Comment résister à cette magnifique couverture et la promesse d’instants volés en compagnie de Virginia Woolf et de sa soeur Vanessa Bell ? C’est avec impatience que j’ai ouvert ce texte de Susan Sellers que je vous recommande chaudement.
La narratrice du roman est Vanessa : artiste, membre du cercle Bloomsbury, Vanessa Bell reste dans l’ombre de Virginia Woolf, éclipsée par son génie littéraire et sa célébrité. C’est toi qui possédais les mots. C’est toi qui savais t’emparer d’un incident pour le décrire et en révéler l’essence. (p 30) Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui n’ont jamais entendu parler de la sœur de l’immense écrivaine. Pourtant, Vanessa est un personnage fascinant lui aussi, de par son oeuvre mais aussi ses choix de vie audacieux, et ce, plus encore dans le contexte historique de la première moitié du XXe.
Les sœurs naissent dans une famille d’éminents victoriens, entre un père intellectuel célèbre et une mère modèle préraphaélite. Une famille bourgeoise, large car elle compte les enfants d’un premier mariage. Vanessa et Virginia vivent une enfance assez stricte. On attend d’elles d’être de parfaites hôtesses. Tu es meilleure que moi à ce jeu. Tu maîtrises l’art du déguisement. Je suis stupéfaite quand je t’écoute tresser tes sarcasmes en entrelacs si charmants que ton interlocuteur ne sait plus si tu lui adresses des compliments ou des injures. (p32) On leur impose des responsabilités, notamment à Vanessa une fois leur mère et leur soeur aînée décédées. Le père est enfermé dans son bureau, sait se montrer tyrannique. Ensemble, nous regardons les porteurs du cercueil descendre Papa dans le sol gelé. Tes yeux m’ont avertie, mais je ne puis m’empêcher de pleurer. Je comprends à tes regards que tu es résolue à garder le souvenir d’un homme meilleur qu’il ne l’était, que tu effaceras de ta mémoire toutes ses tyrannies médiocres, tous ses appels à la compassion. Je trouve ridicule que tu éprouves ces sentiments maintenant que nous sommes libres. (p66)
Tout aurait pu les conduire à devenir des maîtresses de maison exemplaires, et pourtant, elles refusent de se conformer à ce qu’attend d’elles une partie de leur entourage. Elles osent ainsi s’installer ensemble, puis progressivement, mener une vie de libertés, d’expériences, aussi faite de renoncements. Il en va ainsi de l’amour libre entre Vanessa et son époux, qui n’est pas sans blesser la jeune femme toujours amoureuse. De même de sa relation plus tardive avec Duncan Grant.
Le roman débute avec les premières années des deux artistes. Vanessa est présentée en petite fille modèle. Virginia semble plus effrontée et pourtant préférée, excusée. Rapidement se noue une relation unique entre les deux soeurs, faite d’amour, d’exclusivité, de jalousies et de petits affrontements.
J’ai trouvé ce roman très bien construit et tout en finesse. Il donne à voir la vie de Vanessa et de Virginia, que l’on croise parfois moins lorsque les deux sœurs sont séparées. On saisit bien l’enfance, l’indépendance, les liens qui se nouent avec le groupe de Bloomsbury. Le travail acharné, les relations amoureuses, la maternité pour Vanessa. La consécration pour Virginia, sur qui plane l’ombre de la dépression, pourtant évoquée avec sensibilité et discrétion. Ce n’est pas le leitmotiv comme cela peut l’être dans d’autres interprétations de la vie de Virginia. Je tourne le kaléidoscope de la mémoire, je regarde les formes glisser et retomber. La vérité n’est jamais agréable. Dans ta défaillance, il y avait autant de soulagement que de terreur. Les dieux avaient entassé sur toi trop de dons. Le vermillon foncé dans ton écarlate t’avait fait perdre l’équilibre, permettant à mes propres teintes plus pâles de briller. (p77) La narratrice, Vanessa, est très touchante. On admire la femme audacieuse, on souffre avec l’amoureuse délaissée, l’artiste incomprise. Susan Sellers nous mène avec élégance jusqu’au basculement final et la fin inéluctable. Un texte aussi intéressant que poétique, qui invite à découvrir ou redécouvrir l’oeuvre de Virginia Woolf, de Vanessa Bell mais aussi, des membres de leur entourage.
Merci aux éditions Autrement pour ce beau moment.
293 p
Susan Sellers, Vanessa et Virginia, 2008
Ouah tout un 5….et oui ce roman semble trop trop bien…un relation a connaitre alors
Il faudrait que j’essaye de lire du Virginia Woolf, je ne la connais que de nom. Quant à cet ouvrage, il a l’air intéressant ma foi 🙂
Très tentant. J’ignore tout de la famille de Virginia. Autant j’adore ses livres, autant sa vie privée m’intéresse peu. Ce genre d’ouvrage pourrait me faire changer d’avis.
Merci Lou pour cette belle découverte. Je note avec intérêt. C’est toujours fascinant de lire sur l’enfance de ces humains vus comme des génies. Aussi, je remarque une autre situation qui revient tellement souvent dans ce genre de récit: ‘Que le père est presque toujours enfermé dans son bureau’. Je viens de le réaliser. Était-ce la coutume d’une certaine époque?
Je suis en train de lire L’empreinte de toute chose’ et c’est pareil situation, quand le père d’Alma n’est pas parti en voyage ou à la table des repas somptueux entouré d’une somité de botanistes et scientifiques, il est dans son bureau! 🙂
C’est très tentant, surtout que l’auteur a l’air d’être une spécialiste de Virginia Woolf