Moi qui me suis jetée sur Granny Webster à sa sortie en France (je l’ai découvert par hasard en librairie), j’ai bien tardé à en parler… mais voilà enfin un billet que je voulais écrire depuis quelques mois !
Granny Webster est le titre tronqué de Great Granny Webster, plus fidèle au texte, car il y est question de l’arrière-grand-mère de la narratrice.
Envoyée se repose chez son arrière-grand-mère, la narratrice se retrouve emprisonnée dans un monde archaïque, où l’arrière-grand-mère Webster règne avec une résignation douloureuse sur une maison sans vie. Ce fossile vivant incarne la période victorienne révolue dans ce qu’elle a de plus rigide et ne peut se résoudre à l’inexorable progression d’une modernité dans laquelle elle ne trouvera pas sa place. « L’idée du chauffage central a toujours été la bête noire de la vieille Mrs Webster, poursuivit-elle d’un air ravi. La pauvre femme l’a vu se répandre comme la peste dans toutes les maisons d’Angleterre. » (p65)
Ainsi, pendant ce court séjour de convalescence, les bienfaits de l’air marin sont appréciés à coup de promenades quotidiennes en voiture au cours desquelles le temps semble s’être arrêté et qui, au final, sont une des pires épreuves pour la jeune fille. Alors que son aieule est a priori fortunée, la maison est glaciale, les repas sans saveur et le service assuré par une pauvre femme âgée que l’on s’attend régulièrement à voir s’écrouler en portant des plateaux bien trop lourds pour elle dans des escaliers qui ne sont pas non plus faits pour son âge avancé. L’arrière-grand-mère Webster a choisi d’endurer cette vie austère avec résignation et met un point d’honneur à se torturer en restant assise des heures sur une chaise à dos droit au lieu de se reposer dans un bon fauteuil : « Elle-même était restée dans un silence courageux et stoïque à endurer sans plainte l’atroce inconfort de sa chaise au dos si dur. Je me demandais comment elle arrivait à supporter ce siège sans hurler. Il était évident qu’il la faisait souffrir. Il suffisait de voir l’air sinistre et cependant résolu qu’elle prenait en s’y asseyant. » (p 20-21) La vieille dame n’a pourtant plus de comptes à rendre à qui que ce soit, sa famille et ses relations l’ayant oubliée.
Curieusement, elle semble juger la narratrice plus fiable que le reste de son entourage et décide un jour de lui annoncer qu’elle héritera de son lit à colonnes et devra superviser le déménagement de ses affaires après son décès. Et de conclure : « Je suis très contente d’avoir abordé ce sujet avec toi, dit-elle. Cela fait longtemps que j’y pense. » (p34)

Enfin, la boucle est boublée avec le décès de l’arrière-grand-mère Webster, qui disparaît dans l’indifférence la plus totale. La narratrice, pour qui la vieille femme semblait éprouver un léger intérêt, est elle-même indifférente et s’oblige à se rendre à des funérailles dont elle n’a que faire. Lorsque les cendres de la vieille dame sont répandues sur le sol, une bourrasque souffle et c’est dans un total manque de dignité que la pauvre femme tire sa révérence, horrifiant la narratrice qui se retrouve couverte de fines pellicules blanches. Avec ce passage tellement navrant pour ce vieux corbeau que l’on a pris en pitié : « Sur notre gauche, une église hideuse aux allures de caserne dominait son cimetière de ses murs en silex. Toutes les pierres tombales autour de nous étaient couvertes de glace. Le silence désolé particulier à l’arrière-grand-mère Webster semblait planer alentour. Tout ce qui se trouvait là était si sinistre, gris et menaçant qu’on aurait dit que l’endroit avait été créé dans le but de la recevoir. » (p129)
Ceux qui me connaissent ne seront pas surpris : j’ai bien évidemment pris un énorme plaisir à lire ce court roman où j’ai retrouvé un cadre qui m’est cher et un ton si propre aux écrivains britanniques de cet époque… je ne pouvais que me régaler. Un livre à la fois triste et drôle, et une première rencontre avec Caroline Blackwood particulièrement réussie !
Née en 1931, Caroline Blackwood est une héritière de la famille Guinness. Elle épouse en premières noces Lucian Freud, un peintre dont l’oeuvre assez dérangeante m’intrigue beaucoup. Je n’ai donc pu résister au plaisir d’ajouter une photo du jeune couple.

L’avis de Cécile…
Photos issues de Modernsafari et The Guardian (article sur un livre de la fille de Caroline Blackwood ; si comme moi vous prenez plaisir à lire cet article je vous recommande celui-ci, sur Stella Gibbons).
Pour plus d’informations sur Caroline Blackwood, une série d’articles ici.
135 p
Caroline Blackwood, Granny Webster, 1977
Challenge God save le livre : 16 livres lus
Challenge Vintage Novels : 3 livres lus
Commentaires
Écrit par : Perrine | 28/08/2011
Écrit par : rachel | 14/09/2011
Écrit par : Joelle | 15/09/2011
Écrit par : Manu | 15/09/2011
Écrit par : Titine | 15/09/2011
Écrit par : maggie | 17/09/2011
@ Rachel : en fait c’est surtout une continuité d’époques racontées à la narratrice… et plusieurs portraits de femme se font, à chaque génération. La narratrice elle-même ne manque pas d’intérêt même si elle s’inscrit au second plan.
@ Joelle : voilà, c’est un excellent argument ! J’espère qu’il te plaira aussi 🙂
@ Manu : il ne reste plus qu’à 🙂
@ Titine : ouf je m’en veux moins de l’avoir mis dans les mains à la librairie (et puis tu vois tu râlais en disant que je n’avais même pas écrit de billet…:))
@ Maggie : oui en parlant de livre je trouve la couverture de celui-ci vraiment moche… dommage, parfois cet éditeur retient de magnifiques couvertures mais alors là… Pour Freud il y a eu une expo au centre Pompidou il y a un an je dirais…
Écrit par : Lou | 25/09/2011
Écrit par : rachel | 25/09/2011
Écrit par : Lou | 26/09/2011
Écrit par : rachel | 26/09/2011
Écrit par : Lou | 27/09/2011
Écrit par : rachel | 27/09/2011
Écrit par : Lou | 27/09/2011
Écrit par : rachel | 28/09/2011
Écrit par : Lou | 29/09/2011
Écrit par : rachel | 29/09/2011
Écrit par : Malice | 18/08/2012
Écrit par : Lou | 19/08/2012
Écrit par : Cleanthe | 16/05/2013
Écrit par : Lou | 13/07/2013
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