David Le Bailly, L’Autre Rimbaud

De Rimbaud je ne connaissais pas grand-chose, hormis son plus célèbre portrait et la lecture de ses poèmes au souffle puissant. Impossible de lire Rimbaud adolescente sans être renversée par le tourbillon de cette écriture brillante, fulgurante, un peu effrayante aussi.

Après avoir avoir assisté à une rencontre avec L’Iconoclaste et lu Honoré et moi, biographie de Balzac hors des sentiers battus, j’ai été très intriguée par un texte de David Le Bailly, l’Autre Rimbaud, à paraître le 19 août.

Ceux qui connaissent un peu Rimbaud l’associent en général à une mère a priori castratrice et à ses sœurs. Son frère, s’il n’est pas oublié, a été relégué par l’histoire au rang de raté, de limité, peut-être même de « simple d’esprit » comme on le disait alors. Ce frère méconnu est en tout cas peu évoqué, et difficile à appréhender, comme le constate Pierre Michon dans une émission à la radio où il déplore son échec à écrire une biographie sur l’autre Rimbaud. En entendant cela, David Le Bailly décide de mener l’enquête.

Le résultat de ses recherches prendra la forme d’une biographie alternant de courts chapitres où David Le Bailly raconte les étapes de son enquête, et le récit de la vie de Frédéric Rimbaud avec, parfois, des hypothèses, puisqu’il imagine ce que pouvaient être les sentiments et les perceptions de cet homme à des moments clefs de sa vie. Une grande question se pose immédiatement, après la scène d’ouverture où Frédéric assiste à l’inauguration d’une statue de son frère en paria de la famille : pourquoi Frédéric a-t-il été écarté aussi violemment ? Pourquoi sa sœur et son beau-frère peuvent-ils être au premier rang quand lui n’est qu’au deuxième, malgré sa contribution au financement de la statue ? Pourquoi a-t-il été minutieusement effacé de la photo de communion avec son frère dans les portraits officiels ?

David Le Bailly nous plonge dans une famille régentée par Vitalie, la mère. Le père, un capitaine, a quitté le foyer peu après la naissance du quatrième enfant. La mère, paysanne aisée, a d’abord perdu la propriété familiale au profit de ses frères. Lorsqu’elle la récupère des années plus tard, elle ne vivra plus que pour racheter petit à petit des terres perdues par ses frères, mauvais gestionnaires. Les enfants sont élevés dans un cadre strict, sans démonstrations d’affection. Les garçons, très complices, vont ensemble à l’école. Arthur rafle tous les premiers prix, Frédéric est souvent bon dernier mais ne s’en formalise pas : plus tard il sera soldat, comme le père, qui a connu la gloire de l’armée à l’époque de Napoléon III.

La plus jeune sœur meurt. Celle qui reste, Isabelle, sera façonnée par la mère avant d’épouser un écrivaillon qui se fait fort de créer avec elle le futur mythe Rimbaud. En bonne catholique, Isabelle s’évertuera d’ailleurs à faire du poète un homme extrêmement sage et pieux qui jamais n’a fauté selon les canons du XIXe siècle, ce qui ne manque pas de piquant, il faut bien l’avouer.

Arthur part vagabonder à droite et à gauche. Ses écrits prodigieux sont le fruit de la jeunesse. Il abandonne brusquement tout. A la vingtaine, il est connu pour ses frasques, son irrespect, sa grossièreté à l’égard des poètes qui l’ont accueilli à bras ouverts. Puis il s’assagit et part dans des pays chauds pour devenir négociant. Ses lettres – aucune adressée à Frédéric, son ancien confident – sont une litanie sans fin de commentaires sur l’argent, les objets réclamés à sa mère, un mélange d’auto-apitoiement et de commentaires à distance sur ce qu’il conviendrait de faire concernant la famille.

Quant à Frédéric, il devient soldat avec l’ambition de faire carrière comme son père, avec qui il est resté en contact, ce que la « veuve » Rimbaud ne semble pas lui pardonner. Il sert quelques années, a de l’avancement mais au lieu de la gloire dont il rêvait, il mate des indisciplinés et se fait un paquet d’ennemis au passage. De retour, il tombe amoureux d’une jeune fille jugée indigne des Rimbaud, ce qui lui vaudra un bras de fer judiciaire avec sa mère. Mais est-ce suffisant pour écarter cet autre fils ?

En lisant L’Autre Rimbaud et le portrait qui y fait de la mère, j’ai justement repensé à Honoré et Moi, où Titiou Lecoq attaque le mythe de l’épouvantable mère balzacienne qui a longtemps circulé. Je me suis demandé, un instant, si on ne versait pas dans le contrepied de cette approche ici, avec ce portrait sans concession d’une paysanne près de ses sous, bigote et pourtant peu charitable et prompte à nuire aux autres. Mais l’auteur parle justement de portraits peu flatteurs qui ont précédé et de cette vague de textes qui a visé à rétablir un peu d’équilibre dans le portrait de Vitalie Rimbaud.

Ici, en prenant le point de vue de Frédéric, l’autre Rimbaud, on ne peut que s’étonner de l’intransigeance du clan matriarcal, des diktats qui ont progressivement conduit à bannir un fils, jusqu’à le faire disparaître de la légende « arthurienne » et à le priver de droits d’auteur. Car après la mort d’Arthur, lorsque ses écrits commencent à susciter l’intérêt suite à la publication d’un essai de Verlaine, la sœur encore vivante s’arroge l’ensemble des droits, qui bénéficieront ensuite à son mari, puis à la deuxième épouse de celui-ci. Une situation abracadabrante révélée dans cette enquête passionnante.

Frédéric Rimbaud  a retrouvé sa voix, peut-être pas tout à fait la sienne évidemment, mais voilà enfin une biographie qui lui rend justice en dressant un portrait aussi complet que possible, dans le contexte si particulier qui est le sien. Frédéric n’était certes ni le premier de la classe, ni un poète d’exception, mais son parcours et ses choix personnels en font un sujet plein d’intérêt. Une biographie entre journalisme narratif et fresque familiale. Derrière le parcours d’un homme et de ses proches, pointent également l’intime et les blessures qui tissent souvent les relations familiales. C’est ce que suggère avec pudeur David Le Bailly en faisant allusion à sa propre situation.

Un coup de cœur en cette rentrée littéraire !

Sortie le 19 août 2020.

372 p

David Le Bailly, L’Autre Rimbaud, 2020

3 thoughts on “David Le Bailly, L’Autre Rimbaud

  1. Et bin tout un livre a lire…oui de Rimbaud, je ne connais que son alter-ego Verlaine…..en tout cas, tout un livre que tu nous proposes….;)

  2. Je vais le guetter à la médiathèque, je ne connaissais pas du tout cette histoire. Il semble offrir une vision bien différente des « Jours fragiles » de Besson que j’ai lu il y a très longtemps.

Répondre à Lilly Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *