André Gide, La Symphonie Pastorale

gide_la-symphonie-pastorale_couv.jpgIl est souvent amusant de relire un roman, une nouvelle après quelques années. Je me suis ainsi risquée à relire Matilda de Roald Dahl début novembre et me suis absolument régalée (c’était un de mes romans favoris il y a… quelques années dirons-nous) – je ferai normalement un petit billet bientôt. En décembre, j’ai renouvelé l’expérience avec La Symphonie Pastorale d’André Gide, lu alors que j’avais à peu près la moitié de mon âge actuel. Et cette fois-ci, mes impressions de lecture sont très différentes, au point que je n’ai pas le sentiment d’avoir lu le même roman !

Moi-même il y a quinze ans : La Symphonie Pastorale décrit la rencontre entre un pasteur et Gertrude, une jeune aveugle qui a grandi auprès de sa grand-mère sourde et vit pratiquement à l’état sauvage. Le pasteur va apprivoiser Gertrude, l’instruire, l’ouvrir au monde qui l’entoure. Entre eux naît un amour puissant mais lorsqu’une opération permettra à Gertrude de recouvrer la vue, celle-ci préfèrera au pasteur son fils plus séduisant. Cruelle situation, fille superficielle, pauvre pasteur ! (Voilà du moins le souvenir que j’en gardais).

 Et aujourd’hui : le pauvre pasteur dont le sort me peinait adolescente m’est apparu comme un lamentable pleutre, intellectuellement malhonnête, fat. Dès ses prémisses, la relation entre les deux personnages repose sur la grande hypocrisie du pasteur : celui-ci propose généreusement de recueillir la pauvre orpheline à la mort de sa grand-mère, geste d’autant plus altruiste qu’il ne l’engage que pour les quelques heures qu’il envisage de consacrer à son éducation. Celle qui voit sa charge de travail s’alourdir au sein du foyer est son épouse Amélie, qui déjà ne compte pas son temps entre la tenue du foyer et leurs nombreux enfants.

Puis il profite des heures consacrées à l’éducation de Gertrude pour lui livrer une vision du monde partielle et, le temps passant et son intérêt pour la jeune fille grandissant, tournée à son avantage. Ainsi il ne lui cite que les passages de la Bible qui justifient leur relation et fait preuve d’une infinie mauvaise foi lorsque Gertrude lui dit que son épouse est malheureuse du fait de leur amour : « elle serait triste sans cela, protestai-je d’une voix mal assurée. Il est de son tempérament d’être triste » (p124). Mais il est loin d’avoir bonne conscience et craint plusieurs fois que les paroles de Gertrude ne soient entendues : « (elle) cria presque ces derniers mots, de sorte que je fus gêné à l’idée qu’on la pourrait entendre du dehors » (p147).

Juge sévère lorsqu’il s’agit des autres, sur sa femme il écrit : « de même que l’âme heureuse, par l’irradiation de l’amour, propage le bonheur autour d’elle, tout se fait à l’entour d’Amélie sombre et morose » (p115), Amélie qui cultive « les soucis de la vie » (p116). N’oublions pas le contexte et relativisons la faute de cette pauvre Amélie, dont le misérable égoïste refuse de voir le malheur.

C’est ainsi Gertrude qui lui dépeint clairement l’état des choses après avoir recouvert la vue et regrette sincèrement le mal fait à Amélie : « Mon ami, mon ami, vous voyez bien que je tiens trop de place dans votre coeur et votre vie. Quand je suis revenue près de vous, c’est ce qui m’est apparu tout de suite ; ou du moins que la place que j’occupais était celle d’une d’autre et qui s’en attristait. Mon crime est de ne l’avoir senti plus tôt ; ou du moins – car je le savais bien déjà – de vous avoir laissé m’aimer quand même. Mais lorsque m’est apparu tout à coup son visage, lorsque j’ai vu sur son pauvre visage tant de tristesse, je n’ai plus pu supporter l’idée que cette tristesse fût mon oeuvre… Non, non, ne vous reprochez rien ; mais laissez-moi partir et rendez-lui sa joie » (p144-145). Le contraste entre le pasteur et les femmes qui l’entourent est vraiment saisissant.

prix-campus-lecteurs-Logo.jpgUn court récit sur lequel il y aurait beaucoup à dire encore. Et le plaisir à la lecture ? Modéré la plupart du temps (alors que je gardais un très bon souvenir de ma première lecture), mais ce récit m’a donné matière à réflexion.

