Ayant lu Les Belles années de Mademoiselle Brodie de Muriel Spark, je me suis penchée sur une espèce en voie de disparition de par nos contrées : l’enseignant.
Bien que doutant fortement de l’exactitude des propos tenus par mon encyclopédie, j’ai trouvé ce qui suit :
Enseignant (adjectif et nom commun) :
1. Qui enseigne (cette première définition m’ayant été d’une grande utilité, j’ai poursuivi ma lecture).
2. Autrefois chargé de l’éducation des plus jeunes afin de contribuer efficacement au bien-être collectif de la nation, l’enseignant est devenu une sorte de curiosité pour son prochain. Avec une bonne volonté évidente et un courage inégalé, il part en croisade de septembre à juillet avec pour adjuvantes ses classes de cinquante élèves. En théorie, sa mission est sensiblement la même. Les moyens mis à sa disposition font de son métier un parcours du combattant. (voir aussi ministère de l’éducation, grèves)
3. Mademoiselle Brodie (cas particulier) : l’enseignante Brodie est un modèle de réussite pour le corps enseignant, mais il a fallu attendre les années soixante pour une pleine reconnaissance de ses efforts. Célèbre pour le développement de méthodes expérimentales sur des classes de primaire, Mlle Brodie avait pour but de faire de ses élèves « la crème de la crème ». Afin d’extraire le meilleur des jeunes filles dont elle avait la charge dans les années trente, cette personnalité du monde éducatif refusait d’aborder les matières traditionnellement enseignées à l’époque (arithmétique, orthographe, grammaire, histoire, etc.), leur préférant le partage d’anecdotes choisies et soigneusement développées sur sa vie intime. Bien que ses méthodes peu orthodoxes n’aient pas été adoptées par l’ensemble du corps professoral, Mademoiselle Brodie a encore aujourd’hui une centaine d’irréductibles adeptes surnommés clan Brodie, en hommage aux élèves choisies par l’enseignante pour devenir ses confidentes ou « siennes pour la vie ». (voir aussi rébellion, parasite, contestable, modèle)
Voilà qui résume finalement assez bien le cas Brodie. Subversive ? Prête à se battre dans l’intérêt de ses élèves ? C’est ce que je pensais en parcourant le résumé mais, après lecture, les ambitions de Mademoiselle Brodie me semblent peu louables et foncièrement égoïstes. Si le but poursuivi n’est pas noble, mais le résultat positif, est-ce suffisant ? Ou les objectifs qui animent l’enseignante doivent-ils être pris en compte ? En effet son clan réussit très bien une fois « au collège », quoi qu’il soit difficile de dire si sa réussite est due aux aptitudes particulières des élèves ou aux effets bénéfiques de l’influence de Mlle Brodie. C’est une véritable emprise que l’enseignante cherche à avoir sur ses élèves. Au lieu de les laisser libres de penser par elles-mêmes, elle leur apprend à bien penser, c’est-à-dire à acquérir certains automatismes afin que leur comportement soit conforme à celui que Mlle Brodie pourrait elle aussi adopter. Plus encore, si elle refuse un système éducatif qu’elle juge juste bon à bourrer les élèves de connaissances, elle est loin de se contenter d’extraire le meilleur de ses élèves : elle leur inculque des pensées prémâchées que les enfants, influencées et manquant de recul, peuvent difficilement remettre en question. Prêchant certaines idées romanesques assez sympathiques, Jean Brodie présente aussi à ses élèves les vertus du fascisme et l’excellent impact du nazisme sur la société allemande, allant jusqu’à accrocher une photo des chemises noires dans la salle de classe. Paradoxalement, l’enseignante se pose en victime en raison de sa liberté de penser, tandis que c’est justement celle-ci qu’elle tente de retirer à ses élèves. Difficile de se rendre pleinement compte des réelles intentions de Mlle Brodie : manipule-t-elle son clan tout à fait consciemment ou est-elle un peu folle, comme semblent le penser par moments certains personnages ?
Au final, bien que cette fausse héroïne me semble profondément antipathique et condamnable (d’autant plus que la vanité de Mlle Brodie est sans borne), j’ai éprouvé une certaine compassion pour elle, car son comportement est peut-être dû au fait qu’elle est profondément malheureuse. Certes, Jean Brodie est une aventurière qui part en Egypte, en Allemagne ou en Italie, qui emmène ses élèves à l’opéra et qui est admirée par plusieurs hommes. Son histoire commence pourtant par un premier échec, avec le décès de son grand amour au front. Puis, lorsque deux enseignants s’intéressent à elle, elle tombe amoureuse de celui qui est marié et, refusant une histoire sans issue, se condamne d’une certaine manière à la solitude, malgré une aventure purement utilitaire avec le deuxième professeur. Persécutée par la directrice pour ses méthodes curieuses, méprisée par des collègues qu’elle croise inévitablement chaque jour, Mlle Brodie risque de perdre son emploi et reste seule tout au long de sa vie. Son clan lui sert peut-être de filles de substitution mais, plus encore, elle se sert de ces enfants devenues adolescentes afin de vivre par procuration, allant jusqu’à pousser l’une d’entre elles dans les bras du professeur dont elle est éprise.
Le roman en lui-même me semblait un peu léger lorsque je l’ai commencé. Il est en réalité très bien construit, certains passages habilement glissés faisant écho à la scène finale, le tout s’achevant de façon presque circulaire. Si ce n’est qu’au cercle parfait manquent à la fin quelques protagonistes. Les filles du clan Brodie servent l’histoire de leur mentor, une seule d’entre elles finissant par avoir tout autant d’importance que l’enseignante, voire plus, car elle semble finalement avoir plus d’emprise sur sa vie que les autres. L’éloignement de Jean Brodie lui paraît plus envisageable, tandis que ses camarades peinent à s’affirmer malgré les années qui passent.
