C’est avec soulagement que je viens de terminer Une éducation libertine de Jean-Baptiste del Amo, reçu dans le cadre de l’opération Masse Critique de Babelio. Avec cette entrée en matière un peu brutale, il vaut mieux préciser que je souhaitais vivement découvrir ce roman et que je ne regrette pas du tout ma lecture, malgré un accouchement pour le moins douloureux.
Une éducation libertine rappelle bon nombre de classiques des XVIIIe et XIXe siècles, mettant en scène un jeune homme prêt à tout pour conquérir sa place dans la haute société. Parti de rien, Gaspard a quitté Quimper et la ferme familiale pour Paris : de la Seine à l’atelier d’un perruquier, des bordels aux meilleurs salons parisiens, il gravit rapidement les échelons de la société.
Il rencontre tout au long de son parcours plusieurs personnages qui joueront un rôle clef, influençant sa réussite ou déterminant les changements qui s’opèrent en lui. Parmi eux: Lucas, qui lui trouve un premier métier ; Billod, maître perruquier émoustillé par le jeune provincial ; le comte de V., amoral et qui, sans avoir la prestance d’un Valmont, est le personnage qui m’a le plus séduite ; Emma, la prostituée au grand cœur ; les d’Annovres, sans autre intérêt que leur fortune et leur cercle d’habitués ; Adeline, leur fille, qui devine l’imposture de Gaspard ; enfin le baron de Raynaud, décati mais plein d’ardeur.
D’abord un peu trop simple, trop grossier pour le raffinement de la vie qu’il ambitionne, Gaspard apprend l’art et la manière de s’exprimer et de se comporter en société. Il découvre à ses dépens que les hommes ne sont pas toujours fiables et, avant d’atteindre son but, passe à plusieurs reprises de l’espoir à la déchéance avant de décider de prendre son destin en main.
Personnage ambitieux, Gaspard évoque Rastignac, dans un roman aux influences littéraires multiples – et lorsqu’il n’y a peut-être pas de rapport direct, on peut malgré tout faire quelques rapprochements : Balzac, mais aussi Maupassant et son Bel-Ami ; Zola avec l’expression récurrente « ventre de Paris » et des scènes évoquant les parvenus des Rougon-Macquart ; Le Parfum de Süskind, notamment avec l’introduction de Paris, personnage à part entière, ville monstrueuse, bassement humaine, éructant, exhalant un remugle immonde ; évidemment Laclos et Sade, dont les Infortunes sont vendues sous le manteau, tandis que le comte Etienne de V. semble issu d’un accouplement sulfureux entre Valmont et Dolmancé. J’ai aussi pensé à Ambre, l’héroïne du roman éponyme de Katrin Winsor qui évoque la détermination d’une jeune campagnarde prête à tout pour conquérir titre et fortune dans l’Angleterre de Charles II. Peut-être y a-t-il également dans ce roman une influence de Jean Teulé, d’après ce que j’ai pu lire de son récit sur François Villon.
J’ai beaucoup apprécié l’aspect ambitieux de ce texte à l’écriture soignée, au langage savamment travaillé, au vocabulaire assez riche (malgré un champ lexical du corps et de ses sécrétions peut-être trop récurrent), aux métaphores nombreuses. C’est un roman fleuve comme on en trouve finalement assez peu aujourd’hui dans la littérature française – du moins c’est mon impression. Moins de poésie, d’introspection. Plus de narration, dans la tradition des grands classiques. J’ai vraiment savouré ce choix qui confère un caractère assez inédit à ce roman. A noter que quelques personnages évoluent en marge du récit, le temps de quelques pages. Ce focus sur d’autres habitants de la capitale tentaculaire suscite la curiosité du lecteur et relance parfois l’action en observant la scène sous un angle inattendu.
Pourtant je ne suis pas totalement convaincue : Une éducation libertine rappelle énormément Le Parfum par son introduction (voire même en général, par le caractère vampirique et autodestructeur de Gaspard). Il peine à s’affranchir de ses nombreuses influences. Les personnages sont à mon avis un peu stéréotypés et ont pour beaucoup un petit air de déjà vu. Antipathique au possible, Gaspard m’a fait mourir d’ennui avant de jouer les arrivistes. Et c’est au final cette première partie (environ 200 p) que j’ai trouvée très longue, en particulier lors de l’apprentissage de Gaspard et de sa relation avec Etienne, avec des descriptions qui me semblaient redondantes et un héros qui ramait, brassait de l’air mais n’avançait certainement pas. Plus séduite par d’autres personnages que l’on ne connaît que superficiellement, j’ai mis trop de temps à m’intéresser au destin de Gaspard, malgré une deuxième partie lue d’une traite et vraiment appréciée (à part les descriptions de la chair mutilée du héros, qui m’ont finalement donné la nausée – mais cela ne m’était jamais arrivé lors d’une lecture et doit très certainement compter parmi les réussites du roman).
