Avec précaution, j’avance péniblement dans cet affreux escalier en colimaçon qui sent le moisi et deux ou trois autres choses pas très catholiques. Portant une torche dix fois trop lourde pour mes frêles bras de lectrice, je presse contre moi un vieux grimoire, les Cent ans de Dracula, précieux talisman qui, je l’espère, me laissera une chance de sortir de ce fichu château bien vivante et, si possible, sans morsures et autres petits problèmes incommodants. Soudain jaillit devant moi une créature d’une pâleur inconcevable. Je pose mon grimoire, sors mon pieu de mon sac à dos (car, heureusement pour moi, la créature me regarde d’un air perplexe et ne semble pas avoir spécialement envie de me prendre pour dîner). C’est alors que je vois une minuscule araignée sortie de nulle part escalader ma jambe. Hiiiiiii ! Je pousse un cri strident, dévale les escaliers, cours aussi vite que me le permettent mes deux jambes et laisse la porte se refermer sur moi dans un couinement ridicule. Perplexe, la créature monte tranquillement les dernières marches qui la séparent de la tour de guet. De là, elle me voit, sinistre et ridicule petite chose essoufflée qui cherche désespérément son passe Navigo pour quitter au plus vite cet affreux château en ruine. Je le trouve enfin, franchis le petit pont de bois qui enjambe les douves. De là, j’entends des « youhou » joyeux ; je me retourne et vois la créature agiter frénétiquement les bras en guise d’adieu… peut-être ne suis-je pas faite pour la chasse aux vampires, après tout. Je devrais surveiller mes lectures, j’ai peut-être surestimé mes talents d’aventurière !
Maintenant que je me suis remise de mes émotions, je peux vous donner mes quelques impressions de lecture. Les cent ans de Dracula est à mon avis un recueil très divertissant, que l’on s’intéresse aux vampires, au fantastique ou aux grands textes classiques. Composé de huit textes écrits entre 1797 et 1928, ce recueil fait appel à de grands auteurs aux divers degrés de notoriété: Goethe et Gautier pour les plus reconnus ; Stoker et Polidori, classiques incontournables de la littérature vampirique ; Lovecraft, maître du fantastique ; enfin, pour les moins connus : Jean Ray, Crawford et Askew.
J’ai été surprise par la qualité de tous ces textes (hormis celui de Goethe qui m’a déçue, malheureusement tout simplement parce que ses vers sont vraisemblablement intraduisibles en français et doivent regorger de subtilités en allemand). J’ai découvert des récits incroyablement originaux qui ont à leur époque nourri le mythe du vampire en y apportant de nouveaux éclairages. Quelques mots sur les différents textes :
Goethe, la Fiancée de Corinthe (1797)
John William Polidori, Le Vampire (1819) : le jeune Aubrey rencontre Lord Ruthwen, un dandy qui semble causer la perte de nombreuses jeunes filles à marier. Partant avec lui en Grèce pour un voyage initiatique, il prend conscience de la nature monstrueuse de Ruthwen lorsque celui-ci semble responsable du décès d’une jeune Grecque dont il est tombé amoureux. Aubrey rentre alors en Angleterre. C’est alors que Ruthwen refait son apparition et se rapproche de jour en jour de la jeune sœur d’Aubrey… classique, un des textes fondateurs du mythe du vampire.
Théophile Gautier, La Morte amoureuse (1836) : un jeune homme succombe au regard de braise d’une belle jeune femme au moment où il est ordonné prêtre. En proie à ses propres démons, le prêtre est un jour appelé au chevet d’une mourante. Il s’agit de Clarimonde, la femme aperçue à l’église. Celle-ci revient à la vie et persuade le jeune homme de quitter sa paroisse pour la suivre dans une vie de dépenses et de luxure. Ce texte très bien mené est particulièrement intéressant pour ceux qui souhaitent découvrir des textes non anglo-saxons écrits avant l’âge de gloire du vampire à la fin du XIXe. L’approche du thème du vampire est très différente, ce qui est d’autant plus remarquable que les textes vampiriques les mieux connus sont anglais.
Francis Marion Crawford, Car la Vie est dans le Sang (1880) : deux hommes observent un champ depuis la tour d’une vieille demeure. Lorsque les rayons de lune se posent sur un tertre a priori désert, une forme étrange apparaît, laissant entrevoir un corps allongé sur un tombeau. Pris de curiosité, l’un des deux hommes souhaite se rendre sur place pour mieux observer le phénomène. A quelques mètres de l’objet, il s’arrête : plus rien sur le tertre. De loin, l’autre homme voit le corps se redresser et s’accrocher à son ami. Cette histoire n’est pas ma préférée mais j’apprécie l’atmosphère inquiétante qui l’imprègne ainsi que le caractère hautement fantomatique du vampire. Ici, le vampire n’a pas encore pris ses traits classiques et fait appel aux premiers monstres de notre imaginaire…
Bram Stoker, L’invité de Dracula (1897) : pendant la Walpurgis Nacht, un jeune homme se rend seul dans un village abandonné depuis des siècles, soi-disant en proie à une malédiction. En pleine tempête de neige, il échoue dans un cimetière et trouve refuge dans une tombe. Soudain, il aperçoit une femme près de lui… ce texte gothique à souhait donne un avant-goût de l’incontournable Dracula, qui a définitivement gravé l’image du gentleman vampire dans notre esprit.
