Je suis de mauvaise humeur et il y a de quoi ! Pourquoi faut-il que je laisse traîner des livres lus pendant des mois avant de me décider à en parler sur ce blog ? Vous me direz peut-être que je pourrais tout aussi bien jeter l’éponge et renoncer à faire un billet sur ces lectures fantômes, mais alors c’est mon blog qui s’insurgerait avec raison, hautetfort qui se rebellerait, mon clavier qui craquerait mais résisterait sous mes tentatives acharnées… car bizarrement, les quelques chroniques qui traînent depuis des mois correspondent à de très agréables lectures (de toute façon il y a un Henry James dedans, comment le snober ?).
Me voilà donc en train de feuilleter Des Bibliothèques pleines de fantômes de Jacques Bonnet… heureusement, j’avais noté certains passages, ce qui devrait me donner quelques pistes pour un billet qui s’annonce franchement laborieux !
Tout commence avec l’amour de la lecture – soupirs et pâmoison ! Car Jacques Bonnet fait rapidement la différence entre deux spécimens différents : le bibliomane qui collectionne l’objet livre, et le lecteur devenu bibliomane en lisant et en conservant une trace de toutes ses lectures. « La lecture démultiplie notre réalité forcément limitée, et nous permet de pénétrer les époques éloignées, les coutumes étrangères, les cœurs, les esprits, les motivations humaines, etc. (…) La liberté se trouvait à portée de main (…). Il a suffi d’adjoindre à cette curiosité infinie un certain esprit de système poussant à lire tous les livres d’un écrivain, puis les livres sur lui, puis ceux d’un autre écrivain, et aussi tous les ouvrages consacrés à un sujet et la littérature d’une certaine époque, ou d’un pays, et de vouloir, au fur et à mesure, conserver les livres lus (…), et avec le temps d’accumuler les sujets d’intérêts, pour devenir un lecteur-bibliomane. » p 35-36
Le lecteur-bibliomane est en quelque sorte condamné d’avance, comme l’indique cet extrait de La Maison en papier de Carlos María Domínguez (roman évoqué à plusieurs reprises) : « Les livres avancent dans la maison, silencieux, innocents. Je ne parviens pas à les arrêter » p 26-27.
Ce livre est avant tout celui du lecteur qui, par amour des livres, peut devenir bibliomane, accumuler et se retrouver confronté à une bibliothèque parfois immense qu’il devra gérer. Les grands bibliomanes, les lecteurs vraiment envahis se retrouveront dans le cas de celui qui finit par se poser des questions métaphysiques pour classer ses milliers de titres. Période ? Ordre Alphabétique ? Collection ? Esthétique ? Thématique ? Date de parution ?
On se retrouve dans les cheminements du lecteur qui, parfois rappellent notre propre expérience. Par exemple, en ce qui me concerne, le rejet des lectures obligatoires (non pas scolaires mais ces livres dont on me rabattait les oreilles en en faisant des livres qu’il fallait avoir lus) et la découverte tardive de certains grands classiques. Paradoxalement je me rends compte aujourd’hui que je prends de plus en plus de plaisir à redécouvrir la littérature française du XIXe après avoir passé un certain temps à me plonger dans la littérature victorienne, ayant eu envie de retrouver les Français afin de faire des ponts entre des auteurs écrivant à la même époque, sur Londres ou Paris par exemple.
Le livre regorge d’exemples de bibliomanes et tente parfois de répondre à cette question : comment en sont-ils arrivés là (et comment mourir écrasé sous sa PAL ? c’est une question qui me taraude !) ? Il rappelle aussi la grande part d’irrationalité chez le lecteur-bibliomane qui conserve des livres qu’il ne relira jamais ; ou encore cette façon d’offrir un livre lu, apprécié, mais dont on ne garde qu’une vague impression.
