Un petit bijou anglais

mayor_rector's daughter.jpgFlora Mayor fait partie de ces auteurs oubliés que les éditions Joëlle Losfeld ont un peu dépoussiérés récement, en publiant La troisième Miss Symons, histoire d’une enfant occupant une place ingrate dans la fratrie et dont la vie s’écoule avec une grande monotonie et de nombreuses frustrations. Une femme solitaire qui n’intéresse personne et reste trop empreignée d’idées dépassées, une femme désuette héroïne d’un roman que je vous recommande chaudement.

Alors lorsque j’ai croisé The Rector’s daughter du même auteur l’été dernier, lors de vacances en Angleterre, je me suis bien entendu précipitée sur ce titre que je ne connaissais pas. Pas trop étonnant, quand on voit qu’il figure sur les Ten Best Neglected  Literary Classics du Guardian.

Comme Harriet Devine, j’ai très envie de citer un commentaire d’Elizabeth Buchan figurant sur la couverture, parce qu’il résume parfaitement mes impressions :  « exquisitely written, delicate, passionately felt and haunting. »

Il est cette fois question de Mary Jocelyn, trente-cinq ans et déjà un peu fanée, vivant dans un presbytère auprès d’un père auquel elle se consacre entièrement. Un père peu affectueux, avare de compliments, vestige d’une époque victorienne révolueBooks streamed everywhere, all over the house, even up the attic stairs. (…) He kept up his marvellous range of reading till about 1895. Then his mind closed to new ideas. Books published after that date he would not trouble to read. (p9)

Un homme aux opinions tranchées, et souvent peu flatteuses : There was a difficulty with Pascal. He was French, and Canon Jocelyn despised the French. The Revolution, Napoleon, and the Commune still rankled, so he always said of Pascal, « He had a great mind, and I think, much as one respects the brilliance and lucidity of the French, one may say it was an English mind. » (p10) (Pour résumer Mary Jocelyn vit avec un vieux barbon).

A un quotidien terne s’ajoute la perte d’une soeur aimée, dont la mort n’a apparemment pas affecté Canon Jocelyn, le père. Peu encouragée, Mary cache ses aspirations d’écrivain, est timide et maladroite en société et préfère la compagnie des pauvres paroissiens qu’elle aime réconforter, ainsi que celle de Cook, la servante, sa confidente. Et presque tout au long du récit, Mary reste totalement incomprise de son père, inapte à voir ses chagrins et son besoin de reconnaissance et d’affection.

Malgré ce confinement et ce mode de vie totalement désuet, Mary fait preuve d’une certaine lucidité et ne partage pas la vision dépassée et profondément victorienne de la plupart des membres de son entourage :

It was late in the afternoon when Mary made her way to Mrs Plumtree. Rain had been falling ; the pavements were reflecting the electric lights in long streams. There is a particular charm in those damp London twilights, a freedom from the weight of the routine, responsibility, and duty, which suited well with Mary’s present thoughts.  (p 105)

Mrs Plumtree was a faded specimen of the generation that is almost gone. Mary knew through and through all the views Mrs Plumtree held on the minute range of subjects which interested her – servants, medicines, aspidistras, knitting patterns, sermons, and the wide range of subjects which shocked her and roused disapproval – dogs, barrel-organs, all hymn tunes earlier than 1860, all branches of Christendom (except St James’ Church), especially Unitarians, white and magenta flowers, people wearing black (unless they were in mourning), the present fashions in dress, whatever it was – one might almost say the present fashion in anything. Mary could have screamed. She was not far from echoing  » Moral indignation is the only sin. » They sat and sat. (p106)

Sa vie est sur le point de changer lorsqu’elle rencontre Mr Herbert, le nouveau vicaire d’un village voisin, fils d’un ami de Canon Jocelyn, qui l’accueille ainsi avec enthousiasme. Très vite, Mr Herbert et Mary se rapprochent et leur entente parfaite semble indiquer qu’ils sont faits l’un pour l’autre. C’est sans compter sur l’arrivée d’une jeune fille élevée dans une famille de parvenus, qui séduit Mr Herbert par sa beauté et son insouciance. Ce qui débouche sur une union peu prometteuse entre une fille vaine et sans cervelle habituée au luxe et aux attentions d’hommes raffinés, et un vicaire au physique quelconque qui aspire à la tranquillité et à une certaine austérité. Sa promise, qui en a l’intuition, le prévient avant de l’épouser :

She had refused him when he first proposed, intoxicating him with adoration for her by her words, « It wouldn’t do. I’m not at all brainy, and you’re top-hole. I can’t think what on earth you want it for. » When she had accepted, she said, « Righto, I’ll take the risk if you will, but it’s a big risk for you. »

S’ensuit un engrenage de frustrations, de petits espoirs et de nouvelles déceptions pour Mary Jocelyn, dans un livre au final triste mais non dénué d’humour, qui s’achève sur un très beau passage et une note plus positive. Un roman extrêmement bien mené, très bien écrit, qui dresse avec brio le portrait de personnages dont la psychologie et l’évolution sont très finement décryptés. Un roman au cadre assez victorien qui incarne très clairement le passage à la modernité, opérant avec succès la transition entre le XIXe et le XXe.

