De temps en temps, en ouvrant un roman, le lecteur innocent peut être amené à penser que vraiment, l’auteur est un peu fou. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai commencé à lire Le Gang des Mégères Inapprivoisées de Tom Sharpe… et j’ai été complètement conquise par le petit univers loufoque qui se mettait en place sous mes yeux !
Avant de revenir au vif du sujet et à une histoire bien contemporaine, le narrateur prend le temps de préciser le contexte… pour le moins original ! Nous découvrons ainsi l‘histoire d’une dynastie, celle des Grope, qui vivent dans une espèce de ferme-forteresse gardée par deux taureaux se baladant en toute liberté sur la propriété.
Nous voilà d’abord partis à l’époque des Vikings, avec l’arrivée d’un certain Awgard le Pâle, malade comme un chien lors de la traversée en mer. Mais laissons Tom Sharpe vous conter lui-même la naissance de la maison Grope.
Au lieu de violer quelques nonnes, comme c’était la règle, il se jeta aux pieds de la soeur servante, qu’il avait croisée dans le fournil et qui se demandait si elle avait envie ou non de se faire violer. Pas belle pour un sou et ayant déjà été laissée pour compte lors de deux précédents raids vikings, Ursula Grope fut ravie d’être choisie par le bel Awgard ; elle l’emmena loin de l’orgie dégoûtante qui se déroulait dans le couvent et le conduisit dans la vallée solitaire de Mosedale, à la cabane en tourbe dans laquelle elle était née. Le retour de sa fille, dont il espérait être débarrassé à jamais – et en compagnie de l’immense Awgard le Pâle -, terrifia si fort son simple porcher de père qu’il n’attendit pas de vérifier les intentions réelles du Viking et prit ses jambes à son cou. (…) Forte d’avoir épargné à Awgard les horreurs d’une traversée du retour, Ursula insista pour qu’il sauve son honneur de religieuse inviolée et fasse son devoir. C’est là, dit-on, l’origine de la maison Grope (p 10).
Les Grope ont créé leurs propres traditions, en rupture totale avec les codes d’une société très patriarcale. Les femmes sont chefs de famille et les maris sont choisis pour leur effacement et leur capacité à produire des filles. Les garçons sont rapidement écartés, envoyés en mer par exemple, ou confiés à l’Eglise pour pouvoir ensuite notamment procéder à des mariages plus ou moins douteux au sein de la famille. Certains garçons seraient tout simplement supprimés à la naissance. Quant aux maris, on se préoccupe peu de savoir s’ils sont consentants parfois. Certains sont défiés sur la place du village et contraints d’épouser la fille Grope qui a réussi à les terrasser ; d’autres sont plus simplement kidnappés. La réputation des Grope devenant de plus en plus sinistre avec les siècles, on se réjouit de l’arrivée du chemin de fer qui permet de trouver des mâles innocents facilement.
Retour au présent. Le jeune Esmond Burnes vit avec ses parents, qui, appelons un chat un chat, en tiennent une sacrée couche ! Sa mère vit dans un roman de Barbara Cartland, a choisi le prénom de son fils en fonction de ses lectures et raconte à tout le monde que c’est « un enfant de l’amour » sans réaliser qu’elle crie haut et fort que c’est un fils illégitime (ce qui n’est d’ailleurs pas le cas). Le père, banquier, très discret, se demande comment il a pu se décider à épouser sa femme et est tellement effaré par la ressemblance qu’il constate entre Esmond et lui qu’il finit par craquer suite à une soirée arrosée au pub et essaie d’attaquer son fils avec un couteau. Pour protéger son enfant de l’amour, Mrs Burnes demande à son frère mafieux de l’accueillir chez lui quelque temps. Sans se douter qu’une implacable mécanique vient de se mettre en marche et va bouleverser tout leur univers. C’est là qu’intervient une femme de la maison Grope. Je vous laisse imaginer la suite…
J’ai adoré le principe de départ, cette dynastie matriarcale qui, dans son extrêmisme, est forcément effrayante, mais qui s’amuse à prendre le contrepied de nombreux clichés de notre société avec beaucoup d’humour. Ces Grope sont assez terrifiantes mais il est plaisant d’imaginer cette dynastie vivant en marge de la société, avec ses propres règles, en quasi autarcie. La première partie mettant cette famille à l’honneur est très réussie, de même que la rencontre avec la famille Burnes, en apparence bien plus conventionnelle mais finalement non exempte de sérieux dysfonctionnements. Malheureusement, l’histoire prend un drôle de tour ensuite et perd un peu l’originalité qui faisait la force des premiers chapitres ; la fin est un brin décevante, un peu trop conventionnelle pour un récit si bien parti. Malgré tout, le roman se lit avec grand plaisir et mérite vraiment le détour pour les excellents premiers chapitres.