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150 p

André Gide, La Symphonie Pastorale, 1925

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barbery_elegance herisson.jpgEt puisque ce livre entre dans le Challenge du Prix campus, j’en profite pour faire un petit clin d’oeil à un autre texte français de la liste déjà chroniqué par ici, L’Elégance du Hérisson de Muriel Barbery. Je garde le souvenir d’un roman sympathique, fort plaisant à lire mais désespérément cliché et en relisant mon billet c’est tout à fait ce que j’en disais il y a quelques années. « Voilà ce qui pourrait être insupportable dans ce roman : le défilé de caricatures et de situations plus grotesques les unes que les autres. Résumons : les pauvres sont gentils et saisissent à leur manière le sens de la vie. Les riches sont bêtes et méchants. Les pauvres doivent rester à leur place. Les fils de riche sont des débiles profonds mais font des études prestigieuses. Les écoles et l’Université en prennent pour leur grade. Pour résumer, les étudiants sont des petits bourgeois prétentieux arriérés. Les concierges doivent passer pour des abruties finies quoi qu’il leur en coûte. Sans compter qu’une concierge qui ne serait pas laide et ne ferait pas de cassoulet pourrait peut-être passer pour un agent du FBI tant elle serait improbable. Histoire de ne pas trop bouleverser les vieux clichés. Je dirais même qu’à force d’excès de zèle on dépasse même les pires des clichés. » (voir mon ancien billet sur le lien ci-dessus pour le florilège de caricatures, qui vaut son pesant de cacahuètes) Mais « Ce roman est un hommage à l’art, à la littérature et à la vie. (…) Le fin le dispute à l’absurde. Quête philosophique, petit traité d’humanité, ce livre m’a au final beaucoup touchée. » Et vous, l’avez-vous aimé ?

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Petit recap des billets du challenge du Prix Campus, organisé par Titine, Cryssilda et ici-même en partenariat avec les éditions Folio :

Nathalie (Chez Mark et Marcel) a lu La Métaphysique des Catastrophes de Marisha Pessl, Les Détectives Sauvages de Roberto Bolaño,

Maggie a lu Le Bruit et la Fureur de William Faulkner,

Céline a lu Au Bonheur des Ogres de Daniel Pennac,

Cryssilda a parlé de L’Elégance du Hérisson de Muriel Barbery, de Sur La Plage de Chesil de Ian McEwan, de Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco,

Titine a parlé de Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, du Seigneur des Porcheries de Tristan Egolf, de La Promesse de l’Aube de Romain Gary, de Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco,

Ici, je vous ai parlé de L’Ami retrouvé de Fred Ulhman, de Sur la Plage de Chesil de Ian McEwan, de Novecento : Pianiste d’Alessandro Baricco et fait un clin d’oeil à La Reine des Lectrices d’Alan Bennett, à Bienvenue au Club de Jonathan Coe,

Le challenge se poursuit finalement jusqu’à fin mars 2013, bien sûr n’hésitez pas à vous joindre à nous en cours de route si vous souhaitez participer avec un billet.

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la symphonie pastorale,andré gide,challenge prix campusEt voici les résultats du concours pour gagner Novecento : Pianiste d’Alessandro Baricco. C’est Perrine qui a remporté ce livre, bravo à toi (pense à m’envoyer ton adresse) ! Et merci aux autres participantes !

Commentaires

Je suis entièrement d’accord avec toi concernant La symphonie Pastorale (Un grand classique) alors que l’élégance du hérisson est un roman sans intérêt pour ma part.

Écrit par : Malice | 04/01/2013

Ça m’intrigue ce que tu dis sur « La Symphonie pastorale ». J’en garde tellement un bon souvenir, un peu sous le coup de l’émotion peut-être et d’une grosse identification avec le personnage de Gertrude. Il faudrait que je le relise pour voir si quelques années après, mon regard a aussi changé. J’avais plus retenu le décalage entre la vision du monde d’avant et d’après son opération mais pas du tout appliqué à la relation amoureuse. Comme quoi, ça sert de relire ce genre de romans un peu « classiques » : on est aussi plus exigeant peut-être avec l’expérience de nombreuses lectures. ^^

Écrit par : Alexandra | 04/01/2013

J’avais inscris Gide à mon programme de lecture 2012, et puis voilà, rendez-vous encore manqué… j’ai bien l’impression qu’il ne me tente pas, malgré les arguments qui ne manquent pas en sa faveur…

