Je profite une fois encore du mois kiltissime pour faire sortir de ma bibliothèque un livre qui y traînait depuis quelques mois. En l’occurence, il s’agit cette fois-ci d’une bande dessinée en noir et blanc issue de la série A Treasure of Victorian Murder de Rick Geary : The Case of Madeleine Smith.
Qui est donc cette charmante jeune femme servant un délicieux chocolat sur la couverture du livre (tandis que je savoure un thé Paul & Virgine) ?
Madeleine Smith est, vous vous en doutez déjà, accusée d’avoir empoisonné quelqu’un. Mais qui donc ?
Née en 1836, la jeune femme est issue des classes supérieures de Glasgow. Après avoir parfait son éducation à Londres dans une maison pour jeunes filles respectables, dans le but évident de faire un beau mariage et une bonne maîtresse de maison (selon la mode en vigueur à l’époque), Madeleine revient à Glasgow. Nous sommes en 1855. Au cours d’une promenade, elle rencontre Emile L’Anglier, né à Jersey, avec qui le coup de foudre semble immédiat. Les deux jeunes gens finissent par être présentés : L’Anglier accompagne Madeleine et sa soeur lors de promenades et, petit à petit, s’engage entre Madeleine et lui une correspondance d’environ 200 lettres de Madeleine (aucune information quant à celles de L’Anglier) qui atteste de leur relation. Tous deux se déclarent mari et femme sans pour autant mettre leurs plans à exécution. Le père ayant vent de l’histoire par la petite soeur de Madeleine, la jeune fille se voit interdire tout contact avec L’Anglier. Bien entendu, la correspondance et les rencontres secrètes se poursuivent. Smith et L’Anglier consomment leur relation à une occasion, ce qui est source de culpabilité chez L’Anglier, bien décidé à se racheter.
Peu à peu, Madeleine se détache d’Emile et cherche à rompre avec lui. Elle a en effet été présentée à un parti avantageux et tout laisse à penser que les fiançailles sont imminentes. L’Anglier ne l’entend pas de cette façon et considère toujours Madeleine comme sa promise. A noter que le jeune homme avait apparemment des tendances suicidaires avant de la rencontrer, et qu’il avait vécu une longue suite de romances finalement déçues (ce qui ne semble pas étonnant compte tenu des informations qui suivent).
Au bout d’un certain temps, Emile est pris de violentes crises : maux d’estomac, fièvre… ces attaques violentes le laissent très affaibli. Il semble se rétablir quelque peu lorsque les circonstances l’éloignent de Madeleine, mais une nouvelle rencontre est suivie d’une rechute. Il ouvre un journal (dont l’authenticité n’a pas été prouvée lors du jugement) et évoque la relation entre ses rencontres avec Madeleine et ses crises. Selon son amie Mme Perry, qui témoignera au tribunal, L’Anglier aurait jugé plausible un empoisonnement par Madeleine, qui lui sert de temps en temps du chocolat dans la rue depuis sa fenêtre, lorsqu’il vient lui rendre visite.
Emile décède et, une fois sa correspondance retrouvée, Madeleine est arrêtée et conduite à Edimbourg où a lieu le procès. Les lettres d’Emile n’ont pas été retrouvées et Madeleine demandait à son prétendant de détruire les lettres qu’elle-même lui adressait. Dans les derniers temps, elle lui demandait instamment de ne pas ruiner son honneur en dévoilant à son père leur histoire.
Le procès fait grand bruit, et beaucoup sont prêts à payer une guinée pour voir Madeleine qui, dans l’ensemble, recueille la sympathie du public. Finalement, suite à la plaidoirie de son avocat (qui met en avant l’absence de preuves et le fait que Madeleine voulait que ses lettres ne soient pas retrouvées, ce qui était incompatible avec le meurtre de L’Anglier qui les rendrait forcément publiques), Madeleine est acquittée, jugée non coupable de tentative de meurtre et, quant au meurtre lui-même, il n’est pas prouvé aux yeux du juré (qui rend la décision « not proven »). Pourtant, Madeleine avait acheté par trois fois de l’arsenic avant le décès de L’Anglier, pour se débarrasser de vermine et de rats selon elle (mais quelle fille aînée de bonne famille serait chargée de s’occuper des invasions d’animaux nuisibles dans la demeure familiale ? J’ai personnellement bien du mal à le croire).