C’est un bel hommage à la lecture, car l’auteur rappelle qu’un livre ne prend corps qu’une fois ouvert. Prenez un titre au hasard, peut-être le connaissez-vous « de nom », peut-être pas. Quoi qu’il en soit il n’a jusqu’ici aucune consistance à vos yeux. C’est tout au plus une ombre qui entoure le titre de quelques idées vagues. En l’ouvrant, c’est tout un monde qui s’offre à vous, des héros qui naissent, une histoire bien matérielle pour vous. Et, jusqu’à un certain point, des personnages et une vie imaginaire plus réels que le monde qui vous entoure. En quelque sorte, tous les livres se ressemblent sur leurs étagères avant d’être ouverts, à l’image de « coffres de banque ». Lire c’est en quelque sorte conquérir, un univers, un auteur, un savoir, et peut-être, voilà en tout cas mon avis, se découvrir soi-même.
J’ai été plus séduite par la première partie du livre, sans doute plus proche de mes centres d’intérêt et de l’idée que je me faisais du livre. Quelques chapitres me semblent passablement ennuyeux, à l’exemple de « Lire les images », qui évoque la partie livres d’art de la bibliothèque de l’auteur et qui rentre dans des détails et des considérations personnelles tels que le monologue sonne un peu creux – du moins n’a-t-il pas trouvé de résonance en moi. Le débat sur Internet est aussi évoqué et les arguments de l’auteur me semblent moyennement convaincants (les livres seraient-ils réellement menacés par le numérique ? comme beaucoup de lecteurs, je suis convaincue que non – je me demande d’ailleurs si les plus optimistes ne sont pas justement des générations plus habituées à se confronter au numérique et donc plus tentées de relativiser son impact sur le cours des choses).
C’est un livre que je garderai justement précieusement dans ma bibliothèque. Je relirai certains chapitres avec plaisir, m’y reconnaissant et m’amusant devant les péripéties de lecteurs envahis eux aussi par leur monstrueuse bibliothèque. Les ouvrages cités et les pistes de lectures ne manquent pas non plus. Les propos parfois trop généralistes ou au contraire, trop personnels des derniers chapitres m’ont un peu déçue mais le plaisir que j’ai éprouvé en lisant le début compense largement ce petit inconvénient. Un livre lui aussi chaudement recommandé aux LCA !
Et pour finir une phrase en particulier :
« C’est avec L’Ecume des Jours que, vers quinze ans, (…) je découvris que les romans pouvaient être plus qu’une histoire pouvant faire rêver et que le mot de « littérature » commença à prendre du sens. » (p25)
D’autres avis : Cléanthe, qui a aussi succombé au titre et Leiloona, qui conclut son billet sur un épisode Twilight Zone à ne pas manquer !
143 p
Jacques Bonnet, Des Bibliothèques pleines de fantômes, 2008
Commentaires
(Chapeau pour ce billet : je serais incapable d’en écrire si longtemps après ma lecture. ;))
Écrit par : Leiloona | 04/02/2009
Écrit par : Isil | 04/02/2009
Je suis comme toi, je ne crois pas une seule seconde que le numérique puisse se substituer au livre papier. Pour moi, ils sont complémentaires.
En ce qui concerne ce livre, je l’ai déjà noté, je vais essayé de le dénicher, même si je ne suis pas sûre de le lire dans sa totalité.
Écrit par : Lilly | 04/02/2009
Écrit par : Alwenn | 04/02/2009
@ Isil : moi je vois surtout « La Foire aux Vanités » ou « David Copperfield » lu sous la couette en version numérique avec des lunettes à quintuple foyer pour compenser les dommages collatéraux de trop nombreuses lectures de « oui-oui » sur le PC :ppp
@ Lilly : mon billet m’a valu les moqueries de Cryssilda hier soir : elle me parlait d’Oscar Wilde sur msn et ne comprenait pas que je puisse être si en retard ;o) Si tu veux je peux te prêter mon livre mais je ne suis pas certaine d’avoir le temps de l’envoyer avant mon départ par contre…
@ Alwenn : lire pour s’évader et se divertir c’est déjà merveilleux ! Et curieusement, j’ai lu le livre de Bonnet alors que deux Manguel sont en attente depuis des lustres dans ma PAL… comme quoi moi aussi je préfère en général lire tout court que lire sur la lecture :o)
Écrit par : Lou | 04/02/2009
Écrit par : Manu | 04/02/2009
Écrit par : Nanne | 04/02/2009
Écrit par : Karine 🙂 | 05/02/2009
Écrit par : Florinette | 05/02/2009
Écrit par : sylvie | 05/02/2009
Écrit par : Ys | 05/02/2009
Je pense à vous ce matin particulièrement comme je pars à Madrid pour une semaine… de vacances paraît-il.
