Oblomovons !

werbowski.jpgInspiré de l’Oblomov de Gontcharov (qu’il va me falloir enfin lire), L’Oblomova est un curieux récit dont la narratrice cherche à tout prix la tranquillité. Orpheline polonaise devenue traductrice, elle est désormais veuve d’Andrzej, un homme d’affaires fortuné nettement plus âgé qu’elle. Celui-ci lui ayant laissé sa fortune à condition qu’elle travaille, l’héroïne provoque un accident de voiture pour justifier l’utilisation d’un fauteuil roulant et simuler une maladie plus ou moins fictive.

Assez contemplatif (cela m’a d’ailleurs fait penser à une autre histoire de chat), ce livre a pour thème principal la paresse, qui se traduit par l’indolence, les petites manies, le quête de repos, la fuite des ennuis ou de toute activité non souhaitée par la narratrice. Un exemple amusant pourrait être celui-ci : « Le soir, j’ai commencé à lire le récit de Roald Dahl The Landlady. Ça m’a fait penser que je pourrais au fond, louer une chambre avec salle de bains : la maison est si grande et parfois, la nuit, je ne me sens pas à mon aise. » (p 32) L’indifférence apparente de la narratrice touche jusqu’à la trame du récit qu’elle est en train de lire, puisque l’histoire d’une tueuse en série empaillant ses locataires lui suggère un simple rapprochement avec sa condition actuelle de personne isolée ayant une chambre à louer. Le fait que cette lecture lui fasse penser à la location comme un pas vers la tranquillité est délicieusement ironique !

Ce personnage excentrique est obsédé par certains sujets, à commencer par les animaux, avec les chats Minou et Professeur Blum, que l’héroïne enchaîne dans son jardin pour les empêcher de s’aventurer sur la route… sans parler de ses dons à la SPA ou de ses impulsions protectrices. Les hommes font aussi partie des fixations de l’Oblomova : sensible au charme des hommes d’action canadiens, elle a un faible pour les pompiers ou les policiers, devant lesquels elle adopterait presque un comportement possessif. C’est peut-être la raison qui la pousse à enfermer dans la cave la grossière employée qui a remplacé le charmant jeune homme de la compagnie des eaux, qu’elle se faisait une joie d’accueillir pour la vérification du compteur. Cette scène un brin sadique illustre bien son rapport difficile aux personnes qui l’importunent – les femmes relevant visiblement toujours de cette deuxième catégorie.

La narratrice a une vision finalement assez cynique du Canada, qu’elle oppose à plusieurs reprises à l’Europe qui, outre quelques souvenirs de l’orphelinat, est aussi décrite comme une terre plus personnelle, comme lorsqu’elle évoque brièvement les cimetières entretenus par les proches dans un cas, par une entreprise dans l’autre.

« L’automne canadien, c’est une explosion de toutes les couleurs impressionnistes possibles. Le jaune, on dirait l’œuf d’or du conte russe. Le bronze discret et le rouge agressif se fondent en une couleur de vin séculaire, bordeaux ou sang de taureau, un extraordinaire arc-en-ciel fixé dans ce feuillage. Un miracle de la nature. » (p41)

Les saisons passent, et la narratrice est fascinée par l’hiver, qui lui permet de garder ses chats auprès d’elle et de rester au lit à paresser. Toujours avec la crainte d’être dérangée dans son havre de paix. « Une chose doit arriver, quelqu’un viendra. Et puis, ce soulagement : personne ne viendra, rien ne se passera. » (p13)

La mélancolie finit par aboutir à une autre obsession : celle du suicide, en particulier en faisant référence à des personnalités mortes de cette façon comme Romain Gary. Cet acte que la narratrice envisage de commettre pour enfin goûter au grand sommeil est abordé avec détachement, indifférence, passivité. Enfin, le destin frappe à sa porte, ponctuant joliment ce récit où le temps échappe à celle qui cherche à contrôler toute sa vie… bien que le temps n’ait pas d’importance pour elle.

Emaillé de références littéraires et musicales, ce livre m’a vraiment plu. C’est un texte court mais, s’il évoque le laisser-aller et le temps qui semble filer entre nos doigts, il est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Les thèmes qu’il aborde sont nombreux et son Oblomova est moins satisfaite de son sort qu’elle ne le semble a priori. Ecrit simplement mais avec élégance, ce récit où il ne se passe apparemment rien est en fait si séduisant qu’on peine à s’en arracher avant la fin. Un texte très fin qui m’a fait un peu méditer mais qui surtout a été un moment exquis où, paresseuse, allongée sur mon lit, j’ai savouré ces quelques pages en éprouvant moi aussi un sentiment de volupté à ne « presque » rien faire…

Malice en parle aussi, ainsi que de deux autres textes publiés chez Actes Sud puis réédités par Les Allusifs récemment – j’en parlerai aussi prochainement car ils figurent dans ma PAL.

werbowski_hotel polski.jpgwerbowski_mur entre nous.jpg

47 p

Tecia Werbowski, L’Oblomova, 1997 pour la première parution en France

Commentaires

C’est mignon comme tout comme couverture… Ta prose et les 8 zotres sont en ligne !

Écrit par : Cécile de Quoide9 | 15/01/2009

@ Cécile de Quoide9 : je vais faire un lien qui renvoie vers ton billet, qui m’a bien fait rire hier soir, même si pour Anna Gavalda je ne change pas d’avis ;o)
Et pour la couverture, celui ou celle qui fait les couvertures des Allusifs a eu un prix récemment.

Écrit par : Lou | 16/01/2009

Original, et puis la couverture est vraiment mignonne…

Écrit par : liliba | 16/01/2009

@ Liliba : en effet, j’ai craqué sur cette couverture moi aussi !:o)

Écrit par : Lou | 16/01/2009

« Contemplatif », « paresse »… je m’éclipse discrètement.

Écrit par : Isil | 16/01/2009

j’ai lu mur entre nous que j’ai beaucoup aimé. j’avais déjà vu ce titre chez malice, et il me tentait bien déjà… Je surligne;)

Écrit par : sylvie | 17/01/2009

@ Isil : dommage, alors que c’est un livre sur la paresse je ne me suis pas ennuyée une seule seconde !

@ Sylvie : je pense lire prochainement ce titre aussi, comme tu le vois ! Et je viens d’emprunter à mon père un Berberova, histoire de découvrir aussi les influences de Werbowski !

Écrit par : Lou | 17/01/2009

Intrigant ! Cela ne me fait pas fuir !

Écrit par : keisha | 17/01/2009

@ Keisha : Ouf !! :o) C’est un petit bijou à découvrir !!

Écrit par : Lou | 17/01/2009

J’ai lu Oblomov l’année dernière, j’avais aimé, sans plus. Du coup, je ne suis pas trop tentée par celui-là…

Écrit par : Mo | 18/01/2009

@ Mo : je ne suis pas sûre que ce soit très fidèle au texte, en tout cas ce n’est pas du tout l’idée que je me fais des Russes, d’après les quelques textes que j’ai lus. Bon il faut dire que j’ai adoré « L’Oblomova » alors oui, je pousse à la consommation ;o)

Écrit par : Lou | 18/01/2009

Si c’est inspiré d’Olomov je vais me précipiter d’acheter ce livre car le livre de Goncharov est très haut placé dans mon panthéon de livres.

Écrit par : Titine | 19/01/2009

@ Titine : raison de plus pour découvrir « Oblomov » en ce qui me concerne !

Écrit par : Lou | 20/01/2009

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