Claude Askew, Aylmer Vance et le Vampire (1914) : un jeune sportif dépérit après avoir épousé la descendante d’une femme autrefois présentée comme une sorcière. Deux hommes (qui ne sont pas sans rappeler Jonathan Harker et Van Helsing) accompagnent le jeune marié jusqu’au château des ancêtres de la mariée pour tenter de venir à bout de la malédiction.
Jean Ray, Le Gardien du cimetière (1919) : un homme dans le dénuement le plus total apprend que l’on cherche un gardien pour le cimetière abandonné de la ville. Immédiatement engagé, l’homme finit par s’apercevoir qu’il est retenu contre son grès. J’ai trouvé la narration aussi bien que le vampire originaux ; le texte s’éloigne de la littérature vampirique classique.
Lovecraft, La Maison maudite (1928) : le narrateur souhaite percer le mystère d’une maison où les morts et les cas de démence se sont multipliés au cours des siècles. Très lovecraftien, ce texte fait appel à la tension entre science et surnaturel. Le narrateur se caractérise par son flegme, son caractère méthodique et sa propension à analyser minutieusement chaque détail d’une manifestation pour le moins troublante. Pas de vampire aux dents acérées ici, mais bien une matière visqueuse inconsistante et non identifiable que l’on parvient à éradiquer avec des méthodes pour le moins rationnelles. Encore une allusion au maître Edgar Allan Poe en début de texte. Enfin, une volonté d’ancrer le texte dans la réalité et de présenter ce récit fantastique comme la simple présentation d’un événement vécu. Un résultat pour le moins original… j’ai beaucoup apprécié !
Et pour conclure cette chroniqueuse déjà longue, voici quelques extraits du texte de Jean Ray (peut-être le plus effrayant de tous) :
« Quelle étrange appréhension me fit souhaiter de voir l’espace isolé de la sorte ? Cela me fut très difficile, car la haie était épaisse et chaque feuille de houx était une petite main griffue qui me lacérait la peau. Il n’y avait rien dans l’enclos, si ce n’est huit croix dont la vétusté allait pour ainsi dire en gradation régulière ; ainsi, la première était pourrie et lavée par les pluits, la huitième était toute fraîche… C’était comme des tombes nouvelles… »
« Là, contre la vitre, un visage d’enfer s’est collé. De terribles yeux vitreux, des yeux de cadavre, des cheveux d’un blanc de neige, hérissés comme des lances, et une bouche immense ricanant sur des dents noires, une bouche rouge, rouge comme du feu, ou comme du beau sang qui coule. »
« Je suis retourné à l’enclos des croix. A côté de celle de Brunen S’OUVRE UNE FOSSE FRAÎCHEMENT CREUSEE. C’est ma tombe prochaine. »
« Rapidement, mon revolver cracha ses dernières balles et, avec un grand hoquet qui éclaboussa les murs de sang noir, la vampire s’écroula sur le sol. »
155 p
Commentaires
En ce qui concerne ces textes, je les ai lu il y a bien longtemps mais de ma mémoire il n’en reste pas grand chose. 🙁
Écrit par : Hilde | 16/02/2007
Écrit par : Beloved | 16/02/2007
J’ai bien aimé ta critique, elle met tout à fait dans l’ambiance.
Écrit par : Beloved | 16/02/2007
@ Beloved : super ! Si tu as d’autres conseils à me donner en littérature es vampires, je suis intéressée ! Et merci pour le compliment… !
Écrit par : Lou | 17/02/2007
Je suis prof et je fais lire une dixaine de livres par an à mes élèves. J’ai souvent recours à Librio car à 2 euros, on ne peut pas me rétorquer que je ruine. La culture à ce prix-là, c’est cadeau !
Écrit par : Anne-Sophie | 18/02/2007
Écrit par : Florinette | 18/02/2007
@ Florinette : si tu veux quelques petits conseils de lecture vampiresque, je peux peut-être t’aider !:o)
Écrit par : Lou | 19/02/2007
Écrit par : Lilly | 19/02/2007
Écrit par : Florinette | 19/02/2007
@ Florinette : Alors si nous parlons d’un de mes péchés mignons… car j’ai quand même suivi un cours sur les vampires dans la littérature et au cinéma ! (bin oui, quand on aime…)
Je te recommande en première lecture le grand classique « Dracula », mon grand préféré, souvent copié, jamais égalé…
Pour les textes plus modernes, Anne Rice est très connue et je pense que son « Entretien avec un vampire » est excellent. Un peu moins connue, la série de récits « the Gilda Stories » de Jewelle Gomez. Et un livre très agréable publié récemment : « The Historian » (à la fois sur Dracula et Vlad Tepes)… voilà pour commencer :o)
Écrit par : Lou | 19/02/2007
Écrit par : Florinette | 20/02/2007
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Écrit par : Boleslaw | 03/03/2007
Écrit par : Lou | 04/03/2007
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