james_vie_londres.JPGAprès une multitude de lectures n’ayant pas grand-chose à voir avec la pluie, les chemins de campagne anglais, le brouillard et la crasse londoniens, les tasses de thé, les vieilles demoiselles et les séduisants/bedonnants pasteurs, j’ai décidé de ressortir un certain nombre de titres de ma gigantesque PAL made in English (the language, of course !). Après une petite hésitation entre Woolf, Wharton, Wodehouse (que de « W » !) etc, j’ai jeté mon dévolu sur Une Vie à Londres d’Henry James, découvert en occasion début juillet, avant toutes mes pérégrinations.

Ici le lecteur respire effectivement la vieille demoiselle et la leçon de morale, dans ce roman quelque peu poussiéreuxl’histoire (qui n’en est pas vraiment une) est celle de Laura Wing, jeune Américaine scandalisée par la conduite de sa sœur Selina. Celle-ci, mariée à un Anglais, le trompe ouvertement avec un fringant capitaine, laissant entendre que son époux Lionel n’a rien à lui reprocher, la bassesse de l’un rivalisant avec celle de l’autre. Laura, qui s’érige en haute patronne de la vertu et craint les retombées d’un éventuel scandale, songe en réalité essentiellement à sa propre réputation. Par ailleurs, le Londres aristocratique et bourgeois est décrit ici comme un univers parfaitement corrompu où le vice des uns n’a d’égal que celui des autres. Dans cette fange qui répugne tant à Laura, le comportement de Selina semble presque une banalité. Certes, il flotte un certain parfum de scandale autour du divorce souhaité par les deux époux. Rien qui ne saurait être effacé par les prochains potins.

Conseillée par son amie Lady Davenant, respectable et âgée, influencée par sa sœur et son beau-frère qui ne comprennent pas ses reproches et son entêtement à ramener Selina à la raison, Laura Wing pourrait aller de l’avant et trouver enfin l’époux qui la sortirait d’une situation financière embarrassante. L’Américain Wendover pourrait bien jouer ce rôle mais, si les liens qui se tissent entre eux peuvent donner quelques vains espoirs au lecteur, il faut se souvenir que ceci est un roman de Henry James et que, très certainement, la fin risque d’être implacable, outrageusement sombre – même si pour ça l’héroïne doit faire preuve d’un acharnement et d’un manque de bon sens exagérés. J’avais parlé il y a quelques mois des Dépouilles de Poynton où une autre héroïne compliquait suffisamment son destin pour perdre toute chance de vivre heureuse avec un époux aimant. Une Vie à Londres ajoute une variante à ce type d’héroïne tellement tordue (et improbable ?) que l’on se demande si Henry James n’avait pas quelques comptes à rendre à la gente féminine. A ce sujet, Diane de Margerie évoque le traitement de la femme idéale chez James dans sa préface de La Séquestrée : une figure maternelle dévouée corps et âme à la réussite de ses chers petits (idéalement masculins).

La préface annonce Une Vie à Londres comme un roman charnière dans la carrière de Henry James. Si les premiers livres présentent une confrontation brutale entre l’Amérique et l’Europe corrompue, tranchant en faveur de la première, l’installation en Europe de Henry James lui permet petit à petit de mieux appréhender le monde qu’il jugeait si sévèrement au début. Voyant toujours ses travers mais percevant de plus en plus de mérites au sein de ce continent aux mœurs plus débridées, James s’attelle à l’écriture de ce roman plus complexe où Laura Wing, si elle dénonce la corruption de son entourage londonien, n’est pas à l’abris des critiques. Plus ironique, à mon avis presque condescendant, James évoque donc avec excès l’honnêteté sans borne et la terreur de Laura lorsque celle-ci est confrontée à la réalité. Et il est vrai que plus que les critiques faites par l’héroïne, c’est celle-ci qui est la cible des moqueries du lecteur, voire de son agacement.

J’ai lu sur le web quelques critiques faites à Henry James. Je suis d’accord avec certaines d’entre elles : l’opposition entre deux continents a été jugée un peu trop « forcée », et l’histoire n’aurait en rien changé si tous les personnages avaient été Anglais. La fin un peu brutale a aussi été dénoncée. Et il est vrai qu’à la fin tout s’enchaîne, les personnages partent brutalement dans un sens ou dans un autre, le fin mot du divorce n’apparaît pas, le destin de Laura Wing est laissé en suspens. A charge au lecteur d’imaginer la suite. Pourquoi pas ? Mais les éléments laissés dans l’ombre sont extrêmement nombreux.