Si j’ai aimé La troisième Miss Symons, The Rector’s Daughter a été un immense coup de coeur pour moi, et même une révélation : à l’heure actuelle il figure sans hésitation parmi mes 10 romans classiques britanniques favoris. Un livre que je relirai sans aucun doute, ce que je fais assez peu !

Ses deux autres livres sont difficiles à trouver, et je crois qu’ils sont épuisés, mais je jetterai un coup d’oeil lors de mon prochain séjour en Angleterre.

Un autre avis (written in English) : Harriet Devine.

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347 p

Flora M. Mayor, The Rector’s Daughter, 1924

flora mayor,littérature victorienne,époque victorienne,angleterre,angleterre victorienne,angleterre xixe,roman xixe,roman anglais,the rector's daughter,la troisième miss symonsChallente God Save the Livre : 3 livres lus (Prince Charles’ category)

Dont 2 en anglais (Queen Mum’s category)

 

 

*****

ça n’a rien à voir mais : BON ANNIVERSAIRE (celle qui est concernée comprendra)

Commentaires

et bin didonc on peut dire que rien ne lui est epargne a ton heroine…je ne sais…je ne sais…a suivre…en tout cas

Écrit par : rachel | 11/04/2011

Ah ah ! Un coup de coeur ! Je le lirai bien aussi…

Écrit par : maggie | 11/04/2011

Mmmmmh, je note sans hésitation alors 🙂

Écrit par : Emilie | 11/04/2011

J’ai lu Miss Symons, et là, franchement, tu exagères dans la tentation!!!

Écrit par : keisha | 11/04/2011

Je ne connaissais pas du tout cette auteure ! Vu que c’est un coup de coeur, je le note mais je lirai probablement d’abord l’autre titre que tu cites car il est à la biblio (emprunté actuellement mais présent dans le catalogue) !

Écrit par : Joelle | 11/04/2011

Difficile de résister à un tel billet ! Pauvre héroïne quand même.

Écrit par : Lilly | 11/04/2011

Ce n’est pas très gentil de nous tenter ainsi…d’autant plus cruel que je ne lis pas en anglais… 🙁

Écrit par : Titine | 11/04/2011

Non mais tu es super vilaine toi… sais-tu que je suis très, très tentée, là? Mais genre, vraiment? (quel commentaire constructif… mais bon, non-constructif is my middle name, on dirait!)

Écrit par : Karine:) | 11/04/2011

J’ai lu La Troisième Symons mais je ne l’avais que très moyennement apprécié (les histoires de vieilles filles anglaises, j’aime plutôt bien mais là, ce n’est pas passé). Par contre, The Rector’s Daughter me tente bien !

Écrit par : Emjy | 12/04/2011

Impossible en effet de résister à ton billet et tu es doublement coupable car en allant voir ces fameux 10 livres oubliés, j’en ai noté 4 de plus. Hum hum!

Écrit par : zarline | 12/04/2011

Tu me donnes envie! Je note!

Écrit par : Edelwe | 14/04/2011

@ Rachel : une de mes meilleures lectures ces dernières années en tout cas, je te le conseille !

@ Maggie : in English then, je ne l’ai pas vu en français 😉

@ Emilie : ah oui sans hésitation aucune pour moi !

@ Keisha : pour moi il est vraiment un cran au dessus, un pur régal !

@ Joëlle : déjà si tu lis l’autre je serai heureuse d’avoir fait un petit pas de plus dans ma croisade en faveur des Victoriens oubliés 🙂

@ Lilly : je serais très curieuse de connaître ton avis !

@ Titine : désolée ma belle, je ne l’ai pas trouvé en français, et je n’ai pas trouvé à Londres le 3e roman de l’auteur que j’avais repéré… il a vraiment l’air épuisé (et il faut que je trouve une meilleure librairie pour les classiques là-bas, même si j’ai trouvé de vraies perles vendredi dernier !).

@ Karine 🙂 : je suis ravie de t’avoir tentée au moins (en même temps je n’y suis pas allée par quatre chemins ^^)

@ Emjy : je pense qu’il est nettement supérieur à « la troisième miss Symons », même si j’avais beaucoup aimé ce roman aussi… et je me demandais si ça rentrait dans le challenge Vintage, j’ai eu un doute !

@ Zarline : oui mais certains livres oubliés sont difficiles à trouver en librairie (à Londres le we dernier), je vais tenter Internet plutôt !

@ Edelwe : lis-le 🙂

Écrit par : Lou | 15/04/2011

je reflechis encore…;o)

Écrit par : rachel | 09/05/2011

Les commentaires sont fermés.

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