Après une série de lectures plutôt contemporaines et souvent éloignées de mon univers de prédilection, la littérature anglo-saxonne, j’ai eu envie de faire une petite pause pour revenir à quelques classiques. Mon premier choix s’est porté sur Henry James, dont j’avais déjà lu The Turn of the Screw et quelques nouvelles. J’avais notamment en réserve Les Dépouilles de Poynton, livre que j’ai croqué avec plaisir le temps d’un week-end.
James fait partie de ces auteurs pouvant rendre une atmosphère si particulière où le plus petit détail, la moindre allusion, chaque expression prêtent à une analyse fournie qui alimentera toute l’histoire et fera de personnages a priori insignifiants les acteurs principaux d’un drame inattendu. Avec son écriture fine, précise, parfois circonspecte, son portrait sans concession d’une société bourgeoise engoncée dans l’hypocrisie et les faux-semblants, James me fait bien souvent penser à Edith Wharton, qui d’ailleurs évoque son ami écrivain dans Les Chemins parcourus.
Les Dépouilles de Poynton retrace l’histoire d’une famille déchirée lorsque, à la perspective du mariage de son fils, Mrs Gereth voit partir en fumée toute la vie qu’elle avait construite autour du château de Poynton, résidence emplie de trésors accumulés tout au long d’une vie. Passionnée par l’ameublement recherché de sa résidence, amoureuse de chaque bibelot, Mrs Gereth ne supporte pas de voir son fils Owen (beau, intègre mais stupide) tourner autour de Mona Brigstock, jolie femme vulgaire et vaine incapable de saisir la beauté que les pièces de Poynton recèlent. Par amour de l’art, Mrs Gereth place tous ses espoirs dans une autre jeune femme, Fleda Vetch, celle-ci brillante, subtile et surtout, douée d’une compréhension profonde des talents déployés pour faire de Poynton un lieu unique. Issue d’une famille modeste, Fleda devient bientôt la confidente de Mrs Gereth, puis un intermédiaire incontournable dans les transactions et discussions qui opposent la mère et le fils. Car dès le début du roman, Mrs Gereth sait que la nouvelle fiancée demande l’expulsion de la maîtresse de maison, ne consentant à lui laisser que quelques meubles, le fils étant désormais seul propriétaire des lieux.
Plusieurs sujets se mêlent ici : la beauté de l’art et sa valeur, sur un plan que l’on pourrait qualifier de « moral » ; les choix difficiles qui s’opèrent entre amour et loyauté ; la grandeur d’âme opposée à l’appât du gain ; l’intelligence à la bêtise et à l’étroitesse d’esprit ; les ambitions nobles à la petitesse de personnes simples ; l’esthétisme et la réflexion à la volonté triomphante. Le choix de la liberté et les sacrifices qu’il implique est également une question centrale dans ce roman où, par sa lucidité, Fleda va prendre une envergure inattendue.
De personnage périphérique, Fleda devient en effet rapidement le sujet central. Partagée entre son respect des belles choses, son amour pour Owen, ses devoirs envers sa bienfaitrice et surtout, son sens des scrupules excessif, la jeune femme prouve tout au long du roman son goût du sacrifice, plaçant certaines valeurs par-dessus tout, au risque de tout perdre. Son statut est lui aussi au centre de l’intrigue : amie ? ; dame de compagnie ? ; fausse employée ? ; ou même simple meuble, comme le prétend Mrs Gereth dans sa colère ?
Jusqu’à la dernière page, le lecteur se prend à espérer certains retournements de situation, l’histoire prenant petit à petit un tour que l’on pourrait trouver inattendu s’il ne reflétait pas une parfaite maîtrise de la narration.
Comme le dit Henry James lui-même dans sa préface : « Oui, c’est une histoire de vitrines, de chaises et de tables ; c’étaient eux la pomme de discorde mais le sort de ces meubles remarquablement passifs semblait représenter un dénouement relativement vulgaire. Les passions, les facultés, les forces que leur beauté, comme celle de l’Hélène de Troie antique, mettrait en jeu étaient ce qu’en tant que peintre, nous avions vraiment voulu d’eux ; c’était la puissance qu’ils incarnaient qu’on avait dès le début appréciée. »
Et sur Fleda : « Du début à la fin, dans Les Dépouilles de Poynton, c’est Fleda qui apprécie les choses, et même toutes les choses, et c’est précisément pourquoi, conséquence imposée de façon plutôt solennelle, tous les autres personnages apparaissent relativement stupides car l’imbroglio, le drame, la tragédie et la comédie de ceux qui savent apprécier résident surtout dans leurs relations avec ceux qui ne savent pas. De la réflexion de cette vérité qui est présentée, mon histoire tire, selon moi, une certaine apparence évidente d’épaisseur et de facilité. Les « choses » rayonnent, répandent au loin toute leur lumière avec une monotonie impitoyable, exerçant sans remords leurs ravages ; et Fleda, de façon presque démoniaque, voit et sent à la fois tandis que les autres ne font que sentir sans voir. »
Un élégant roman au fil narratif relativement simple qui soulève avec une certaine ambition de nombreuses questions. Un livre très jamesien qui plaira sans aucun doute à ses fervents lecteurs. Peut-être un peu moins complexe que The Turn of the Screw dans mes souvenirs… mais reprocher à Henry James trop de simplicité me semble peu approprié. En ce qui me concerne, cette lecture a été un immense plaisir !
