Adieu Victoria !

GrannyWebsterCarolineBlackwood.jpgMoi qui me suis jetée sur Granny Webster à sa sortie en France (je l’ai découvert par hasard en librairie), j’ai bien tardé à en parler… mais voilà enfin un billet que je voulais écrire depuis quelques mois !

Granny Webster est le titre tronqué de Great Granny Webster, plus fidèle au texte, car il y est question de l’arrière-grand-mère de la narratrice.

Envoyée se repose chez son arrière-grand-mère, la narratrice se retrouve emprisonnée dans un monde archaïque, où l’arrière-grand-mère Webster règne avec une résignation douloureuse sur une maison sans vie. Ce fossile vivant incarne la période victorienne révolue dans ce qu’elle a de plus rigide et ne peut se résoudre à l’inexorable progression d’une modernité dans laquelle elle ne trouvera pas sa place. « L’idée du chauffage central a toujours été la bête noire de la vieille Mrs Webster, poursuivit-elle d’un air ravi. La pauvre femme l’a vu se répandre comme la peste dans toutes les maisons d’Angleterre. » (p65)

Ainsi, pendant ce court séjour de convalescence, les bienfaits de l’air marin sont appréciés à coup de promenades quotidiennes en voiture au cours desquelles le temps semble s’être arrêté et qui, au final, sont une des pires épreuves pour la jeune fille. Alors que son aieule est a priori fortunée, la maison est glaciale, les repas sans saveur et le service assuré par une pauvre femme âgée que l’on s’attend régulièrement à voir s’écrouler en portant des plateaux bien trop lourds pour elle dans des escaliers qui ne sont pas non plus faits pour son âge avancé. L’arrière-grand-mère Webster a choisi d’endurer cette vie austère avec résignation et met un point d’honneur à se torturer en restant assise des heures sur une chaise à dos droit au lieu de se reposer dans un bon fauteuil : « Elle-même était restée dans un silence courageux et stoïque à endurer sans plainte l’atroce inconfort de sa chaise au dos si dur. Je me demandais comment elle arrivait à supporter ce siège sans hurler. Il était évident qu’il la faisait souffrir. Il suffisait de voir l’air sinistre et cependant résolu qu’elle prenait en s’y asseyant. » (p 20-21) La vieille dame n’a pourtant plus de comptes à rendre à qui que ce soit, sa famille et ses relations  l’ayant oubliée.

Curieusement, elle semble juger la narratrice plus fiable que le reste de son entourage et décide un jour de lui annoncer qu’elle héritera de son lit à colonnes et devra superviser le déménagement de ses affaires après son décès. Et de conclure : « Je suis très contente d’avoir abordé ce sujet avec toi, dit-elle. Cela fait longtemps que j’y pense. » (p34)

 
Puis nous quittons la côte pour regagner l’animation des villes, et avec elle, faire la rencontre de tante Lavinia, être frivole et attachant, en réalité personnage écorché et fragile qui cache derrière une apparente insouciance un profond mal-être. « Un jour tante Lavinia me téléphona pour dire que c’était trop rageant, elle était en prison. Quand j’exprimai ma surprise, elle avoua que ce n’était pas exactement une prison, mais que c’était tout comme, car elle était retenue dans un hôpital où elle avait été emmenée par la police. Puis elle m’expliqua qu’elle avait essayé de se suicider deux jours auparavant – que ça avait été exaspérant, car tout avait raté. » (p40) Les échanges avec Lavinia sont l’occasion de découvrir d’autres membres de la famille : le père, mort à la guerre, la grand-mère folle, qui a tenté d’étrangler le petit frère lors de son baptême ; et la priopriété familiale en perdition, entre un grand-père peu organisé et amoureux de sa femme complètement folle, voire dangereuse, et une nouvelle génération qui ne prendra pas la relève.

Enfin, la boucle est boublée avec le décès de l’arrière-grand-mère Webster, qui disparaît dans l’indifférence la plus totale. La narratrice, pour qui la vieille femme semblait éprouver un léger intérêt, est elle-même indifférente et s’oblige à se rendre à des funérailles dont elle n’a que faire. Lorsque les cendres de la vieille dame sont répandues sur le sol, une bourrasque souffle et c’est dans un total manque de dignité que la pauvre femme tire sa révérence, horrifiant la narratrice qui se retrouve couverte de fines pellicules blanches. Avec ce passage tellement navrant pour ce vieux corbeau que l’on a pris en pitié : « Sur notre gauche, une église hideuse aux allures de caserne dominait son cimetière de ses murs en silex. Toutes les pierres tombales autour de nous étaient couvertes de glace. Le silence désolé particulier à l’arrière-grand-mère Webster semblait planer alentour. Tout ce qui se trouvait là était si sinistre, gris et menaçant qu’on aurait dit que l’endroit avait été créé dans le but de la recevoir. » (p129)

Ceux qui me connaissent ne seront pas surpris : j’ai bien évidemment pris un énorme plaisir à lire ce court roman où j’ai retrouvé un cadre qui m’est cher et un ton si propre aux écrivains britanniques de cet époque… je ne pouvais que me régaler. Un livre à la fois triste et drôle, et une première rencontre avec Caroline Blackwood particulièrement réussie !

Née en 1931, Caroline Blackwood est une héritière de la famille Guinness. Elle épouse en premières noces Lucian Freud, un peintre dont l’oeuvre assez dérangeante m’intrigue beaucoup. Je n’ai donc pu résister au plaisir d’ajouter une photo du jeune couple.