J’ai donc bien retrouvé mes vieilles jeunes filles et mes jeunes vieilles filles, une société britannique faite de potins, les visites du dimanche et les tasses de thé. Malgré plusieurs passages un peu longs où les appels angoissés de Laura (et, plus familièrement, ses nœuds au cerveau) m’ont ennuyée, j’ai lu avec intérêt ce roman en un week-end. Si Henry James perd de sa fraîcheur, son analyse de la société passe au second plan au profit de l’étude de quelques personnages symboliques mais, à ce titre, un peu trop caricaturaux. Au final, tout est dans l’exagération et, même si un roman de Henry James est par définition digne d’intérêt, j’ai trouvé l’histoire un peu trop ampoulée, la finesse mise à rude épreuve par ces personnages entiers et, si l’on sent la distance et l’ironie d’Henry James, je crois que celles-ci sont particulièrement desservies par la traduction française.

L’article de Wikipedia.

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195 p

Henry James, Une Vie à Londres, 1888

(Petit rapprochement : c’est l’année de publication du recueil Clair de Lune et autres nouvelles de Maupassant)

Commentaires

Ce livre fait parti de ma PAL donc lecture pour bientôt !

Écrit par : Alice | 16/09/2008

J’ai bien envie de découvrir Henry James (j’ai d’ailleurs un livre de lui dans ma pile… lequel, là est la question!) mais je ne pense pas que je choisirai celui-ci… les leçons de morale et moi, ça fait deux, généralement!

Écrit par : Karine | 17/09/2008

@ Alice : Je serais vraiment curieuse de savoir ce que tu en penses… tu as déjà lu Henry James ?

@ Karine : avec Henry James il est souvent difficile d’échapper aux gens bien pensants et à la morale :o) Que ce soit pour la critiquer ou pas, c’est un sujet important chez lui, qui a certainement été marqué par le puritanisme de son époque, sans doute plus présent aux Etats-Unis. Si je peux me permettre un petit conseil : « le tour d’écrou/the turn of the screw » est un excellent roman qui frise l’épouvante. Une gouvernante tente de protéger deux enfants de fantômes… cela me fait penser au film « les Autres » avec Nicole Kidman. Toujours est-il que ce roman est assez complexe et diaboliquement abouti !

Écrit par : Lou | 17/09/2008

Ah, Henry James et ses héroïnes prises de tête ! J’aime beaucoup cet auteur, un des rares où l’on peut lire trente pages sans être sûre de savoir de quoi il parle exactement. C’est vrai qu’opposer systématiquement américains et européens a quelque chose de forcé ; il en fait des symboles de la modernité et de la tradition, écrit en moraliste qui a tout vu… Pourtant, j’adore me perdre dans ses romans où il ne se passe presque rien !

Écrit par : canthilde | 17/09/2008

Oui, j’ai lu le fabuleux Tour d’écrou, livre qui m’avait énormément marqué. J’ai lu il y a longtemps aussi « les Ambassadeurs « .

Écrit par : Alice | 18/09/2008

De Henry James, je recommanderais aussi « Ce que savait Maisie », que j’ai beaucoup aimé.

Écrit par : Brize | 18/09/2008

@ Canthilde : moi aussi je prends un malin plaisir à lire ces histoires où parfois il ne se passe pas grand-chose. Je trouve tout de même celui-ci en-deçà de ce que j’ai pu lire jusque-là, mais il fait aussi partie des auteurs dont j’aspire à lire l’oeuvre intégrale, step by step…

@ Alice : et qu’as-tu pensé des « Ambassadeurs », encore un grand classique ? En ce qui me concerne j’ai déjà bien envie de me replonger dans « le tour d’écrou »… ou un autre James, j’en ai un petit stock en attente (cependant moins spectaculaire que mon stock whartonien… quoique, vu que j’ai tout de même deux Pléiade de James dans ma PAL… euh…)

@ Brize : je l’ai également dans ma PAL et j’ai pu voir que beaucoup le recommandent… il figurera en tout cas sur ce blog, tôt ou tard !:o)

Écrit par : Lou | 18/09/2008

Voilà un livre de Henry James qui me tente beaucoup, Lou, parce qu’il y parle de Londres et de sa société victorienne et parce que j’aime son écriture. Depuis ma lecture de « Washington square », j’avoue un faible pour son oeuvre.

Écrit par : Nanne | 19/09/2008

@ Nanne : Ah… je succombe moi aussi pour les mêmes raisons ! Mais comme ce sont des thèmes récurrents chez James peut-être que d’autres titres sont plus réussis. Comme je le disais dans les commentaires je compte lire toute l’oeuvre de James, mais je crois que, concernant ce titre, seuls les cas de jamesite aigüe dans mon genre s’y retrouveront… mais peut-être as-tu toi aussi totalement succombé à cette fièvre ?:o)

Écrit par : Lou | 20/09/2008

Je te confirme que, oui je suis devenue Jamesite ;-D

Écrit par : Nanne | 21/10/2008

@ Nanne : depuis j’ai lu « Daisy Miller » et prévois une lecture prochaine… de nouvelles, ou peut-être de « Washington Square » !

Écrit par : Lou | 21/10/2008

Les commentaires sont fermés.

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