Among the many problems which beset the novelist, not the least weighty is the choice of the moment at which to begin his novel. It is necessary, it is indeed unavoidable, that he should intersect the lives of his dramatis personae at a given hour ; all that remains is to decide which hour it shall be, and in what situation they shall be discovered. (p9) En l’occurrence, après ces quelques lignes d’ouverture, nous découvrons Sebastian alors qu’il vient de se réfugier sur les toits de Chevron pour fuir les invités de sa mère et les mondanités qui les accompagnent.
Sebastian enjoyed all the charm of patrician adolescence (p13). The Edwardians fait pénétrer le lecteur dans un monde clos, sur le point de disparaître, cette aristocratie anglaise qui jouit d’une vie privilégiée, aveugle à l’évolution de la société, en équilibre précaire entre une époque victorienne un peu poussiéreuse et un nouveau siècle symbole de modernité. Malgré les progrès de la science, l’arrivée des automobiles, les suffragettes, ce monde suranné stagne et se caractérise par un mode de vie oisif, que commence toutefois à mettre en question dès les premières pages un observateur extérieur, Leonard Anquetil. Invité à Chevron par la duchesse, la mère de Sebastian – duc et propriétaire de Chevron, Anquetil est un aventurier, un explorateur dont les exploits ont été relatés dans les journaux, ce qui lui vaut une invitation à l’une de ces prestigieuses sauteries entre nobles anglais. Il y vient avec un regard critique, prêt à observer ces rites médiévaux comme il pourrait le faire lors de ses voyages avec une tribu méconnue.
The members of the house-paty, though surely spoilt by the surfeits of entertainment that life had always offered them, showed no disposition to be bored by each other’s familiar company, and no inclination to vary the programme which they must have followed on inumerable Sunday afternoons since they first emerged from the narrowness of school or schoolroom, to take their place in a world where pleasure fell like a ripened peach for the outstretching of a hand. Leonard Anquetil, watching them from outside, marvelled to see them so easily pleased. (p15)
Autre signe des failles qui peu à peu viennent troubler le fondement de cette société, certaines libertés sont prises avec la morale stricte qui pouvait encadrer ces rencontres quelques années auparavant. Ainsi la duchesse Lucy compte parmi ses amis des gens peu respectables selon les critères de quelques Anciennes ; à commencer par Sir Adam, qui a le malheur d’être juif mais que l’on tolère depuis quelque temps parce qu’il est bien vu du roi. A la fin du roman, il tombe en disgrâce après la mort d’Edward VII ; son argent ne suffit pas à lui ouvrir toutes les portes, alors que Lucy envisageait plus tôt de l’épouser. Ce qu’elle ne fera pas pour une raison bien simple : If only Sir Adam were not physically in love with her, she might really consider it (p35).
C’est un monde fascinant mais superficiel et assez antipathique que nous décrit Vita Sackville-West. Lucy se plaint de devoir remettre aux enfants des domestiques leur cadeau de Noël, alors que c’est une cérémonie qu’ils attendent tous avec impatience chaque année. Elle dit ainsi : In a few moments, we must go and give the children their presents (…). You will have to make up the bridge tables without me. I can cut in when I come back. What a nuisance these entertainments are, but I suppose one must put up with them. (p280) Une cérémonie qui elle aussi est très pointilleuse lorsqu’il s’agit de classes sociales, puisqu’on ne donne pas leurs cadeaux aux enfants de façon aléatoire ; il est très important de rappeler à chacun la place qui lui revient. They were listed in families, from the eldest to the youngest, and the families were arranged in strict order, the butler’s children coming first (…) and so down to the children of the man who swept up the leaves in the park (p284) Puis le protocole prévoit de demander aux enfants d’acclamer la duchesse, le duc et Lady Viola. Vigeon rose very stately in the body of the hall: « Three cheers for her Grace, children ! Hip, Hip… (…) and for his Grace (…) and for Lady Viola » (p287)
Outre le choix de ses tenues et la crainte de voir son postiche apparaître sous sa coiffure en cours de soirée, le pire des soucis pour une maîtresse de maison est de distribuer convenablement les chambres à ses invités lors des fêtes : ne pas installer côte à côte deux ennemies de longue date mais aussi, ne pas trop éloigner deux amants (qu’ils soient mariés ou non). Cette société est ainsi foncièrement hypocrite, comme on pouvait s’y attendre : Within the closed circle of their own set, anybody might do as they pleased, but no scandal must leak out to the uninitiated. Appearances must be respected, though morals might be neglected. (p100)
Nous suivrons ainsi ce cercle restreint pendant quelques années, jusqu’à la mort du roi. Ces édouardiens profitent avec insouciance de leur vie de plaisirs, mais Sebastian, le héros du roman, incarne son époque et sa génération. Ainsi il doute, il est tenté de partir explorer le monde, tombe amoureux, découvre d’autres classes sociales qui finalement le ramènent à Chevron et à ce destin qui s’impose à lui, auquel il ne pourra peut-être pas échapper (ce qui est symbolisé par une scène où, dans la voiture ancestrale de Chevron, il souhaite s’échapper mais découvre qu’il n’y pas de poignée intérieure). La fin laisse légèrement planer le doute sur ce point et nous l’abandonnons à un moment crucial de sa vie. Sa soeur Viola, elle, semblait effacée, était peu mise en avant par une mère très critique à son égard et toujours prête à manifester ouvertement sa préférence pour Sebastian. Pourtant Viola se rebelle d’abord secrètement puis plus ouvertement : elle entretient une correspondance régulière avec Anquetil au cours de toutes ces années et choisit l’indépendance en annonçant brusquement qu’elle prend un appartement à Londres. Une petite révolution.
