Toujours prête à me fournir en substances (légales) hautement stimulantes, une amie (celle de Jonathan Tropper et de l’Indien malchanceux) m’a récemment prêté Les Trottoirs de Dublin de Damien Owens, la victime toute désignée de cette chronique. Enfin, victime, le mot est mal choisi. Car c’est plutôt votre lectrice dévouée qui, entre moments d’hilarité absolus et crises d’angoisse profondes, a vécu malgré elle ces trois derniers jours au rythme des déboires de Joe Flood, l’anti-héros de ce roman.
Flood pourrait être un personnage à la Nick Hornby : la trentaine, il déteste son job dans les RP, vit dans un studio minable, reste désespérément célibataire, a des problèmes familiaux depuis le décès de son père et passe ses journées à se lamenter auprès de son ami Go-Go. En réalité, la situation est telle au départ qu’elle ne pourrait vraisemblablement pas empirer. Et pourtant… car Deirdre, la petite sœur, choisit ce moment pour ajouter une nouvelle catastrophe aux nombreuses sources alimentant un conflit familial permanent ; rien ne va plus au bureau où Joe est brutalement convoqué par son patron ; il rencontre la femme de sa vie dans l’un des pires contextes possibles ; sans compter que le scénario devant assurer sa gloire à Hollywood n’avance pas d’un pouce.
Ce roman détente, malgré un recours un peu trop récurrent au langage parlé, réunit beaucoup de qualités pour passer un agréable moment : des personnages originaux et attachants, une intrigue simple mais bien ficelée, d’innombrables micro péripéties, de l’amour, des larmes, des scènes amusantes et, en prime, des héros et une histoire tout à fait crédibles. Entre Joe, la belle Catherine, Leonard le patron de bar maussade, Go-Go le confident, Stevie et Norm, les amis inspérables, Deirdre et son ex Brendan Feeny, sans parler de la maman psychotique, les rebonds ne se font pas attendre.
Un roman drôle, un feuilleton télé version papier, certes, mais aussi le tableau d’une Irlande contemporaine où la classe moyenne est marquée par l’abus d’alcool, la pauvreté et la menace floue mais omniprésente du chômage. Derrière le looser Joe et son ridicule apparent se cache une critique au final assez mordante de la société irlandaise. A la fois tendre et piquant, ce livre réussit sans aucun doute à s’imposer parmi les romans où fleurissent les trentenaires anglo-saxons pour qui rien ne va plus.
Extrait :
Joe rentre chez lui contraint et forcé et, pour ajouter à son malheur, une sœur s’assied à côté de lui… lui qui a horreur des catholiques, le voilà servi ! Grommelant dans son coin pendant que la religieuse se bidonne en lisant Le guide du voyageur galactique, Joe est finalement forcé de discuter avec sa compagne de voyage.
« Alors vous, vous êtes ?
– Joe, ai-je répondu en me demandant si cette familiarité me rendait plus vulnérable.
– Euh, enchantée, moi c’est Frances, mais ce n’était pas le sens de ma question. Pour vous, vous êtes agnostique ou quoi ? »
Autre fard. « On, non. Athée. Enfin, panthéiste, en théorie, mais… aucune importance. »
Sœur Frances a brandi vers moi le crucifix qu’elle portait autour du cou. « Arrière ! Arrière ! » a-t-elle crié.
J’ai ri et imaginé qu’elle était peut-être une vieille clame ordinaire en route pour un bal costumé. Enhardi, j’ai décidé de mettre les choses au point. « Ecoutez, ma sœur, je n’essaierai pas de vous convertir si vous n’essayez pas de me convertir. »
Elle m’a souri. « Je prierai pour vous.
– Et moi, je penserai pour nous deux », lui ai-je répondu pour lui clouer le bel avec la boutade habituelle.
J’ai toujours manifesté une fâcheuse tendance à chercher conseil auprès d’inconnus. J’ai laissé tomber psycho, à la fin de la première année de fac, sur les avis d’un chauffeur de taxi. Alors, ce n’est pas très surprenant que j’aie sauté sur l’occasion avec sœur Frances. Typique de mon parcours personnel.
« Ma sœur ? »
Je ne reconnaissais plus ma voix.
« Mmmm ?