Caroline Blackwood, Lucian Freud

L’avis de Cécile

Photos issues de Modernsafari et  The Guardian (article sur un livre de la fille de Caroline Blackwood ; si comme moi vous prenez plaisir à lire cet article je vous recommande celui-ci, sur Stella Gibbons).

Pour plus d’informations sur Caroline Blackwood, une série d’articles ici.

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135 p

Caroline Blackwood, Granny Webster, 1977

ann featherstone,que le spectacle commence,walking in pimlico,roman victorian,10-18,roman historique,londres,londres xixe,angleterre,angleterre victorienne,angleterre xixe,époque victorienne,spectacle victorien,cirque victorienChallenge God save le livre : 16 livres lus

Challenge Vintage Novels : 3 livres lus

 

 

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Commentaires

Une découverte pour moi, je ne connaissais pas du tout ! 🙂

Écrit par : Perrine | 28/08/2011

oui didonc…deux temps…deux femmes….cela peut me plaire..en plus court roman..parfait quoi..;o)

Écrit par : rachel | 14/09/2011

Je ne connaissais pas du tout mais il est à la biblio alors nul doute que je le lirai car il a tout pour me plaire, ce petit livre 🙂 Et puis, j’aime emprunter des livres pas trop épais à la biblio … cela me laisse un peu de temps pour essayer de lire ceux de ma PAL 😉

Écrit par : Joelle | 15/09/2011

Déjà noté suite à l’avis de Cécile, j’attendais un deuxième avis. Voilà qui est fait 😉

Écrit par : Manu | 15/09/2011

Je n’ai pas fait d’article mais j’ai beaucoup apprécié cette lecture…c’est étonnant, non? 😉

Écrit par : Titine | 15/09/2011

Jolie photo même s’ils n’ont pas peur d’abîmer leur livre ! Du coup ca me donne envie d’aller voir ce qu’a peint ce L. Freud que je ne connais pas.

Écrit par : maggie | 17/09/2011

@ Perrine : j’aime trouver des livres inconnus au bataillon 🙂

@ Rachel : en fait c’est surtout une continuité d’époques racontées à la narratrice… et plusieurs portraits de femme se font, à chaque génération. La narratrice elle-même ne manque pas d’intérêt même si elle s’inscrit au second plan.

@ Joelle : voilà, c’est un excellent argument ! J’espère qu’il te plaira aussi 🙂

@ Manu : il ne reste plus qu’à 🙂

@ Titine : ouf je m’en veux moins de l’avoir mis dans les mains à la librairie (et puis tu vois tu râlais en disant que je n’avais même pas écrit de billet…:))

@ Maggie : oui en parlant de livre je trouve la couverture de celui-ci vraiment moche… dommage, parfois cet éditeur retient de magnifiques couvertures mais alors là… Pour Freud il y a eu une expo au centre Pompidou il y a un an je dirais…

Écrit par : Lou | 25/09/2011

une bien belle histoire de trois femmes alors…et c vacances?

Écrit par : rachel | 25/09/2011

@ Rachel : énorme coup de coeur pour la Grèce et une île en particulier… je pense que je vais y retourner plus tôt que je ne le pensais tellement j’ai adoré !

Écrit par : Lou | 26/09/2011

et bin didonc cela va leur faire du bien aux grecs…ils en ont bien besoin en ce moment!

Écrit par : rachel | 26/09/2011

@ Rachel : il y a beaucoup de constructions abandonnées et j’ai été surprise par l’état d’abandon de quelques coins à Athènes. Le jour où nous sommes arrivés les poubelles débordaient, une voiture a roulé allègrement sur un sac poubelle et a traîné un tas d’ordures sur plusieurs mètres… les chats qui ne manquent pas s’en donnaient à coeur joie… mais dans la première île où nous étions c’était peu perceptible, si ce n’est que les prix sont assez bas (60€ avec deux petits dejs pour un très bon hôtel refait à neuf très bien situé dans la première île et 38€ avec deux petits dejs pour un hôtel un peu plus daté à 300 m du port mais ultra propre et confortable dans la 2e). Par contre les logements à Athènes restent chers.

Écrit par : Lou | 27/09/2011

oui j’ai entendu que c’etait devenu tres insecur…de quoi ecrire un polard carrement…oui de bien bons prix didonc…les iles sont encore epargnees….

Écrit par : rachel | 27/09/2011

@ Rachel : la deuxième était aussi marquée par les constructions à l’abandon et dans les deux il y a partout des chats sauvages, parfois en piteux état…

Écrit par : Lou | 27/09/2011

punaise oui c vraiment la cata….j’espere que cela va se redresser…c quand meme un beau pays…

Écrit par : rachel | 28/09/2011

@ Rachel : j’espère aussi pour eux mais aussi pour l’Europe !

Écrit par : Lou | 29/09/2011

et pour le monde…on s’accroche lala….

Écrit par : rachel | 29/09/2011

Alors je viens de terminer cette curiosité,mon avis est mitigé mais il est certain que c’est un roman 100% pour toi !;-)

Écrit par : Malice | 18/08/2012

@ Alice : il est particulier mais j’en garde un très bon souvenir, je pense que je le relirai de nouveau pour l’ambiance et cette thématique familiale qui me plaìt beaucoup :o)

Écrit par : Lou | 19/08/2012

Je viens de le finir et j’ai adoré. Un petit chef d’oeuvre.

Écrit par : Cleanthe | 16/05/2013

@ Cléanthe : oui, c’est une merveille !

Écrit par : Lou | 13/07/2013

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