De l’histoire d’une concierge

b2033b66bed2452fb3990a3c81dd6377.jpgFini ce soir… note à venir très rapidement !

Par esprit de contradiction, je fuis assez souvent les Prix Littéraires récents et les livres qu’il faut absolument avoir lus – et qui croisent mon chemin régulièrement pendant des mois dans le métro.

L’Elégance du Hérisson de Muriel Barbery faisait partie de ceux-là. Et pourtant, depuis sa sortie, je le feuilletais régulièrement en librairie. Achètera ou n’achètera pas ? Bizarrement, si j’ai autant attendu pour le lire, c’était plutôt parce que, malgré mon immense envie de lire ce roman qui me semblait fait pour moi, les premières pages me rebutaient systématiquement. Car l’introduction en forme de caricature était loin de me plaire.

Cet a priori résume assez bien mon sentiment à la lecture de ce roman. Commençons par ces petits agacements qui, partout ailleurs, m’auraient fait jeter mon livre par la fenêtre – assommant très certainement le concierge passant par là au mauvais moment.

Voilà ce qui pourrait être insupportable dans ce roman : le défilé de caricatures et de situations plus grotesques les unes que les autres. Résumons : les pauvres sont gentils et saisissent à leur manière le sens de la vie. Les riches sont bêtes et méchants. Les pauvres doivent rester à leur place. Les fils de riche sont des débiles profonds mais font des études prestigieuses. Les écoles et l’Université en prennent pour leur grade. Pour résumer, les étudiants sont des petits bourgeois prétentieux arriérés. Les concierges doivent passer pour des abruties finies quoi qu’il leur en coûte. Sans compter qu’une concierge qui ne serait pas laide et ne ferait pas de cassoulet pourrait peut-être passer pour un agent du FBI tant elle serait improbable. Histoire de ne pas trop bouleverser les vieux clichés. Je dirais même qu’à force d’excès de zèle on dépasse même les pires des clichés.

Quelques exemples :

Une grande bourgeoise vivant dans le 7e doit forcément en prendre pour son grade. Quitte à créer un dialogue à la crédibilité douteuse. Fait de « euh… », « enfin… ».

Une héroïne cultivée et intelligente peut se permettre de supposer que le nouveau voisin, parce qu’il s’appelle Ozu, est forcément de la famille du réalisateur du même nom. Tenez, si ma nouvelle voisine s’appelle Claire Dupond, je trouverai ça follement excitant et me demanderai quelle est sa parenté avec le danseur Patrick Dupond.

Et en live, un passage profondément ridicule (extrait du journal de Paloma, qui, à 12 ans, écrit sur l’absurdité du monde en évoquant régulièrement son statut de surdouée) :

«  Tibère, c’est le copain de ma sœur. Il fait Normale sup comme elle, mais en maths. Quand je pense qu’on appelle ça l’élite… La seule différence que je vois entre Colombe, Tibère, leurs copains et une bande de jeunes « du peuple », c’est que ma sœur et ses potes sont plus bêtes. Ça boit, ça fume, ça parle comme dans les cités et ça s’échange des paroles du type : « Hollande a flingué Fabius avec son référendum, vous avez vu ça, un vrai killer, le keum » (véridique) ou bien : « tous les DR (les directeurs de recherche) qui sont nommés depuis deux ans sont des fachos de base, la droite verrouille, faut pas merder avec son directeur de thèse » (tout frais d’hier). Un niveau en dessous, on a droit à : « en fait, la blonde que J.B mate, c’est une angliciste, une blonde, quoi » (idem) et un niveau au-dessus : « la conf. de Marian, c’était de la balle quand il a dit que l’existence n’est pas l’attribut premier de Dieu » (idem, juste après la clôture du dossier blonde angliciste). Que voulez-vous que j’en pense ? Le pompon, le voilà (au mot près) : « c’est pas parce qu’on est athée qu’on n’est pas capable de voir la puissance de l’onthologie métaphysique. Ouais, ce qui compte, c’est la puissance conceptuelle, pas la vérité. Et Marian, ce sale curé, il assure, le bougre, hein, ça calme. »

Je ne veux surtout pas connaître les traumatismes endurés par Muriel Barbery pour écrire un tel ramassis d’inepties. Je souligne le mot « bougre » que les khâgneux utilisaient peut-être encore il y a plus de vingt ans et qui souligne à lui seul la vacuité du propos.

Après avoir enfoncé cet aspect insupportable du roman en bonne et due forme (ouf ! ça va mieux !), que dire ? Que j’ai détesté ? Que c’est lamentable ? Que nenni ! Bizarrement, malgré ces passages qui m’ont fait serrer les dents, je résumerais L’Elegance du Hérisson à une chose : l’immense plaisir de la lecture.

