Amélie Nothomb, Stupeur et Tremblements

J’ai redécouvert Amélie Nothomb il y a deux ans grâce à son deuxième roman nippon, Ni d’Eve ni d’Adam, avec lequel je m’étais régalée (cf lien). Histoire d’amour d’Amélie et de Rinri au temps de leurs études, ce roman autobiographique était  une immersion dans la culture japonaise à travers la sphère personnelle. Avec un sens aigu de l’observation, Amélie Nothomb traitait notamment de la perception des Occidentaux, des subtilités de la langue, des usages en termes de politesse ou encore de l’art culinaire. J’étais un peu triste à la fin de quitter les héros de ce récit.

Avec curiosité, je me suis intéressée à Stupeur et tremblements, autre roman nippon qui traite de l’entreprise japonaise, vue de l’intérieur par une Occidentale. Roman lu en 2018 et relu ce mois-ci, qui fait un lien parfait avec Le Jour de la Gratitude au travail où il est question du rôle de la femme dans l’entreprise japonaise, et des perspectives qui s’offrent à elle en général.

Née au Japon où elle a vécu ses premières années, Amélie revient lors de ses études dans ce pays qu’elle idéalise et qu’elle considère comme sien, avec un attachement sincère et des efforts notables pour maîtriser cette culture si différente de nos habitudes européennes. Amélie étudie donc sur place la langue et notamment, la langue des affaires. Elle obtient son diplôme, pense parler parfaitement le japonais et passe des examens pour intégrer une grosse firme japonaise d’import export. Nous sommes au début des années 1990.

Heureuse de son embauche, Amélie arrive pleine de bonne volonté pour un contrat d’un an. Elle dépend de Fubuki – Mlle Mori – sa supérieure hiérarchique, qui rend elle-même des comptes à 3 autres personnes. Etonnamment grande, merveilleusement belle, Mlle Mori est immédiatement idolâtrée par Amélie. Malheureusement pour elle, son investissement sans borne lui a seulement valu une promotion tardive, inespérée pour une femme, mais l’a empêchée de trouver un mari. A 29 ans, Fubuki a largement passé la date de péremption selon la société japonaise, dans laquelle il est de bon ton d’être mariée avant 25 ans.

Les choses s’annoncent plutôt bien pour Amélie, si ce n’est qu’aucune tâche ne lui est allouée hormis la lecture de documents sans intérêt (comme la liste des employés de la société) et la gestion des pauses café.

Malheureusement, de petits faux pas a priori anodins vont entraîner en quelques mois la descente aux enfers d’Amélie. La jeune femme qui pensait si bien maîtriser la culture locale commet en effet un certain nombre d’impairs : montrer qu’elle parle bien le japonais en présence de sociétés extérieures (très inquiétante, cette Occidentale qui les comprend) ; voler sans le savoir le travail de quelqu’un d’autre en distribuant spontanément le courrier, mettant ainsi au supplice le vrai postier qui est persuadé d’être licencié ; se faire remarquer en faisant le pitre lorsqu’elle trouve une nouvelle mission, celle de tourneuse de pages de calendrier ; enfin, aider en cachette un cadre d’un autre département en rédigeant un rapport en lien avec l’industrie belge, en sortant de son périmètre attitré. Ce dernier impair précipitera sa chute au sein de la société en entraînant une rupture entre sa supérieure hiérarchique et elle. Fubuki lui dit ainsi : « Moi je ne suis pas déçue. Je n’avais pas d’estime pour vous » (p 57).

Dans ce premier roman nippon écrit dans un style vif et plein d’humour, Amélie Nothomb porte un regard acéré sur la vie en entreprise au Japon, sur la perception des Occidentaux dans le cadre du travail et la place accordée à la femme. Ce qui aboutit à un long passage que l’on pourrait résumer par cette citation : « S’il faut admirer la Japonaise – et il le faut – c’est parce qu’elle ne se suicide pas » (p 93).

D’après Amélie, l’entreprise japonaise est une formidable ogresse qui broie tout sur son passage, offre son lot d’humiliations et de bassesses et discrimine les femmes au quotidien. On parle aussi  de « bienveillance typique des rencontres entre deux entreprises amies » (p 111), celle-ci étant suivie d’épouvantables commentaires sur le pauvre Hollandais qui a commis un crime de lèse-majesté en transpirant et en sentant « le cadavre », comme tous les Occidentaux.

Ce roman, c’est aussi une petite vengeance. La belle Fubuki est aussi une traîtresse, elle torture sa jeune employée en la rabaissant toujours plus avec une cruauté qui n’a d’égale que sa majesté et son apparente gentillesse initiale. Aussi, le texte se termine par ce départ de l’entreprise et du Japon, suivi de l’écriture d’un manuscrit publié l’année suivante et d’une lettre reçue l’année d’après : celle des félicitations de Fubuki.

J’ai relu ce texte avec autant de plaisir que lors de la première découverte. J’ai désormais hâte de lire le 3e récit nippon, même si j’ai un peu retardé le moment de sa lecture car après, il ne me restera aucun Nothomb sur cette thématique qu’elle aborde avec succès.

187 p

Amélie Nothomb, Stupeur et Tremblements, 1999

6 thoughts on “Amélie Nothomb, Stupeur et Tremblements

  1. Je t’avoue que j’ai tellement de mal avec le « personnage » Amélie Nothomb que du coup je fuis ses romans… peut-être à tort, mais je n’arrive pas à dépasser ce préjugé. :/

  2. Moi c’est l’inverse de Chicky Poo, j’aime bien le personnage mais ses romans me fuient parfois! ^^ Plus sérieusement, j’ai beaucoup aimé « La Nostalgie Heureuse ». Je note celui-là. 🙂

  3. J’avais adoré ce roman d’Amélie Nothomb qui démonte parfaitement et avec simplicité les mécanismes sado-masochistes du pouvoir et de l’entreprise au Japon. j’ai vu également le film, totalement fidèle au livre.

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