Bien à vous.
PS : pensez à lire ‘Et qu’on m’emporte ».
Écrit par : ameleia | 06/02/2009
Écrit par : Lael | 08/02/2009
J’ai une réaction inverse pour ce qui concerne les classiques du XIXe. J’ai lu plus de français que d’anglais, et sans délaisser les premiers, j’essaye maintenant de faire le lien entre les deux!
Écrit par : Naïk | 09/02/2009
@ Nanne : tout à fait, il faut se méfier ! L’autre jour « Bitten » a mordu ma cheville quand je passais pour la énième fois devant lui sans le lire… ni une ni deux je l’ai mis sous une pile, tout contre un Jane Austen, histoire de lui apprendre les bonnes manières ! Non mais !
@ Karine:) : eh oui, je connais aussi ce sentiment de déjà vu… ;o)
@ Florinette : oui j’avais aussi pensé à ce Manguel en attente depuis une éternité chez moi en lisant ce livre. Quel est le propos de Manguel exactement ?
@ Sylvie et Ys : excellentes résolutions ^^
@ Ameleia : ah, Madrid, quelle chance ! Enfin je ne vais pas me plaindre en étant à Barcelone, mais je suis tout simplement amoureuse de Madrid !
Quant à ce roman je ne l’oublie pas, même si je veux d’abord lire le premier tome. Je l’ai en tout cas noté et compte bien le lire…
@ Lael : ce fut cela dit long et poussif après des mois de retard…;o)
@ Naik : tu as sans aucun doute une réaction plus « logique » que la mienne puisqu’on a plus de chances de découvrir d’abord les auteurs de son pays quand on commence à lire, ne serait-ce que parce nos proches les connaissent souvent mieux ou qu’on ne parle pas des classiques étrangers en cours, ou rarement. En ce qui me concerne c’est très certainement dû au fait que je ne supporte pas d’avoir le sentiment d’être « obligée » de lire quelque chose. J’ai commencé à lire Molière et Pagnol par moi-même au CM1 et au CM2 et j’ai adoré, mais quand j’ai commencé à lire des thrillers au collège et qu’on m’a fait comprendre que je perdais mon temps et que je ferais mieux de lire « Germinal », Balzac ou Flaubert, j’ai finalement fait un blocage et j’ai d’ailleurs revu mon rythme de lecture largement à la baisse. Ce n’est que lorsque mes études n’ont plus été littéraires que j’ai vraiment eu envie de lire des classiques, malgré quelques lectures déjà appréciées au lycée… voilà pour la « petite » histoire.
Écrit par : Lou | 10/02/2009
Je pense avoir eu de « bons » instits et profs de français au collège, ça aide!Et mon intérêt pour les cours d’histoire guidait aussi mes choix de lecture.
L’essentiel reste de pouvoir continuer à découvrir, sans obligation, pour se faire sa propre opinion 🙂
Enfin, j’admets que je n’ai pas relu Giono depuis « Regain », étudié au collège… il serait peut-être temps que je le relise !
Écrit par : Naïk | 10/02/2009
Écrit par : Cleanthe | 12/02/2009
Bonne fin de dimanche Lou et à bientôt !
Écrit par : Florinette | 22/02/2009
Écrit par : sylvie | 28/02/2009
Écrit par : moka | 10/03/2009
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