Lorsque j’ai découvert qu’un nouveau roman de Cécile Ladjali allait être publié, je me suis mise à frétiller d’impatience, comptant bien découvrir Ordalie au plus vite. Ladite arme du crime m’ayant été offerte par un généreux lecteur qui se reconnaîtra, je me suis très vite plongée dans cette version romancée de la relation entre Paul Celan et Ingeborg Bachmann (appelés ici Lenz et Ilse).
De Cécile Ladjali, je connaissais Les Vies d’Emily Pearl et Les Souffleurs (lu il y a plus d’un an mais jamais chroniqué ici – je ne désespère pas). J’ai découvert l’auteur par hasard au Salon du Livre, attirée par les couvertures des romans cités à l’instant. Le titre Les Vies d’Emily Pearl s’est imposé à moi en raison du cadre victorien et des prénoms Emily et Virginia qui me faisaient déjà pressentir un auteur aux goûts littéraires proches des miens. Ce livre qui transgresse les codes du roman victorien avec habileté m’a beaucoup marquée ; je l’ai préféré aux Souffleurs, texte insaisissable et déconcertant inspiré de l’univers de Shakespeare. Ce titre plus ancien m’avait cela dit déjà séduite par sa forme et son originalité. Depuis ces deux lectures, j’ai beaucoup d’admiration pour le travail ambitieux de Cécile Ladjali, son écriture poétique et très soignée et plus que tout, les nombreuses références qui alimentent ses récits et leur donnent une nouvelle dimension. L’intertextualité est encore au cœur de son dernier roman, Ordalie invitant à la (re)lecture des œuvres de Bachmann et de Celan (puis à sa propre relecture).
Inventant Zak, un cousin imaginaire amoureux d’Ilse, l’auteur choisit un narrateur très observateur, témoin privilégié au jugement sans doute parfois biaisé par la jalousie. Intégrant des citations de Celan et de Bachmann au récit, le parcours d’Ilse et de Lenz est aussi pour nous l’occasion de croiser d’autres figures emblématiques de la littérature germanique d’après-guerre, comme le Suisse Max Frisch ou l’Allemand Henrich Böll. Citons encore parmi d’autres nationalités René Char et Kissinger.
Ce roman traite d’une passion dévorante, d’un amour inaltérable mais voué à l’échec ; l’histoire d’Ilse et de Lenz n’est pourtant que le fil conducteur.
L’ordalie, « ce jugement de Dieu par l’eau ou le feu » (p81-82), se traduit par de nombreuses allusions aux deux éléments dont le choix n’est pas dû au hasard : Ingeborg Bachmann a péri dans un incendie à Rome ; Paul Celan s’est suicidé en se jetant dans la Seine.
Au-delà de leur relation fusionnelle se pose la question du rôle de l’écrivain. A travers le rapport particulier à l’art d’Ilse, de Lenz et d’autres personnages, le lecteur est amené à s’interroger : comment se positionner en tant qu’artiste après l’horreur de la guerre et des camps ? Doit-on avoir une vision purement artistique ou faire de son œuvre une arme politique ? Ou bien encore, outre la problématique de l’art engagé ou non, comment les écrivains d’expression allemande en particulier peuvent-ils ou doivent-ils se positionner après le fléau nazi ? Ordalie tente surtout de dire la grande Histoire, à travers le parcours de ces trois êtres meurtris, orphelins ou fils de la honte, qui trébuchent dans le noir, la bouche pleine de cette langue allemande qui les étouffe et avec laquelle ils vont tenter de créer. Car pour Ilse et Lenz, écrire revient à vivre. Zak finira par comprendre cela à son tour (Actes Sud).