A la fin du récit, le roi meurt et s’ouvre une nouvelle époque, faite d’incertitudes. Possibly he had been affected by the opening of the new régime, feeling, like everybody else, that with the death of the King a definite era had closed down and that the future was big with excitement and uncertainty. (p329)
J’ai passionnément aimé ce roman, qui fait désormais pour moi partie de ces livres précieux qui vous suivent tout au long d’une vie. J’avais déjà beaucoup apprécié Paola et plus encore, Toute passion abolie, mais The Edwardians est un roman moderne, d’une grande puissance, particulièrement fin, ; il parvient à faire revivre sous nos yeux une époque disparue en y portant un regard nostalgique et critique à la fois. Dans cette chronique très personnelle je me suis surtout attachée à donner quelques impressions de lecture quant à la toile de fond de ce récit, mais c’est aussi un très beau roman d’initiation, Sebastian étant un merveilleux héros, séduisant, jeune, fougueux, sombre, orageux, torturé. Sa soeur incarne la femme moderne et m’a fait penser au très beau roman Nuit et Jour de Virginia Woolf, qui m’avait également complètement emportée. Un grand roman (qui me donne d’ailleurs envie de retrouver Downton Abbey, Gosford Park et quelques autres, sans parler bien entendu des trois autres romans de Vita Sackville-West dans ma bibliothèque). Quel dommage que cet auteur soit si peu connu en France !
Une lecture commune avec ma fidèle comparse Titine, et une nouvelle participation de pom pom girl officielle au challenge I Love London, organisé par Titine et Maggie.
En illustration, Alice Keppel, une des innombrables maîtresses d’Edward VII (ancêtre de Camilla), et Vita Sackville-West.
349 p
Vita Sackville-West, The Edwardians, 1930
(En français : Au Temps du Roi Edouard)
Commentaires
Écrit par : rachel | 10/03/2013
Écrit par : La Lyre | 10/03/2013
Écrit par : Titine | 10/03/2013
Écrit par : Romanza | 10/03/2013
@ La Lyre : oui je recommanderais celui-ci particulièrement, mais aussi « Toute passion abolie » sur un sujet différent, mais c’est un roman très fin également. J’avais découvert Sackville-West que j’associais à des romans plus légers à la Mitford ou à la Pym et j’avais été surprise par la subtilité de ce roman…
@ Titine : je suis bien contente qu’il nous reste encore des romans d’elle à decouvrir ! Je vais déjà m’en donner à coeur joie pendant le Mois anglais ! :o)
@ Romanza : c’est un roman également fait pour toi, surtout n’hésite pas, tu vas te régaler !
Écrit par : Lou | 10/03/2013
Écrit par : rachel | 10/03/2013
Écrit par : Virgule | 10/03/2013
Écrit par : Lilly | 10/03/2013
@ Virgule : oui c’est une suite logique… on commence un auteur puis on découvre ses contemporains, ou ceux qui l’ont influencé, puis ceux qui s’en sont inspirés… un vrai plaisir qui n’en finit pas !… tu ne regretteras pas cette découverte en tout cas !
@ Lilly : oui c’est tout à fait cela, un indispensable (moi aussi je voyais plus Sackville-West comme un auteur sympathique avant). Je te conseille de le lire en anglais idéalement, c’est superbement écrit.
Écrit par : Lou | 10/03/2013
Écrit par : rachel | 11/03/2013
Écrit par : Lili | 11/03/2013
Écrit par : soukee | 11/03/2013
Écrit par : Nag | 12/03/2013
Écrit par : choupynette | 12/03/2013
Écrit par : Theoma | 13/03/2013
@ Lili: c’ est très différent même si de par la période et leur relation au sein du même cercle je trouve la lecture de ces deux auteurs en complètement intéressante…
@ Soukee : il est excellent, tu vas te régaler.
@ Nag: j’ai aussi adoré ce roman. Mais tu verras que les romans de cet auteur sont très variés et plus ou moins légers. Et il m’en reste plein à découvrir.
Écrit par : Lou | 13/03/2013
@ Theoma: tu peux lire celui là il est excellent!
Écrit par : Lou | 13/03/2013
Écrit par : rachel | 14/03/2013
Écrit par : Edelwe | 14/03/2013
Écrit par : -Perrine- | 20/03/2013
Écrit par : Popila | 27/04/2013
Écrit par : Malice | 28/01/2014
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