked down Blackboys as a ripe plum to fall into his hands when old Miss Chase died – obstinate, opinionated, old Phillida Chase. He had never considered the heir at all. It was almost as though he looked upon himself as the heir – the impatient heir, hostile and vindictive towards the coveted inheritance (p 34).
Deux mondes s’opposent dans ce récit. Celui où vit une petite noblesse de campagne, attachée à ses terres par les liens du sang, indéfectibles. Et, en face, l’ambition d’une petite bourgeoisie montante, besogneuse, avide de réussite et jalouse de cet attachement naturel qu’elle méprise ouvertement. Vita Sackville-West prend clairement parti en faveur du premier système de valeurs évoqué.
Elle s’appuie pour cela sur le personnage de Mr Chase, au début insignifiant, happé par son travail et peu satisfait sur le plan personnel. Au contact de Blackboys, Chase va sentir un lien se créer entre le domaine et lui. Alors qu’il vient de la ville, il se passionne soudain pour ses terres, son jardin, les paons de sa tante (que le notaire Nutley a en horreur). Comme un propriétaire terrien qui aurait grandi et vu faire cela toute sa vie, il va rendre visite à ses locataires, qui le considèrent avec respect et affection. Blackboys le grandit : d’insignifiant, il devient Mr Chase of Blackboys, dont la légimité n’est jamais questionnée par les habitants, ni le personnel du domaine. Il devient assuré, heureux et comblé ; c’est avec un grand naturel qu’il prend en peu de temps son rôle de petit châtelain. He absorbed it in the company of men such as he had never previously known, and who treated him as he had never before been treated – not with deference only, which would have confused him, but with a paternal kindliness, a quiet familiarity, an acquaintance immediately linked by virtue of tradition. To them, he, the clerk of Wolverhampton was, quite simply, Chase of Blackboys. He came to value the smile in their eyes, when they looked at him, as a caress (p 31).
Nutley est outré de voir Chase prendre part à la vie de Blackboys et réalise alors que la vente et le morcellement de la propriété ne sont pas encore actés. Néanmoins, alors qu’il sent que Chase devient de plus en plus réticent, il poursuit son travail. Impitoyable, il fait venir des experts pour estimer les biens et tente de se promener sur les lieux comme s’il était le réel décisionnaire. Le récit est tourné de telle sorte que le lecteur est obligé de se sentir proche des Chase et de détester cet individu qui essaie de remettre en question ce qui ne saurait l’être selon Vita Sackville-West. Même s’il est difficile de ne pas lire ce texte avec une certaine distance critique aujourd’hui, il est impossible de ne pas espérer que la vente ne se fera pas.
To part the house and the land, or to consider them as separate, would be no less than parting the soul and the body (p 42).
(…) The mute plea of his inheritance, that, scorning any device more theatrical, quietly relied upon its simple beauty as its only mediator (p 54).
Un texte très intéressant et émouvant. Encore une belle rencontre avec Vita Sackville-West.
Et d’autres titres de cet auteur chroniqués ici :
- Sackville-West Vita, Paola
- Sackville-West Vita, Plus jamais d’invités !
- Sackville-West Vita, The Edwardians
- Sackville-West Vita, Toute passion abolie
- Sackville-Est Vita, Le diable à Westease
92 p
Vita Sackville-West, The Heir, 1922
Commentaires
L’année prochaine, il faudra que j’inscrive l’un ou l’autre classique à mon mois anglais et Vita Sackville-West devrait en faire partie ! Est-ce que cette novella est traduite en français ?
Écrit par : Anne | 28/06/2015
une novella que je ne connais pas du tout, je note 🙂
Écrit par : niki | 28/06/2015
Il faut que je découvre cet auteur… je ne trouve jamais de roman d’elle, je ne comprends même pas pourquoi!
Écrit par : Karine:) | 28/06/2015
@ Anne : je ne crois pas qu’elle soit traduite même si je n’en suis pas sûre. J’ai également découvert lors de mon dernier séjour à Londres que l’éditeur anglo-saxon est classé parmi les éditeurs indépendants et ainsi mis à part chez Waterstones. Je ne sais pas s’il y a donc beaucoup de tirages de ce titre.
@ Niki : elle mérite le détour !
@ Karine:) : quelque part tu as de la chance de ne pas l’avoir encore lue… que de belles lectures devant toi !
Écrit par : Lou | 29/06/2015
et bin meme toi, tu es du cote de chase, a lire ta critique…humm quel suspens…oui cela donne envie de lire…je reste attacher aux vieilles pierres..une eglise qui disparait est pour moi un desastre…l’histoire quoi….en tout cas oui cela donne envie de lire…
Écrit par : rachel | 29/06/2015
@ Rachel : je suis sensible aussi aux vieilles pierres et j’aime savoir qu’une maison a une histoire, un passé connu et si possible transmis. Cela me touche toujours beaucoup. A la le lecture, je voyais tout le côté un peu réactionnaire de cette petite noblesse de campagne, et pourtant j’étais touchée par ce domaine et son héritier et comprenais le point de vue de Sackville-West.
Écrit par : Lou | 29/06/2015
mais le probleme, le Nutley fait trop arriviste donc cela nous « force » a etre du cote de la noblesse de campagne..c dommage…;)
Écrit par : rachel | 29/06/2015
je ne connais pas non plus! encore un auteur à découvrir!
Écrit par : Eimelle | 30/06/2015
J’ai un beau souvenir des nouvelles que j’ai pu lire de cette auteur. Elle n’est pas dans mon top 3 mais je découvrirais volontiers autre chose d’elle !
Écrit par : Praline | 02/07/2015
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