Daryl Gregory, Harrison Harrison

Je ne me serais probablement pas tournée spontanément vers Harrison Harrison, et pourtant, quel coup de cœur !

Harrison et sa mère, océanographe de son état, viennent de quitter la Californie pour un séjour prolongé à Dunnsmouth, petite ville de l’Est des Etats-Unis, dont les côtes abriteraient des animaux marins non repérés jusque-là. Harrison a perdu son père et une jambe dans un accident en mer lorsqu’il était petit. Aujourd’hui adolescent, c’est un garçon débrouillard au caractère affirmé qui a l’habitude de se gérer seul car sa mère – qu’il adore – est une scientifique passionnée peu présente pendant ses missions.

Dunnsmouth est un lieu étrange, une ville glauque tirée tout droit d’un cauchemar. Leur logement, perdu dans la forêt, est un bâtiment en bois grossier, meublé très sommairement avec des meubles mal façonnés. Le collège est un summum d’absurdité. Le bâtiment sombre est monstrueux, ses couloirs sont aussi obscurs. Le personnel et les enseignants, outre leur physique atypique et inquiétant, sont de prime abord complètement fêlés. La première journée de Harrison est faite de cours hallucinants (cours de travaux pratiques = faire des nœuds sur une corde), dans une ambiance morne. Les élèves à la peau diaphane sont affreusement silencieux et semblent aller docilement d’un endroit à un autre pour accomplir des tâches insensées ou écouter des cours aberrants. Par exemple en histoire, où l’on s’interroge avec béatitude sur les mérites respectifs des régimes autoritaires et totalitaires, et où les manuels – qui ressemblent à de vieux grimoires, traitent de sujets sordides.  Sans parler du cours de sport avec un professeur flippant qui fait plonger ses élèves dans un bassin d’eau noire au fond d’une grotte à peine éclairée. Si ce n’était pas suffisant, le soir suivant sa première journée d’école, Harrison se fait dérober son livre préféré laissé sur la terrasse – côté forêt – par une créature étrange, qui dans l’obscurité, lui semble être mi-homme mi-poisson.

Dans cet environnement sordide, une catastrophe arrive, avec la disparition de sa mère, pressentie dès les premières pages. S’engage alors un combat pour Harrison, qui sent bien que les adultes du coin ne sont pas fiables et que la police ne suffira pas pour tenter de retrouver sa mère. Le récit prend alors un nouveau souffle, avec l’arrivée d’une tante fantasque aux répliques souvent inattendues, nouvelle alliée inespérée. On suit dès lors Harrison qui, pour parvenir à son but, décide de continuer à se mêler aux élèves du collège, où semblent se passer de drôles de choses.

Ce roman d’influence lovecraftienne est une pépite à découvrir absolument. Ce n’est pas simplement une histoire fantastique bien ficelée, mais une œuvre littéraire passionnante et extrêmement bien construite. Sur le plan narratif, on s’attache immédiatement à Harrison, héros peu conventionnel malin et dégourdi, qui va s’entourer d’adjuvants inattendus ajoutant beaucoup de relief à l’histoire. Tout m’a fascinée dans ce livre, à commencer par le cadre, la petite ville américaine de bord de mer aux allures cauchemardesques. Ce collège que tout ramène à l’océan. L’incroyable imagination de l’auteur lorsqu’il décrit tout ce qui a trait à cet endroit (architecture, cours, élèves, professeurs et personnel administratif). On pense à Lovecraft évidemment, mais aussi à Edward Carey et ses univers sombres d’une grande originalité. Ou encore, Mervyn Peake. Ou cette bande-dessinée que j’avais adorée, Le Phalanstère du bout du Monde.

Cette formidable histoire est portée par une écriture fluide et soignée, et des dialogues efficaces. Avec, au début de chaque chapitre, une citation de La Ballade du vieux Marin de Coleridge, également croisée récemment dans le superbe album consacré à Mary Shelley, Mary and Frankenstein.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des détails, le roman est illustré de dessins spectaculaires qui font ressortir la physionomie atypique des personnages et contribuent à nous plonger très rapidement dans cet univers à part, cet étrange rêve éveillé dont on n’a pas envie de s’échapper trop vite.

Je me suis régalée de la première à la dernière page, j’ai savouré le cadre et me suis totalement laissé emporter par le récit haletant. Un texte d’une grande qualité, lu en apnée, que je vous recommande vivement.

Avec le cadre marin et certaines créatures croisées, ce texte aborde à sa façon deux thématiques du challenge Halloween cette année : les ogres et les bateaux fantômes – même si ici il s’agit plus de bateaux monstrueux.

344 p

Daryl Gregory, Harrison Harrison, 2015 (2020 pour l’édition française)

9 thoughts on “Daryl Gregory, Harrison Harrison

  1. Et bin de chouettes references…de bonnes plutot….en tout cas toute une ville qui a son role bien stressante…tout un livre Halloween…;)

    1. C’est un livre qui envoie vraiment, un pur bonheur de lecture, et d’autant plus que je ne suis pas particulièrement amatrice du genre… je le recommande :o)

  2. Waow! Ça à l’air génial ! J’adore ce genre de lecture. Les fonds marins me fascinent. Pour ce qui est de l’influence Lovecraftienne, il faut absolument que je lise l’une de ses œuvres. Je verrai si j’ai le temps d’en glisser une.

    1. Je suis ravie que mon billet t’ait donné envie de le découvrir. C’est vraiment un livre passionnant, et très original !

  3. J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman. Au départ l’ambiance au collège me dérangeait vraiment et comme je ne lisais que quelques pages le soir, ça n’avançait pas beaucoup mais ensuite j’ai été happée par l’histoire.

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