Par ici, un autre roman de Tom Sharpe que j’avais adoré – je me marre en relisant ma chronique et en me remémorant les personnages (quoi ? il y a quatre ans déjà ?) : La route sanglante du jardinier Blott. Et je viens de découvrir la présence de Sharpe sur ma liseuse… eh bien cette fois-ci je ne tarderai pas à le retrouver j’espère !
Une lecture commune autour de Tom Sharpe : (liens ajoutés quelques jours plus tard car j’étais en Angleterre au moment de la publication de nos billets)
– Wilt 1 : Cléanthe, Martine, Valentyne
– Wilt 2 : Adalana
– Wilt 3 : Delphine
– Le gang des mégères inapprivoisées : Denis, Lou et Noctembule
219 p
Tom Sharpe, Le Gang des Mégères inapprivoisées, 2009 (en anglais : The Gropes)
Commentaires
Écrit par : rachel | 15/09/2013
Que l’auteur est un brin (ou complètement) fou, je le pense à chaque page de ma lecture, à savoir le tome 2 du Guide du Voyageur Galactique…mais comme tu le montres, une bonne dose de déjanté fait beaucoup de bien 😀
Écrit par : -Perrine- | 15/09/2013
Écrit par : keisha | 15/09/2013
Écrit par : JainaXF | 15/09/2013
Écrit par : Petite Fleur | 15/09/2013
Écrit par : sybille | 15/09/2013
Écrit par : Syl. | 16/09/2013
Écrit par : Titine | 16/09/2013
Écrit par : niki | 16/09/2013
@ Perrine : oui, un peu de déjanté fait parfois du bien ! J’ai aussi pensé offrir ce roman en clin d’oeil maintenant que je l’ai lu ! J’espère que tu te laisseras aussi tenter du coup entre mon billet et le retour de ton ami :o)
@ Keisha : Naaan, pas lu les Wilt ! A l’origine je ne sais pas pourquoi ils ne m’attiraient pas plus que ça, et maintenant que j’ai lu deux Sharpe j’ai bien envie de les découvrir (et ça doit être le 1er tome que j’ai sur ma liseuse).
@ JainaXF : oh là là, moi aussi je me rends compte du fait que je commence à avoir trop de lectures programmées, d’autant plus que je suis revenue d’Angleterre avec un stock de livres dans lequel j’ai très envie de me plonger directement…
@ Petite Fleur : Je note « Le Bâtard récalcitrant » que je ne connaissais pas !
@ Sybille : oui c’est parfait pour se changer les idées !
@ Syl : vraiment un moment de lecture originale ! Je connaissais à l’origine car une amie le lisait mais je ne sais pas trop ce qui m’a poussée à le lire moi-même.
@ Titine : ça ne m’étonne pas :o) Je peux volontiers te prêter celui-ci et « La Route Sanglante du Jardinier Blott » à notre prochaine rencontre !
@ Niki : Oui, billet positif, je trouve qu’il n’a pas réussi à très bien gérer l’évolution du récit mais l’idée de départ est tellement originale que j’ai vraiment beaucoup aimé !
Écrit par : Lou | 18/09/2013
Écrit par : rachel | 18/09/2013
Écrit par : Uncoindeblog | 18/09/2013
@ Uncoindeblog : je crois qu’on est assez unanimes sur le fait que malheureusement l’histoire retombe un peu à plat après un excellent début, c’est vraiment dommage. Je te conseille « La Route Sanglante du Jardinier Blott », je me souviens avoir passé un excellent moment… et je vais pour ma part découvrir Wilt !
Écrit par : Lou | 19/09/2013
Écrit par : rachel | 19/09/2013
Écrit par : denis | 20/09/2013
@ Denis : un monde fou qu’il fait bon de fréquenter le temps de ces quelques pages !
Écrit par : Lou | 21/09/2013
Écrit par : rachel | 21/09/2013
Écrit par : Lou | 23/09/2013
Écrit par : rachel | 24/09/2013
(j’aime quand tu dis que les personnages tiennent une couche ;-))
Je vais bientôt le lire celui là , le gang des mégère….
Écrit par : valentyne | 28/09/2013
@ Valentyne : je crois que le terme « loufoque » lui va en effet comme un gant ! Je te recommande ce roman, l’idée de départ est excellente :o)
Écrit par : Lou | 28/09/2013
Écrit par : rachel | 28/09/2013
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