(Le portrait d’Henry James – si j’arrive à le télécharger, est un tableau de John Singer Sargent, peint en 1913)
241 p
Henry James, Les Dépouilles de Poynton, 1897
Commentaires
Je vais tenter! (Quand? hum, c’est une bonne question!!!!)
Écrit par : Charlie Bobine | 24/06/2008
Écrit par : liliba | 24/06/2008
Écrit par : Lilly | 25/06/2008
Dernières nouvelles de Frédéric Ferney…
Eric,
Pour info : le communiqué de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimedia) envoyé tous azimuts (je ne leur avais rien demandé).
Bises,
Fred.
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Voici comme convenu le communiqué envoyé hier à l’ensemble de la presse généraliste, TV, Radio (littérature, culture, médias).
Bien cordialement,
Cissé Tamoura
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Ainsi donc, au cœur de la tempête réformatrice qui tente d’engloutir l’audiovisuel public, France télévisions annonce la suppression du Bateau livre , l’émission littéraire de Frédéric Ferney. Après l’avoir programmé le dimanche mati, les dirigeants de France télévision ont beau jeu d’avancer l’argument d’une audience qualifiée de médiocre.
Quand comprendra-t-on que les « quelques » centaines de milliers de téléspectateurs qui font le choix de l’intelligence et de la curiosité , sont la légitimité même de la télévision publique ?
Comme l’avait d’ailleurs souligné le Président de la république dans sa lettre de mission à Christine Albanel : France télévisions doit affirmer son identité de service public à travers une offre culturelle plus dense, plus créative, plus audacieuse ; une offre qui marque une plus grande différence avec les chaînes privées ; une offre fondée sur des programmes populaires de qualité aux heures de grande écoute. »
C’est pourquoi la SCAM, conforté par cette décision du Président de la République, approuve la démarche de Frédéric Ferney l’interpellant. Cette démarche vise, une nouvelle fois, à mettre les responsables politiques devant leurs contradictions au regard des enjeux culturels et à leur demander de respecter leur promesse. Comment d’un côté prôner la défense de la lecture et de l’autre fermer les espaces dédiées à la littérature sur un média de première importance pour sa diffusion
La suppression du Bateau livre est le énième épisode des attaques contre la culture à la télévision et contre la littérature en particulier.
*
N’hésitez pas, à votre tour, à relayer le message et l’information.
Très cordialement
Eric Poindron
Le cabinet de curiosités d’Eric Poindron : http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites
Eric Poindron
Le Cabinet de curiosités de
Éric Poindron
http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites
Écrit par : Eric Poindron | 25/06/2008
@ Liliba : de même, « Le Tour d’Ecrou » permet d’aborder ce très grand auteur par une histoire de fantômes, qui reste cela dit très psychologique… peut-être que ça te plairait plus ?
@ Lilly : j’ai ressorti mes deux tomes de nouvelles pour poursuivre ma lecture… mais si j’attends d’avoir tout lu mes notes tarderont un peu malheureusement.
Écrit par : Lou | 25/06/2008
Écrit par : Cécile | 27/06/2008
Écrit par : canthilde | 29/06/2008
@ Canthilde : moi aussi je compte lire toute son oeuvre, mais pour l’instant j’ai à peine commencé. Un excellent auteur en effet !
Écrit par : Lou | 09/07/2008
Écrit par : Joelle | 10/07/2008
Écrit par : Lou | 12/07/2008
Écrit par : Naïk | 17/10/2008
Écrit par : Lou | 20/10/2008
Mon prochain « James » pourrait bien être celui-là dont tu parles si bien.
Écrit par : dominique | 04/03/2009
Écrit par : Lou | 04/03/2009
Écrit par : Alice | 02/12/2009
Écrit par : Lou | 02/12/2009
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