La prose de Cécile Ladjali est facilement reconnaissable. Ordalie est comme vous vous en doutez ma troisième rencontre avec l’univers de l’écrivain et, malgré le sujet et le cadre jusqu’ici toujours différents, il me semble que le lecteur retrouve à chaque fois un style exigeant et terriblement exact chez Ladjali, ainsi qu’une certaine distanciation entre le lecteur et les personnages. Ce ressenti est peut-être très personnel mais lorsque je lis cet auteur, j’ai l’impression d’être un observateur extérieur rendu lucide par la précision de l’écriture, parfois même par sa froide mécanique (en particulier dans Les Souffleurs). Ordalie ne fait pas vraiment exception à la règle même si j’ai trouvé le ton plus doux et particulièrement poétique.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore l’auteur, ma préférence va aux Vies d’Emily Pearl et j’aurais tendance à le recommander pour une première lecture. Dans un genre différent, Ordalie est un roman habilement construit qui m’a beaucoup plu pour de nombreuses raisons : la plume particulière de C. Ladjali ; les nombreuses références et les problématiques dont le texte s’enrichit ; enfin, la fluidité du texte qui, s’il ne respire pas toujours la joie de vivre, est extrêmement agréable à lire.
PS : J’ai ajouté la toile de Rothko (un peintre qui me plaît énormément, ça tombe bien) et une photographie de Atget car tous deux sont évoqués.
Lilly, elle aussi conquise par l’auteur, a beaucoup aimé ce roman et traite dans son billet d’autres aspects intéressants.
197 p
Cécile Ladjali, Ordalie, 2009
3/7
Commentaires
Écrit par : rachel | 03/09/2009
Écrit par : Lilly | 03/09/2009
Écrit par : Theoma | 03/09/2009
Écrit par : Mango | 03/09/2009
Écrit par : levraoueg | 03/09/2009
Écrit par : Aifelle | 04/09/2009
Écrit par : Isil | 04/09/2009
Écrit par : Karine:) | 04/09/2009
@ Lilly : ton commentaire me rassure un peu car j’ai eu du mal à écrire mon billet qui ne me plaisait pas vraiment. Ce n’est pas évident de parler d’un tel livre (et je ne trouve pas du tout ton billet mauvais, ah là là !!).
@ Theoma : j’aurais adoré le voir à la Tate. J’ai vu un certain nombre de toiles, notamment à Madrid si je me souviens bien. Je ne sais pas pourquoi j’aime autant alors que je déteste à l’inverse les monochromes ^^
@ Mango : une autre expo que j’ai loupée. Tu parles bien du musée près de Trocadero ? Je l’ai découvert finalement assez récemment mais jusqu’ici j’ai bien aimé les expos vues et je préfère largement la collection à celle de Beaubourg… mais bon c’est très personnel 🙂
@ Levraoueg : ah non je ne le savais pas ! Je vais essayer d’écouter ça sur le net ce week-end !
@ Aifelle : j’en suis ravie, c’est vraiment un excellent écrivain… au moins à découvrir !
@ Isil : j’ai trouvé pas mal de photos intéressantes en ligne. Dans le livre, le narrateur parle surtout de ses photos « d’après le crime ». On en parle finalement assez peu mais c’est le photographe qui influence le travail du narrateur.
@ Karine 🙂 : yes, ça vaut le coup !
Écrit par : Lou | 04/09/2009
Écrit par : Canel | 04/09/2009
Écrit par : Leiloona | 05/09/2009
Écrit par : Lilibook | 05/09/2009
@ Leiloona : chouette !!
@ Lilibook : alors j’ai bien fait de publier ce billet :o)
Écrit par : Lou | 05/09/2009
Écrit par : Stephie | 06/09/2009
Écrit par : Lou | 06/09/2009
Écrit par : Restling | 06/09/2009
Écrit par : Lou | 06/09/2009
Écrit par : Manu | 08/09/2009
Écrit par : Lou | 08/09/2009
Écrit par : Alice | 20/09/2009
Écrit par : Lou | 21/09/2009
Écrit par : Lapinoursinette | 08/10/2009
Écrit par : Lou | 08/10/2009
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