En raison de mon vieil esprit de contradiction, j’ai tendance à fuir les livres qui font l’objet d’un enthousiasme collectif, incroyable, en somme louche (oui je sais)… je me réjouis donc d’avoir lu le dernier Carole Martinez avant que ne fleurissent 150 articles à son sujet – et déjà, en faisant ma modeste chronique, je vois que ce roman sera de ceux qui marqueront la rentrée (si ce n’est les esprits, du moins en s’illustrant par la quantité de fois où ce titre surgira devant les yeux du lecteur vierge et innocent, animal fantastique qui, d’ailleurs, n’existe pas). Le livre de Carole Martinez est déjà très présent en tête de gondole, dans les relais H et autres instruments et lieux merveilleux de notre formidable époque où l’on prend souvent le lecteur pour un mouton sans cervelle qu’il convient de guider sur la route difficile menant aux bonheurs de la lecture. Heureusement pour l’innocent lecteur achetant rapidement sa nourriture spirituelle hebdomadaire dans ces antres de la culture moderne, Du Domaine des Murmures est un roman ma foi très agréable à lire et, s’il sert d’alternative aux derniers crocodiles de Londres et autres spectres omniprésents dans les transports en commun (quand ils ne hantent pas les serviettes de plage), je me réjouirai personnellement. N’allez pas croire que j’aie quoi que ce soit contre les lecteurs de best-sellers (il y a d’ailleurs de bons best-sellers et certains de mes chers classiques ont cartonné à leur époque!) mais vous n’imaginez pas comme une année entourée par Katherine Pancol dans le bus peut nuire à la santé mentale !
Deuxième roman de Carole Martinez, Du Domaine des Murmures (puisque c’est bien de lui que je voulais parler) a éveillé mon intérêt en raison de l’époque dont il traite : le Moyen-Âge. N’ayant rien d’autre en tête en ouvrant ce livre, j’ai donc éprouvé le plaisir de me laisser entraîner dans une histoire très curieuse, où le merveilleux n’est jamais loin.
Promise à Lothaire, jeune homme belliqueux violant régulièrement les paysannes du domaine, la jeune Esclarmonde se refuse à lui le jour de leur mariage ; se tranchant l’oreille, elle demande à être emmurée vivante dans une chapelle, afin de se consacrer jusqu’à sa mort à Dieu. Si la foi de la jeune femme est sincère, sa décision a priori terrible est aussi motivée par un puissant désir de liberté : se consacrer à Dieu, s’isoler à jamais, c’est aussi se refuser aux hommes et ne pas dépendre du bon vouloir d’un mari après avoir longtemps obéi à un père aimant mais exigeant. Enfermée entre quatre murs, Esclarmonde apprendra à se connaître et à dépasser ses propres limites : un tombeau à ses yeux salvateur. Mais le jour où elle doit être enfermée, la jeune femme est violée à l’orée du bois, lors d’une dernière promenade libératrice.
De ce drame caché puis quelque peu oublié naîtra neuf mois plus tard un enfant, alors qu’Esclardmonde est désormais enfermée. Les gens des environs choisissent de croire au miracle, mais la position de la jeune sainte reste précaire.
J’ai été séduite par le souffle romanesque qui porte ce récit : avec un véritable talent de conteuse, Carole Martinez nous entraîne à sa suite dans cette forêt, aux abords de ce château en ruine. C’est avec grand plaisir qu’on écoute avec elle les pierres murmurer l’histoire d’Esclarmonde, de son père devenu fou, d’un homme qui l’a tendrement aimée, d’un fée verte et de nombreux fantômes qui revivent le temps d’une lecture. Sa réflexion sur la place faite aux femmes en ce lieu dominé par les hommes est intéressante et la prophétesse n’est pas la seule à influencer la population (citons déjà celle qui, par ses formes rondes, sait mener les hommes par le bout du nez).