Écrit par : Yspaddaden | 04/01/2013

C’est drôle car j’ai gardé un tout autre souvenir de la « Symphonie pastorale ». J’avais plutôt le souvenir d’un homme qui se perd par amour. C’est fou ce qu’on peut interpréter les choses différemment, et tant mieux! 😉
Quant à « Lélégance du hérisson », je n’avais pas été choquée par les stéréotypes que tu soulèves. Au contraire, ce roman avait été un coup de coeur lorsque je l’avais lu il y a 3 ans. Mais peut-être que si je le relisais, je n’en penserais plus la même chose aujourd’hui…

Écrit par : Fleur | 04/01/2013

Oh super c’est génial merci beaucoup 😀 je t’envoie mon adresse par les contacts !!
J’avais adoré Mathilda il y a longtemps, le livre comme le film d’ailleurs, ce sera un plaisir de se retrouver dans ce bel univers le temps de ton billet au moins 😀 La Symphonie Pastorale, c’est étrange ce décalage d’avis entre deux lectures, je pense que je serai exactement comme toi, c’est à dire que je l’ai lu tôt, avec le même avis que toi lors de ta première lecture, et maintenant que je lis ton avis, je suis d’accord, certains aspects attirent beaucoup moins la sympathie à l’encontre du pasteur…un récit finalement assez ambigu…
Oui j’avais aimé l’Elegance du Hérisson, malgré tout ce qu’il pourrait ressortir de cliché à l’intérieur, clichés qui à vrai dire sont demeurés totalement invisibles pendant ma lecture, et j’avais littéralement été transportée et bouleversée…c’est étrange comme les avis diffèrent, mais en tout cas il nous aura marqué !

Écrit par : -Perrine- | 04/01/2013

Tiens, je m’interroge : relire cette symphonie pastorale des années après pour voir? ^_^ Je lisais Gide à une époque, Les caves du vatican, etc…

Écrit par : keisha | 05/01/2013

je ris, quand j’ai lu la Symphonie pastorale vers 15 ans j’avais un tel à priori contre la religion que ce pasteur m’est apparu épouvantable d’hypocrisie, je l’ai écouté il y a peu en livre audio (lu par Catherine Ribeiro superbe) et bien je l’ai trouvé plus touchant, toujours pleutre là je te suis mais surtout tiraillé entre les exigences de sa foi et un amour interdit !

Écrit par : Dominique | 05/01/2013

je n’ai jamais lu la symphonie pastorale, par contre j’ai vu le film qui en fut adapté – je vais essayer de combler la lacune de lecture 😉

par contre j’ai apprécié l’élégance du hérisson, plus particulièrement la version lvre-audio, très ben faite

Écrit par : niki | 05/01/2013

Je fais aussi partie de celles qui ont beaucoup aimé La symphonie pastorale, mais ma lecture remonte au lycée voire au collège ! Avec ce que tu dis de ta seconde lecture, je ne sais pas si je tenterai de me replonger dedans.

Écrit par : Midola | 06/01/2013

Je l’ai lu deux fois aussi et j’ai eu les mêmes impressions la première fois, on découvre l’intrigue et la deuxième fois les idées ( hypocrisie religieuse et fausseté des apparences, se mentir à soi-même !). J’avais en horreur Gide mais en vieillissant j’ai changé d’avis !

Écrit par : maggie | 06/01/2013

Pour moi, « La symphonie pastorale »c’est chiant. En revanche, « Les faux-monnayeurs » est un livre extra.

Écrit par : Lilly | 06/01/2013

@ Malice : je me souviens d’avoir passé un bon moment avec le Barbery mais bon, ce livre a tellement de défauts que je ne me suis pas décidée à relire cet auteur depuis.

@ Alexandra : ce que tu dis sur l’expérience du monde est très vrai, je crois que j’avais aussi cette vision, mais dans mon esprit romanesque je pense que l’histoire d’amour était ce qui au final m’avait le plus marquée. Je pense aussi qu’au delà de la maturité et des lectures qui ont eu lieu entretemps notre personnalité et notre vision du monde influencent beaucoup la manière dont nous abordons les textes. Je suis un peu plus féministe qu’adolescente et je pense que mon dégoût pour le pasteur tient à ma perception de sa relation avec les femmes.

