Les derniers instants de Poe, Dickinson, Twain, James et Hemingway revisités par Joyce Carol Oates, un concept qui ne pouvait manquer de me séduire !
En cinq nouvelles, Oates réinvente la fin de cinq grands personnages à travers des textes audacieux et très divers.
Ayant accepté de se confronter à la solitude en devenant gardien de phare, Edgar Allan Poe est soumis – d’abord sans le savoir – à une expérience sur les effets de l’isolement le plus total chez les mammifères. Persuadé d’être un homme exceptionnel, Poe compte relever le défi avec brio mais peu à peu, inévitablement, la folie s’empare de lui : convaincu d’entendre des bruits étranges, incapable de dormir, se négligeant, imaginant que des monstres rampent sur la plage parmi les algues et carcasses pourrissantes qui s’y trouvent, il sombre peu à peu dans la paranoïa.
Dans un futur plus ou moins proche, un couple décide de faire l’acquisition d’un répliluxe, mannequin représentant une célébrité morte et supposée adopter un comportement proche de l’illustre disparu. Mrs Krim rêvant d’avoir chez elle un poète, le couple investit dans l’EDickinsonrépliluxe. De la taille d’un enfant, avec des yeux dépourvus de cils mais des sourcils proéminents, l’EDickinsonrépliluxe n’a a priori pas grand-chose à voir avec la célèbre poétesse. Pourtant Mrs Krim est persuadée d’avoir à ses côtés une personne réelle (même si elle ne peut s’empêcher de la mettre une fois sur pause pour voler un de ses poèmes). Ce n’est pas le cas de Mr Kim, qui finit par ne plus se sentir chez lui à force d’entrevoir le mannequin glisser dans les couloirs à la manière d’un fantôme.
Vient ensuite Mark Twain, vivant avec sa fille possessive, habillé de blanc, fascinant les foules avec son accent du Sud volontairement exagéré. Un Mark Twain fasciné par les jeunes filles, à qui il accorde une attention que sa fille juge assez logiquement déplacée, d’autant plus que la réputation de l’écrivain a déjà quelque peu souffert de cette manie étrange. Si les intentions de l’écrivain ne sont jamais vraiment révélées, il apparaît malgré tout comme un vieillard gâteux et irascible aux préférences malsaines.
Poursuivons dans le temps avec les derniers jours du grand Henry James, le Maître. Celui-ci devient volontaire au St Bartholomew’s Hospital à Londres afin d’aider les soldats gravement blessés pendant la première guerre mondiale. Après le premier choc, James se met à éprouver de la fascination pour ces jeunes hommes autrefois beaux, maintenant défigurés, amputés, dont le corps entier est parcouru de balafres dont s’échappent sang, pus et autres sécrétions immondes. Torturé par son amour pour ces soldats auxquels il voue un culte honteux, James adopte un comportement masochiste et autodestructeur.
Enfin Hemingway, vieux débris repoussant et antipathique, se complaît à imaginer son suicide au moyen d’un fusil placé sous le menton. Il repense aux humiliations subies à cause de « la femme », qui l’empêche de boire, de conduire, l’a envoyé en hôpital « se faire cramer la cervelle ». C’est un personnage gorgé de haine, méprisant et rendu impuissant par son entourage. C’est la seule nouvelle qui ne m’a pas vraiment intéressée, mais c’est aussi parce que Oates a mis en avant tout ce qui m’a profondément déplu à la lecture de plusieurs romans de Hemingway, à commencer par son approche très fonctionnelle des femmes, idiotes sans cervelles dans ses livres, cons béants devenant insupportables lorsqu’elles se mettent à parler dans la nouvelle.
J’aurais bien entendu adoré lire une nouvelle traitant de Virginia Woolf, dont la mort tragique aurait sûrement été source d’inspiration, mais ce sont les Américains qui ont été à l’honneur dans ce recueil de nouvelles (avec un excellent choix quant aux protagonistes – même si, de façon très subjective, je ne peux pas m’empêcher de regretter que la dernière nouvelle n’ait pas plutôt été consacrée à F.S. Fitzgerald, d’ailleurs mentionné dans « Papa à Ketchum »).
Je me suis régalée avec ces nouvelles inventives qui n’hésitent pas à prendre certaines libertés avec de grands noms de la littérature qui, entre les mains de Oates, deviennent des poupées maléables tout en conservant une trace de leur identité première. Un Oates osé à ne pas manquer !