– Je peux vous demander quelque chose ? »
Elle a refermé son livre et m’a accordé immédiatement toute son attention. « La réponse est non. Le sexe ne me manque pas. On ne peut pas regretter ce qu’on n’a jamais connu. »
Cette fois j’ai rougi jusqu’à la racine des cheveux.
« Non, non, ce n’est pas ça, ai-je affirmé d’une voix éraillée. C’est… un problème personnel.
– Hou là, a-t-elle fait, mais sans rougir. Je croyais que les jeunes ne pensaient qu’au sexe. Surtout les jeunes athées. »
354 p
Damien Owens, Les Trottoirs de Dublin, 2001
Commentaires
J’ai tout de suite pensé à ce livre en lisant ton titre ! J’ai beaucoup ri en le lisant…
Écrit par : kathel | 18/05/2008
Bonsoir
Dans le genre écrivain Irlandais (du Nord par contre) je conseille Eureka Street de Robert McLiam Wilson qui, dans le ton, a l’air de ressembler à celui-là
Écrit par : gordien | 18/05/2008
Je prépare mes prochaines vacances estivales en Irlande en comblant mes lacunes littéraires et j’avoue que je désespérais un peu de trouver quelque chose de drôle à me mettre entre les mains. Grâce à toi, on dirait que j’ai trouvé !
Écrit par : Ys | 18/05/2008
Je l’ajoute à ma LAL thérapeutique! 🙂
Écrit par : Charlie Bobine | 19/05/2008
il a l’air très drole ce livre !!
Écrit par : taylor | 19/05/2008
@ Kathel : en ce moment c’est le genre de bouquin qui me convient tout à fait 🙂
@ Gordien : je viens de regarder sur Internet et de trouver « Euraka Street ». Effectivement ça l’air d’être assez proche. J’ai noté pour avoir cette option sous la main quand j’aurai envie de repartir en Irlande avec une histoire sympathique !
@ Ys : Ravie de t’avoir donné une nouvelle idée de lecture qui te permettra de te plonger un peu plus en Irlande avant ton voyage !
@ Charlie Bobine : voilà une sage décision !
Écrit par : Lou | 19/05/2008
@ Taylor : c’est un peu comme Nick Hornby ; l’histoire de ratés qui pourraient nous faire de la peine si, parmi toutes les catastrophes qui leur arrivent, il n’y avait une bonne dose de situations cocasses et pleines d’humour.
Écrit par : Lou | 19/05/2008
Un titre à ajouter sur la liste des livres à lire quand il fait beau. 🙂
Écrit par : Cécile | 19/05/2008
Tiens, moi aussi, je l’ajoute à ma liste de lectures d’été… bien que je ne crois pas que je vais avoir le temps de lire tant que ça pendant mes vacances! Si c’est comique sans être trop « juste ça », ça risque de me plaire!
Écrit par : Karine | 19/05/2008
@ Cécile : quand il fait beau ?;) Pour la plage ou parce qu’il pleut assez en Irlande ?
@ Karine : tu as des vacances bien remplies, à ce que je vois ! Veinarde :p
Écrit par : Lou | 20/05/2008
J’ai déjà « Eureka Street » dans ma PAL mais je note celui-là aussi. Tu me donnes envie 😀
Écrit par : Manu | 20/05/2008
@ Manu : je vais donc guetter ton avis sur « Eureka Street » 🙂
Écrit par : Lou | 21/05/2008
Je ne suis pas très tentée malgré ton billet élogieux ! C’est le côté alcool qui me rebute, je crois !
Écrit par : Joelle | 02/06/2008
@ Joëlle : mmh, j’ai peut-être trop insisté dessus. Le héros n’a vraiment de sérieux problèmes d’alcool, simplement l’alcool est en arrière-plan. La soeur enceinte veut boire, lorsqu’il se confie à son ami il abuse un peu côté bouteille et les retrouvailles hebdomadaires avec ses amis se font dans un pub ultra glauque où, à part l’alcool, ils ne trouvent pas grand-chose de réconfortant… ce sont des petits détails disséminés dans le récit mais évoqués à plusieurs reprises qui finissent par donner plus d’importance au phénomène, qui n’est cependant pas le coeur de sujet.
Écrit par : Lou | 03/06/2008
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