Ce roman est un hommage à l’art, à la littérature et à la vie. Les personnages érudits, malgré leurs travers, parviennent à communiquer leur amour du Vrai en faisant moult commentaires d’une remarquable justesse. A la lecture de ce roman intellectuellement stimulant, on s’interroge sur nos propres motivations, notre sensibilité. L’histoire devient de plus en plus émouvante. La concierge de plus en plus authentique. On en vient presque à comprendre pourquoi elle s’obstine à passer pour une analphabète devant les habitants de l’immeuble. Le fin le dispute à l’absurde. Quête philosophique, petit traité d’humanité, ce livre m’a au final beaucoup touchée. Un roman que je ne suis pas prête d’oublier !

356 p

Muriel Barbery, L’Elegance du Herisson, 2006

 

Commentaires

Haha ! J’ai hate de lire ce que tu en as pensé ;).

Écrit par : Agnès | 08/12/2007

Moi aussi, j’ai hâte, vu les avis mitigés que j’ai lu sur ce livre !

Écrit par : Joelle | 08/12/2007

Ah ben moi ces passages m’ont beaucoup fait rire parce que j’y ai retrouvé l’absurdité de certaines discussions menées en cours (je n’ai certes pas fait Normale Sup et je n’irai pas non plus jusqu’à dire que tous les étudiants sont comme ca, mais des cas comme ceux-là j’en connais). Contente que le livre t’ait quand meme plu dans l’ensemble :).

Écrit par : Agnès | 08/12/2007

J’imagine que les mêmes aspects que toi vont m’agacer… mais j’imagine aussi que je vais lire!!! Je suis définitivement tentée!!

Écrit par : Karine | 09/12/2007

Eh bien moi, qui ai fait une « Ecole », ce genre de propos me hérisse. Et le fait même d’avoir reçu un prix ne me rend pas un livre plus attrayant…alors du coup, je passe mon tour. Na!

Écrit par : Choupynette | 09/12/2007

@ Agnès : enfin tu n’as jamais entendu « le keum » ou « le bougre », tout de même ?;o) De mon côté je connais mal l’université donc je ne peux pas témoigner, en tout cas les quelques normales sup que je connais sont à des milliards d’années lumière du ton de ce discours. Après, quelques-uns sont un peu pédants mais bon ils ne ressemblent pas pour autant aux débiles décrits dans le roman 😛

@ Choupynette : moi aussi ça m’énerve. ça renforce les vieux clichés et ça fait passer les étudiants en général pour des imbéciles… mais heureusement le roman avait d’autres mérites qui m’ont permis de passer outre (ou « presque » ;o))

@ Karine : j’attends avec impatience ton avis !:o)

Écrit par : Lou | 10/12/2007

J’ai aimé ce livre et encore aujourd’hui j’en garde un bon souvenir !!
Bonne soirée Lou !

Écrit par : Florinette | 10/12/2007

Vu que je fais mes études à l’étranger, j’ai de toute facon peu de chances d’entendre « keum » et « bougre » dans quelque bouche que ce soit ;). Mais « keum » en tout cas ne me semble pas exclu. Je ne dis pas que tous les étudiants, notamment de grandes écoles, sont aussi atteints que ceux présentés dans le roman (la soeur est un cas, ce qui peut arriver, et elle a simplement des fréquentations à son image, ce qui est un fait courant ; simple phénomène de clique homogènement débile), seulement que ce genre de cas existe tout à fait et n’est pas forcément difficile à trouver ;).

Écrit par : Agnès | 10/12/2007

C’est un livre épatant et d’une justesse touchante! Un vrai bonheur à lire et à relire!

Écrit par : katell | 12/12/2007

@ Florinette : je m’en vais de ce pas relire ton commentaire !

@ Agnès : je ne nie pas l’existence de quelques cas pathétiques, mais en tout cas pour les grandes écoles, je n’ai pas retrouvé les défauts et absurdités qui me paraissent plus crédibles :o) Mais après tout c’est de la fiction ;o)

@ Katell : je trouve que c’est un livre très sensible et émouvant. La fin me plaît tout particulièrement, même si je suis critique sur certains aspects.

Écrit par : Lou | 15/12/2007

Grrr… agacée par ce livre et les clichés qu’il trimbale ! mais je l’ai dévoré…

Écrit par : praline | 16/12/2007

@ Praline : exactement comme moi !

Écrit par : Lou | 16/12/2007

Même si ton article est très intéressant et très bien écrit, Lou, je reste ceptique sur ce livre, dont j’ai lu de bonnes et de mauvaises critiques … Je crois que j’attendrai qu’il sorte en poche, à moins de le trouver d’occasion chez un de mes (nombreux !!) bouquinistes … Merci pour ce petit billet aux oignons o))

Écrit par : Nanne | 17/12/2007

@ Nanne : merci pour ce compliment sur mon article :o) A vrai dire j’ai eu un mal fou à l’écrire car j’étais partagée entre le sentiment d’avoir éprouvé un immense plaisir à la lecture et celui, plus frustrant, d’enrager devant les multiples clichés qui sont véhiculés. En tout cas fais-moi savoir ton avis si tu viens à le lire…

Écrit par : Lou | 18/12/2007

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