J’attendais peut-être un peu trop de ce roman mais Jean-Baptiste del Amo est sans aucun doute un écrivain prometteur que je serais curieuse de relire un jour. Et, malgré mes réserves, Une éducation libertine est un bon roman, voire plus encore.
Merci beaucoup à Gallimard et à Guillaume Teisseire, chef d’orchestre organisé et toujours très sympathique !
D’autres avis : Lau, Ys, Flora, Laurent, Le Vampire Ré’Actif, Manu néo-libraire, Cali Rise, Site En Marge, Nibelheim, Ameleia (allez voir chez elle ce qu’est une opération commando – réussie – à la FNAC), Delph, la page de Babelio, Titine et Lucile.
434 p
Jean-Baptiste del Amo, Une éducation libertine, 2008
Commentaires
Écrit par : Ys | 25/01/2009
Écrit par : wictoria | 25/01/2009
Écrit par : wictoria | 25/01/2009
Écrit par : Leiloona | 25/01/2009
Nos critiques me semblent d’ailleurs assez proches : j’ai bien aimé cette lecture mais émets comme toi quelques réserves, notamment au niveau des influences. J’ai du coup rajouté le lien vers ce billet dans mon propre article, j’aime (surtout quand les avis sont mitigés) citer plusieurs personnes !
Écrit par : Nibelheim | 25/01/2009
Écrit par : Karine 🙂 | 25/01/2009
Écrit par : Gambadou | 26/01/2009
Écrit par : Alice | 26/01/2009
Écrit par : Dominique | 26/01/2009
Écrit par : Lucile | 26/01/2009
@ Wictoria : oui bien sûr je parlerai de Beatrix Potter, dont je savoure petit à petit les contes et, peut-être plus encore, les illustrations !
@ Leiloona : ce livre se démarque à mon avis vraiment de beaucoup de publications récentes et, personnellement, j’apprécie beaucoup ce genre et ces influences… après le mieux est peut-être encore de l’emprunter ou de le feuilleter pour se faire une idée…
@ Nibelheim : hier soir j’ai fait mon billet un peu rapidement, j’ai donc pris connaissance de ta critique ce matin. Effectivement, nous avons un avis à peu près similaire :o)
@ Karine 🙂 : ton mini-cerveau ? non mais c’est quoi cet argument ?:p ^^
@ Gambadou : j’en attendais d’ailleurs beaucoup au départ… il faut dire que le titre et le petit côté XVIIIe ne me laissaient pas indifférente !
@ Alice : oui je me pose la même question ! Au passage j’ai vu que tu as parlé de « A moi pour toujours », que j’ai dans ma PAL et compte lire depuis… euh… décembre ? novembre ?!
@ Dominique : je ne suis pas certaine que tous les écrivains en vogue lisent encore leurs classiques, mais c’est une autre histoire :o) Et tu as bien raison de dire qu’il serait peut-être aussi bien de revenir aux origines… point positif de ce roman, il me donne très envie de me replonger dans ces livres lus il y a un certain temps ! (et j’en ai encore beaucoup à découvrir !)
@ Lucile : ah, pour une fois que je suis organisée… !;o)
Écrit par : Lou | 26/01/2009
Écrit par : Nanne | 26/01/2009
Écrit par : Titine | 27/01/2009
@ Titine : je viens d’ajouter ton lien, merci de m’avoir signalé cet article ! Je suis d’accord avec toi… sans être totalement sous le charme j’ai trouvé beaucoup de qualités à ce livre d’une autre trempe que beaucoup de succès actuels !
Écrit par : Lou | 27/01/2009
Sinon, tu es toujours chez tes parents ? Je pense que j’aurais enfin le temps de t’envoyer le Haden en fin de semaine prochaine.
Écrit par : Lilly | 27/01/2009
Écrit par : Lou | 27/01/2009
Écrit par : Mlle Curieuse | 27/01/2009
Écrit par : Titine | 28/01/2009
@ Titine : de rien ! j’ai cherché des liens sur Internet mais je tombais surtout sur des sites commerciaux comme ce livre a eu un certain succès… au bout d’un moment j’ai fini par renoncer mais je suis sûre que j’oublie encore des liens !
Écrit par : Lou | 28/01/2009
Écrit par : Florinette | 28/01/2009
Écrit par : liliba | 31/01/2009
@ Liliba : ah j’aimerais bien pouvoir lire Süskind en allemand ! Enfin comme je l’ai en VF je pourrais bosser mon allemand en achetant la VO pour comparer…
Écrit par : Lou | 03/02/2009
Je n’avais pas apprécié « Le Parfum » de Süskind et j’ai beaucoup aimé ce livre original.
Del Amo arrive à nous faire nous sentir mal, à avoir la nausée. Et il est vrai que j’ai également trouvé Gaspard assez antipathique et énervant.
Écrit par : Lau | 12/02/2009
Merci pour ton gentil commentaire, Lau !
Écrit par : Lou | 12/02/2009
Écrit par : Alcapone | 16/05/2010
Écrit par : Lou | 19/05/2010
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