Écrit par : Lou | 06/01/2013

J’en ai le même souvenir, le narrateur m’est totalement insupportable. Ce qui en dit long sur la réussite de la langue de Gide, d’ailleurs. Du coup, je n’avais même pas fait de billet pour le blog !

Écrit par : nathalie (Mark et Marcel) | 06/01/2013

@ Yspaddaden : je dois dire que je n’avais pas spécialement envie de relire Gide de suite mais comme il figurait sur la liste du challenge Campus ça a été l’occasion :o)

@ Fleur : il y a l’interprétation qui peut être différente, et les souvenirs plus ou moins vagues, au final ça donne un mélange curieux. Il n’est pas faux de dire que le pasteur se perd par amour mais c’est trop joliment dit d’après la vision que j’ai du personnage :o)

@ Perrine : merci, et encore bravo ! J’envoie ton adresse aux éditions Folio de ce pas !
Concernant « Matilda » je n’ai jamais osé voir le film mais vu ton avis positif je suis curieuse de voir ce que ça donne !
Pour « L’Elégance du Hérisson » je faisais mes études à deux pas du quartier bourgeois décrit par l’auteur un ou deux ans avant la lecture et j’ai retrouvé dans ce livre ses défauts sous une caricature grossière. Sa vision des riches, des pauvres, des grandes écoles m’a insupportée. Tant mieux si cela n’a pas gâché ta lecture car c’était dans le fond une jolie histoire et j’aurais aimé ne pas m’énerver toute seule en lisant ce roman ;o)

@ Keisha : j’ai lu deux romans de cet auteur adolescente puis le retour de l’URSS dans le cadre d’un cours d’histoire pendant mes études mais je ne suis pas spécialement séduite par Gide, même si je n’ai pas regretté cette relecture.

@ Dominique : oui nous faisons le même chemin mais en sens inverse :o) Je crois que ça tient pour beaucoup à notre personnalité et à notre vision de la vie qui varie au fil du temps, et qui nous concernant a dû prendre un cours différent… j’ai bien ri moi aussi en lisant ton commentaire, c’est vraiment amusant en effet !

@ Niki : je ne connais pas du tout le film dont je n’ai vu que quelques photos, mais j’ai de nombreuses lacunes à combler sur le plan cinématographique… je pars d’un niveau malheureusement proche du néant.

@ Midola : j’étais moi aussi au collège (en 3e je dirais) quand j’avais beaucoup aimé, mais ensuite j’avais lu « la Porte étroite », ce qui m’avait sacrément calmée !

@ Maggie : j’ai quand même du mal avec Gide, le personnage ne m’attire pas des masses, d’ailleurs l’image qui en est donnée dans « The Importance of being Wilde » n’a pas arrangé les choses.

@ Lilly : j’ai « Les Faux-Monnayeurs » dans ma PAL depuis dix ans, je finirai bien par l’en sortir. Pour « La Symphonie pastorale » j’ai trouvé ça plus pénible à lire cette fois-ci que quand j’étais adolescente.

Écrit par : Lou | 06/01/2013

@ Nathalie : si j’avais dû écrire un billet sur « La Porte étroite » j’aurais eu bien du mal :o) !

Écrit par : Lou | 06/01/2013

Si tu veux Lou je pourrai te passer le DVD de la Symphonie Pastorale (un très beau film avec Michèle Morgan toute jeune) la prochaine fois que l’on se voit 😉

Écrit par : Malice | 06/01/2013

@ Malice : avec un grand plaisir !
Et je t’envoie un mail cette semaine :o)

Écrit par : Lou | 07/01/2013

Je viens de lire La Symphonie Pastorale et je suis du même avis que toi : le personnage du pasteur est tout sauf sympathique et altruiste. Il est vrai que je m’attendais à une belle histoire d’amour mais ce n’est pas du tout ça … Au final, je reste mitigée !

Écrit par : Mrs Figg | 07/01/2013

lou, quelle chance tu as = partir du néant côté cinéma, cela signifie que tu as encore tout à découvert – et tu verras, il y a quelques pépites 😀

Écrit par : niki | 07/01/2013

@ Mrs Figg : j’ai vu ton billet, mais je suis en retard dans mes commentaires, car je voulais te répondre… quel abject personnage en tout cas !

@ Niki : c’est vrai, c’est un peu quand on n’a pas lu « Pride and prejudice » et qu’on le découvre pour la première fois… quel bonheur !

Écrit par : Lou | 13/01/2013

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