Merci à Marie-Laure et aux éditions Philippe Rey.
L’avis de Tournez les Pages.
Ici également (de vieux billets mais un réel engouement à l’époque) : Oates Joyce Carol, Beasts et Oates Joyce Carol, I’ll take you there.
Sur Emily Dickinson : Bobin Christian, La Dame blanche.
De Twain : Twain Mark, Un majestueux fossile littéraire.
De James : James Henry, Les Dépouilles de Poynton (j’avais complètement oublié l’avoir lu et l’avais mis de côté pour une prochaine lecture…!) et James Henry, Une Vie à Londres.
233 p
Joyce Carol Oates, Folles Nuits, 2008
2e lecture dans le cadre du challenge La Nouvelle de Sabbio.
Commentaires
Écrit par : Aymeline | 16/04/2011
Écrit par : maggie | 16/04/2011
Écrit par : rachel | 16/04/2011
Écrit par : Titine | 16/04/2011
Écrit par : Ys | 16/04/2011
Écrit par : Karine:) | 16/04/2011
Écrit par : Dominique | 17/04/2011
Écrit par : Joelle | 17/04/2011
@ Maggie : oui ses livres ont parfois pour sujet des histoires assez tordues ^^
@ Rachel : peut-être que certains aspects de ses nouvelles ne leur auraient pas tellement plu, car elle ne les épargne pas !
@ Titine : yes (même si je n’aime pas trop Hemingway ;)) ! Je te le prête quand tu veux comme promis !
@ Ys : oui ce sont des inventions en effet, même si le livre fait mention à la fin de ses sources d’inspiration : biographies, écrits des auteurs eux-mêmes… elle s’inspire de certains faits connus les concernant pour finalement les transgresser.
@ Karine 🙂 : c’est sûr, ce n’est pas politiquement correct ^^ (mais ce n’est pas étonnant avec Oates)
@ Dominique : c’est amusant avant aussi je n’étais pas adepte de nouvelles et un peu par hasard j’ai découvert certains auteurs à travers leurs nouvelles (je pense notamment à Edith Wharton, la rencontre la plus marquante), à peu près au moment où j’ai créé ce blog… et c’est un genre que j’apprécie beaucoup maintenant.
@ Joëlle : quand j’ai commencé à lire Oates j’ai envisagé de lire toute son oeuvre mais elle a écrit tant de romans, nouvelles et autres que cela me semble presque mission impossible 🙂
Écrit par : Lou | 17/04/2011
Écrit par : Lilly | 17/04/2011
Écrit par : niki | 17/04/2011
Joyce Carol, elle dort quand?
Écrit par : juliette | 17/04/2011
@ Niki : un très bon livre et un auteur à suivre !
@ Juliette : elle a une drôle de tête, elle a peut-être un petit côté zombie ?
Écrit par : Lou | 17/04/2011
Écrit par : rachel | 18/04/2011
Écrit par : Allie | 18/04/2011
@ Allie : je connais finalement moyennement la littérature américaine (même si j’ai lu quelques textes de tous ces auteurs)… j’ai même acheté un précis de littérature classique américaine l’an dernier pour me rattraper !
Écrit par : Lou | 19/04/2011
Écrit par : rachel | 19/04/2011
Écrit par : Manu | 20/04/2011
Sinon, si tu pouvais garder ou donner le Wiazemsky, ça ne serait pas de refus, en ce qui me concerne il va surtout m’encombrer (et comme j’espère déménager sous peu…).
Écrit par : Lilly | 20/04/2011
@ Manu : tu n’aimes pas la couverture ? elle m’avait attirée au contraire :o)
@ Lilly : bah ce n’est pas à un vieux machin comme moi que tu vas dire ça (j’ai eu mon bac il y a 10 ans !!!!!! mega gloups !!!!). Allez je te laisse profiter de ton dernier mois de jeunitude !;o)
Pour le Wiazemsky je peux te le renvoyer plus tard aussi si tu veux. Tu pourrais me redonner ton adresse par mail ? j’ai peur de me planter entre les différents déménagements, je ne suis pas sûre d’avoir la bonne !
Écrit par : Lou | 21/04/2011
Écrit par : rachel | 22/04/2011
Écrit par : claudialucia ma librairie | 30/04/2011
@ Claudialucia : non en effet elle ne se prive pas :o) J’ai hâte de connaître ton avis !
Écrit par : Lou | 08/05/2011
Les commentaires sont fermés.