N’étant pas moi-même historienne, je ne sais pas à quel point ce récit est fidèle à l’époque décrite ; il m’a paru parfois assez moderne, mais je dirais que cela n’a pas grande importance, l’essentiel étant de se laisser porter par le récit et de croire aux légendes si séduisantes qui sont présentées. Assez réfractaire aux textes excessivement mystiques, je n’ai pas été gênée un instant par les interrogations d’Esclarmonde, ses accès de foi, sa communion secrète avec son père parti guerroyer en terre sainte.
Voilà in fine un très joli roman qui saura vous emporter le temps d’une pause, un texte que l’on savoure et que l’on regrette un peu d’avoir ensuite derrière soi.
Les nombreux avis de : Antigone, La petite marchande d’histoires, Clara, Bricabook, Kathel, Pierre Jourde, Là où les livres sont chez eux, Aifelle, Isabelle, Emeraude
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Carole Martinez, Du Domaine des Murmures, 2011
13:53 Publié dans Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (33) | Tags : carole martinez, rentrée littéraire 2011, du domaine des murmures, gallimard, roman, roman francais, moyen-âge | Facebook | |
Commentaires
Écrit par : keisha | 18/09/2011
didonc un sacre livre…l’idee de lire sur un femme emmuree pendant X pages ne me tentait pas….mais la suite si…;o)
Écrit par : rachel | 18/09/2011
Effectivement, je n’ai rien contre Katherine Pancol mais… quelle omniprésence !
Je note en tout cas ce titre, l’histoire me paraît assez originale ! Et puis en ce moment j’ai envie de littérature française…
Écrit par : cocola | 18/09/2011
Écrit par : niki | 18/09/2011
Écrit par : Stephie | 18/09/2011
Mais pour revenir à ton livre, il est très tentant ; cette époque est si intéressante (…. elles le sont toutes en fait ^^’).
Écrit par : Perrine | 18/09/2011
Écrit par : maggie | 18/09/2011
Écrit par : Eiluned | 18/09/2011
Écrit par : virginie | 19/09/2011
Écrit par : Joelle | 19/09/2011
Écrit par : Miss Alfie | 19/09/2011
Écrit par : maijo | 19/09/2011
Sinon, je crois que l’auteur s’est pas mal documentée sur cette période et ces emmurées.
Écrit par : Leiloona | 20/09/2011
Écrit par : Edelwe | 20/09/2011
Écrit par : Mrs Figg | 21/09/2011
Écrit par : dasola | 21/09/2011
Écrit par : vilvirt | 21/09/2011
Écrit par : Aifelle | 22/09/2011
Écrit par : Le Journal de Chrys | 22/09/2011
Écrit par : claudialucia ma librairie | 22/09/2011
Écrit par : melodie | 23/09/2011
Écrit par : L’or des chambres | 23/09/2011
@ Rachel : oui moi aussi, je ne savais rien de ce livre quand je l’ai acheté mais quand j’ai compris qu’elle allait traverser presque tout le roman emmurée je me suis demandé comment l’auteur allait pouvoir s’en sortir !
@ Cocola : ravie que ce billet te plaise 🙂 Je te conseille ce roman, vraiment très agréable à lire… j’espère me régaler avec d’autres romans de la rentrée, cette année je n’ai pas vu d’emblée beaucoup de titres me tentant énormément.
@ Niki : c’est gentil 🙂
@ Stephie : je suis tout juste rentrée de Grèce et n’ai pas eu accès à Internet pendant dix jours mais je vais aller lire ton billet avec intérêt !
@ Perrine : David Foenkinos ne me tentait pas plus que cela mais je suis finalement assez tentée par son dernier livre, ou peut-être par « La Délicatesse ». Tu m’intéresses avec « le goût des pépins de pomme », je crois me souvenir de la couverture mais ne sais plus de quoi il parle… as-tu fait un billet à son sujet ?