Voilà un curieux texte écrit par un auteur peu connu en France, pourtant lauréat du prix T.S. Eliot et du British Literature Prize. Assez charmant et léger à la lecture, ce livre reposant met finalement en scène des personnages complexes dont les agissements ne manquent pas d’intérêt (voire de piquant !). Un livre sympathique, à découvrir si vous aimez la littérature anglaise (le ton enlevé fait d’ailleurs un peu penser à Nancy Mitford, même si l’histoire est à mon avis plus subtile que les aventures divertissantes de Linda et Polly).
Et pour finir, un passage qui rend Mlle Brodie plus sympathique à mes yeux, car petite je faisais le désespoir de mes proches avec ma manière très approximative de réciter mes leçons de géométrie :
Elle affirmait : « Il est spirituel de dire qu’une ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre, ou qu’un cercle est une figure plane, limitée par une ligne unique et dont chaque point se trouve à égal distance d’un centre fixe. Mais il ne s’agit là que d’un jeu d’esprit. Tout le monde sait en quoi consistent une ligne droite et un cercle.
Lorsque, après les examens de la fin du premier trimestre, elle jeta un coup d’oeil aux questions que l’on avait posées aux élèves, elle lut à voix haute, avec le plus grand mépris, quelques-unes des plus contestables questions : « Un laveur de carreaux transporte une échelle uniforme de 30 kg, longue de 5 m, à une extrémité de laquelle est suspendu un seau d’eau pesant 20 kg. En quel point cet homme doit-il soutenir l’échelle afin de la porter horizontalement ? Où se trouve le centre de gravité de son chargement ? » Mlle Brodie, après avoir lu à voix haute cet énoncé, regarda le papier comme pour indiquer qu’elle n’en pouvait croire ses yeux. À maintes reprises, elle donna à entendre à ses filles que la solution de problèmes pareils serait sans la moindre utilité à Sybil Thorndike, Anna Pavlova et feu Hélène de Troie. (p153-154)
239 p
Muriel Spark, Les Belles années de Mademoiselle Brodie, 1961
Commentaires
Écrit par : wictoria | 17/02/2009
Écrit par : Lou | 17/02/2009
Écrit par : Cleanthe | 17/02/2009
Écrit par : keisha | 17/02/2009
Écrit par : Léthée | 17/02/2009
@ Keisha : je n’ai pas trouvé ton billet, tu as eu le roman avant de tenir ton blog ? As-tu lu d’autres livres du même auteur ?
@ Léthée : c’est la collection « Motifs » du Serpent à Plumes. J’aime bien certaines couvertures, comme celle des « chroniques de Mudfog », même si je ne me remets pas de la faute de frappe sur la tranche (Dikens).
Écrit par : Lou | 17/02/2009
Écrit par : Manu | 18/02/2009
Écrit par : Lou | 19/02/2009
j’enseigne tous les jours alors je n’ai pas envie de m’évader dans un livre qui parle d’école et d’élèves!!!!!
Écrit par : Jumy | 19/02/2009
Écrit par : Lou | 19/02/2009
Écrit par : keisha | 19/02/2009
Et perso, je n’aime pas cette édition, je trouve les couvertures affreuses… ;o))
Écrit par : Lilly | 19/02/2009
@ Lilly : pour la couverture les fleurs seraient centrées je serais plus contente mais je l’aime bien. En fait pour moi ca dépend vraiment avec cette collection. En général soit j’aime beaucoup soit je n’aime pas du tout la couverture… sans doute parce qu’il n’y a pas vraiment de design propre à la collection hormis le titre encadré.
En fait j’ai eu envie de lire ce livre en voyant qu’il était plein de charme et très British, mais je ne suis pas non plus particulièrement attirée par l’enseignement en tant que sujet littéraire. Et en fait c’est plus un cadre dans lequel se déroule certaines scènes que le vrai sujet. L’enseignement de Mlle Brodie se résume à faire des conversations du genre réunions tupperware où elle raconte ses amours, ses voyages, sa vie personnelle si intéressante… les scènes se passent autant à l’extérieur qu’à l’école. J’ai trouvé que le sujet était plus la qualité de la relation qu’entretiennent Mlle Brodie et son clan, ainsi que la question du contrôle qu’un individu peut exercer sur un autre…
Écrit par : Lou | 19/02/2009
Écrit par : Lael | 22/02/2009
Écrit par : Lou | 08/03/2009
J’ai aussi lu du même auteur » la Place du conducteur » ( une sorte de thriller bien mené) et « Memento Mori » ( de vieilles personnes qui entendent des voix sinistres au téléphone…). Ces trois romans sont bons. Elle en écrit d’autres que je n’aime pas ( miss Spark était un peu trop catholique pour moi et dans certains récits, on le sent).
Écossaise d’origine. Je crois qu’elle est décédée il y a quelques années à un âge avancé.
Écrit par : dominique | 23/04/2009
Écrit par : Lou | 24/04/2009
Je n’en ai pas vu en librairie… il est vrai que ce n’est pas un auteur essentiel.
Je confirme : Memento Mori est sûrement son meilleur.
Écrit par : dominique | 24/04/2009
Écrit par : Lou | 24/04/2009
Écrit par : Schlabaya | 08/09/2009
Écrit par : melodie | 01/07/2011
@ Melodie : je ne savais pas ça du tout ! Je n’ai pas trouvé que ce livre était le meilleur roman britannique du XXe mais il est très agréable à lire.
Écrit par : Lou | 02/07/2011
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