Madeleine quitte l’Ecosse pour Londres avec un frère dont elle est proche. Elle finit par se remarier et vit à Bloomsbury, dans un cercle actif où l’élite intellectuelle de l’époque se rencontre régulièrement pour débattre. Elle connaissait les préraphaélites et aurait servi de modèle à Rossetti. George Bernard Shaw dit d’elle n’avait rien de sinistre et qu’il acceptait son café sans ressentir d’effets secondaires !
Son mari la quitte. Elle se retire à Leek, où elle passe pour une excentrique, avant de rejoindre son fils à New York. Elle a 80 ans mais ne fait pas son âge et épouse un homme d’une soixantaine d’années qui décèdera avant elle. Curieusement, lorsqu’elle décède à l’âge de 92 ans, son certificat de décès indique seulement l’âge de 64 ans. Elle est enterrée dans l’état de New York.
En 1950, l’histoire de Madeleine Smith a été portée à l’écran par David Lean. Voici un lien vers un avis sur ce film que j’aimerais voir si je parviens à le trouver.
Voici également un article intéressant concernant cette affaire renvoyant également vers d’autres liens (l’auteur de l’article est aussi celui du livre ci-dessous). Pour les challengers du mois kiltissime, à noter que ce site s’intitule Books from Scotland.
Ici un extrait d’un article de Marion Arnott sur le livre de Douglas Mac Gowan – article détaillé que je vous invite à lire : « L’Anglier was a demanding and bullying lover – he decided what clothes she should wear, whom she could speak to, where she should go (she had to plead with him to allow her to walk with her own brother in Sauchiehall Street). He constantly criticised her behaviour; her supposed lack of feminine accomplishments is compared unfavourably to those of his other female acquaintances. Madeleine’s letters refer to these admonishments constantly. She seeks approval constantly. » (Visiblement dangereux et névrosé, Emile aurait-il pu écrire son journal tout en s’empoisonnant volontairement pour faire payer à Madeleine son éloignement ?)
Alors, à votre avis : guilty ? Not guilty ?
Voilà pour le cas Smith. Quant à la bande-dessinée, elle est à mon sens très intéressante : je m’attendais à un récit quelque peu « brodé » autour du cas, avec des effets de suspense, or il n’en est rien. C’est un récit très factuel, une bande-dessinée descriptive qui offre une vue d’ensemble au profane : principaux événements et protagonistes, historique des faits, déroulement du procès, conclusion. A noter toutefois que Geary fait à peine allusion au comportement pressant de L’Anglier relaté plus haut : hormis quelques allusions je n’avais pas forcément l’impression que L’Anglier était un personnage aussi malsain et obsédé par son histoire avec Madeleine, mais plutôt un amoureux effectivement très présent jouant à tort le rôle du patriarche qu’il n’était pas. Enfin, le graphisme est soigné et m’a plu, hormis L’Anglier dont le portrait est peu flatteur et peu ressemblant. En tout cas, cela m’a donné envie de poursuivre ma lecture de la série A Treasury of Victorian Murder.
80 p
Rick Geary, The Case of Madeleine Smith, 2006
Une lecture kiltissime qui est aussi ma première participation à la BD du mercredi de Mango.
Commentaires
Écrit par : rachel | 22/06/2011
Écrit par : zarline | 22/06/2011
Écrit par : mango | 22/06/2011
PS : on voit qu’elle est anglaise sur la couverture car elle sert très bien son thé sans le regarder !!!