@ Maggie : tu as lu « La sombra del Viento » ? A ce sujet je pense commencer « Marina » aujourd’hui, un billet commun mercredi te dirait ? On voit par mail 🙂
@ Eiluned : je suis aussi un peu du même genre, à ne pas les lire ou sinon, avant ou après tout le monde, sauf quelques exceptions… c’est comme « le cercle littéraires des éplucheurs de patates » (si c’est bien le titre en VF), je l’ai acheté à sa sortie mais voyant défiler les billets j’ai finalement attendu cette année pour le lire 🙂
@ Virginie : tout à fait, ce n’est pas que j’aie envie de jouer les snobs mais à force de retrouver un livre partout, je n’ai pas envie de le voir en plus sur ma table de chevet. Parfois également quand je lis trop d’avis enthousiastes sur un même roman je me méfie car c’est le meilleur moyen d’être un peu décu ensuite.
@ Joelle : j’ai lu quelque part qu’elle avait adopté un ton précieux pour retraduire le langage de l’époque tout en utilisant des termes modernes, mais je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. En revanche, essentiellement dans le premier chapitre, le style assez fleuri m’a semblé légèrement maladroit (cela me fait penser à « Miel et vin »)… mais ces envolées poétiques sont plaisantes malgré tout.
Écrit par : Lou | 25/09/2011
@ Maijo : je trouve ce sujet assez original…
@ Leiloona : oui le côté moderne ne me pose pas de problème non plus… je ne pense pas que la rigueur historique soit son premier souci, l’essentiel tient à la trame romanesque. En revanche j’imagine aussi qu’elle a fait quelques recherches sur les emmurées et les croisades, ainsi que la vie au sein d’un château à l’époque féodale.
@ Edelwe : je suis certaine qu’il te plairait !
@ Mrs Figg : j’en suis ravie 🙂 Et moi aussi je dois encore lire « Coeur cousu »…
@ Dasola : je suis un peu plus sévère avec l’écriture, très agréable mais qui m’a moins conquise que toi. En revanche Esclarmonde a certes quinze ans mais j’imagine que les femmes de sa condition à l’époque, de par leurs conditions de vie et leur éducation atteignaient une plus grande maturité rapidement… simple supposition !
@ Vivlvirt : ravie de te tenter avec ce modeste billet 🙂
@ Aifelle : voilà moi aussi je voulais éviter la pollution !
@ Chrys : je lirai avec plaisir le premier également.
@ Claudialucia : je serais vraiment curieuse de savoir ce que tu en penses… et « coeur cousu » viendra bientôt par ici je pense…
@ Melodie : oui, Esclarmonde, c’est effectivement assez curieux pour nos petites oreilles 🙂 (remarque cependant qu’il ne s’agit pas de Cunégonde, qui aurait été difficile à porter devant le lecteur contemporain, venant d’une charmante jeune pucelle!). N’hésite pas à le lire, tu réussiras sans doute à oublier Mireille Calmel 🙂
@ L’Or des chambres : c’est un joli compliment que tu me fais là ! Les lecteurs ayant adoré « Coeur cousu » ont en général préféré ce premier roman mais je n’ai pas d’effet de comparaison dans mon cas… j’espère qu’il te plaira aussi (et que je serai aussi folle de « Coeur cousu », lecture qui me tient beaucoup à coeur car il s’agit d’un des derniers cadeaux de ma grand-mère).
Écrit par : Lou | 25/09/2011
Écrit par : rachel | 25/09/2011
Écrit par : Yv | 26/09/2011
@ Yv : J’espère qu’il te plaira si tu te décides finalement.
Écrit par : Lou | 27/09/2011
Écrit par : sandy | 05/10/2011
Écrit par : Lou | 05/10/2011
Écrit par : Karine:) | 07/10/2011
Écrit par : Lou | 08/10/2011
Écrit par : Lilly | 12/10/2011
Écrit par : Lou | 15/10/2011
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