Écrit par : maggie | 22/06/2011
@ Zarline : je pense lire une de ces biographies, a priori celle que j’ai mise sur mon billet effectivement.
@ Zarline et Mango : La série BD me semble prometteuse aussi et je continuerai à la lire. Je suis comme toi côté culpabilité… au début ça me semblait évident (surtout le coup de l’achat de poison) mais ce qu’on dit sur le fiancé (qui fait froid dans le dos) me fait douter. Et si elle l’a tué elle me semble moins agir comme une froide calculatrice, mais plutôt comme une personne qui a pu se sentir harcelée et qui ne voyait pas d’autre moyen de se sauver. J’aurais fait un juré bien médiocre moi aussi, et dans le doute j’aurais voté « not proven » (surtout quand tu connaissais l’enjeu de ces condamnations à l’époque !).
@ Maggie : écossaise, écossaise !:o) Tu vas t’attirer les foudres de quelques participantes au challenge sinon… ceci dit, cette jeune Britannique est en effet experte lorsqu’il s’agit de verser son thé, c’est certain !
Écrit par : Lou | 22/06/2011
Écrit par : rachel | 22/06/2011
Je lui donne le bénéfice du doute 🙂
Écrit par : Pascale | 22/06/2011
@ Pascale : moi aussi, maybe not « not guilty », but « not proven » !
Écrit par : Lou | 22/06/2011
Écrit par : Noukette | 22/06/2011
Écrit par : rachel | 23/06/2011
Écrit par : melodie | 23/06/2011
Écrit par : FondantOchocolat | 23/06/2011
Ca va sûrement me revenir, je te préviens dès que je me souviens de plus d’éléments.
(pour moi : Guilty!)
Écrit par : Cryssilda | 23/06/2011
Écrit par : Titine | 23/06/2011
la BD a l’air bien aussi 😉
Écrit par : niki | 23/06/2011
Écrit par : maggie | 23/06/2011
@ Rachel : oui c’est certain ! Le site que j’ai mentionné insiste sur la façon dont il faisait pression sur elle et la rabaissait, elle a dû vivre un enfer d’autant plus que dans leur correspondance ils prétendaient être un couple légitime (donc elle lui devait obéissance, à l’époque !).
@ Melodie : il y en a justement une sur Jack l’Eventreur dans la série ! (mais tu dois penser à « From Hell »)
@ Fondantochocolat : disons que je m’explique toujours mal comment une jeune fille de bonne famille serait amenée à gérer elle-même ce problème (j’imagine que c’était un problème de la gourvernante, qui devait rendre des comptes à la maîtresse de maison).
@ Cryssilda : ah oui je veux en savoir plus ! tu éveilles ma curiosité, peut-être que tu as lu un roman inspiré de cette histoire ? :o)
@ Titine : sacré Emile, après avoir lu tout ça on le plaint déjà beaucoup moins !
@ Niki : quand on commence à lire ce type d’info on passe ensuite d’un site à un autre, et ça ne finit jamais, les historiens ne manquant pas :o)
@ Maggie : bah British ça englobe aussi les Ecossais, en même temps ! Par contre Anglais, c’est différent, c’est juste l’Angleterre et non le Royaume-Uni :o) oh oh, de retour de Londres ? Mais je n’étais pas au courant… je veux en savoir plus ^^
Écrit par : Lou | 23/06/2011
Écrit par : melodie | 23/06/2011
Écrit par : rachel | 24/06/2011
@ Rachel : ah le remake du film sur les deux aubergistes ?
Écrit par : Lou | 25/06/2011
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=27446.html
Écrit par : rachel | 25/06/2011
Écrit par : Lou | 26/06/2011
Écrit par : rachel | 26/06/2011
Écrit par : Lou | 26/06/2011
Écrit par : rachel | 26/06/2011
Écrit par : Lou | 21/07/2011
Écrit par : rachel | 22/07/2011
Écrit par : Joelle | 03/08/2011
Écrit par : Lou | 04/08/2011
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