Hijo de la luna

maupassant_clair_lune.JPGSeptembre, c’est la rentrée des classes, saison propice aux bonnes intentions et aux lectures plus studieuses. Après beaucoup de lectures françaises contemporaines, miss Lou est d’humeur plus classique, ce qui lui a valu des retrouvailles fort émouvantes avec Guy (de Maupassant, bien évidemment !).

En farfouillant au rayon français de la FNAC de Barcelone (je dois avoir trop augmenté ma PAL espagnole en juin pour avoir envie de poursuivre mon œuvre dantesque et désastreuse), je suis tombée sur le recueil Clair de Lune et autres nouvelles – avec un soupir de soulagement car je croyais le rayon voué corps et âme aux productions d’Anna Gavalda, Marc Levy et Catherine Laborde, objets dont je n’ai toujours pas compris la fonction exacte (combustible ? essuie-tout ?).

Comme le fait remarquer Ekwerkwe dans son billet, ce recueil est un peu surprenant en raison de son assemblage de nouvelles sans point commun apparent. Les sujets sont multiples : un homme décide de se ranger mais, le jour de son mariage, se découvre un enfant illégitime ; un ecclésiastique sorti de nuit pour surprendre sa nièce en compagnie d’un jeune homme tombe sous le charme du clair de lune et abandonne ses idées de poursuite ; un homme devient fou après avoir noyé sa chienne ; un autre croise un fantôme ; deux vieilles filles sont exposées aux regards réprobateurs de leurs semblables ; un docteur tente de prendre le pouvoir dans son village après la chute de Napoléon III ; un homme heureux en ménage découvre les infidélités de son épouse après le décès de celle-ci ; un instituteur accusé d’avoir assassiné ses élèves… voilà pour la plupart des récits, contes ou nouvelles qui constituent ce recueil.

Voilà quelques éléments intéressants tirés de ma lecture de la préface (qui, sans être passionnante, donne un certain nombre de pistes de lecture) : le recueil publié chez Folio correspond à une édition de 1888, soit l’édition définitive établie par Maupassant. Ces récits ont pour la plupart été publiés dans la presse avant d’être rassemblés, à « l’âge d’or du récit court, dont les journaux sont de grands consommateurs » (p8). S’il est difficile d’appréhender l’ensemble de ces nouvelles de façon globale, c’est aussi parce qu’environ cinq ans séparent leur rédaction, cinq années au cours desquelles la vie de Maupassant a passablement évolué, son entrée dans les salons et « les progrès de sa maladie » influençant désormais ses écrits.

Plusieurs éléments ressortent particulièrement de cette préface. Tout d’abord, l’influence de l’actualité sur le travail de Maupassant, qui fait correspondre ses récits aux dates de publication. « Mademoiselle Cocotte », l’histoire de la chienne noyée, correspond au projet de création de la SPA. « Les Bijoux », qui évoque notamment le petit salaire d’un fonctionnaire, fait écho à « la campagne en faveur des petits et moyens fonctionnaires, réduits à une quasi-pauvreté » (1882). Parfois, la nouvelle n’a pas de rapport avec l’actualité mais celle-ci est évoquée brièvement dans la conversation, souvent en introduction, les faits divers servant de prétexte à l’histoire qui va suivre. Bref, l’actualité est revisitée par Maupassant, qui se « l’approprie » avec succès, se montre à l’occasion satyrique, faisant parfois preuve d’engagement (contre le célibat des prêtres, contre la vacuité de la politique…).

Autre commentaire intéressant : l’auteur de la préface fait le rapprochement entre plusieurs nouvelles de Maupassant, remarquant leurs correspondances et, dans certains cas, la réécriture d’un récit arrivé petit à petit à maturité. On retrouve donc des histoires a priori semblables au final complètement détournées par l’écrivain, selon qu’il veut faire ressortir tel événement ou tel point de vue.

L’attitude un peu morbide et désespérée de Maupassant se retrouve également dans la structure du recueil, qui s’ouvre avec « Clair de Lune », texte plutôt positif, et s’achève avec « La Nuit », texte sombre et, je trouve, profondément destructeur. Le recueil est d’ailleurs dans l’ensemble assez pessimiste « et présente une majorité d’hommes et de femmes bêtes, avides, grotesques, et surtout malheureux ». (p33)

Les femmes sont abordées sous divers angles : avec dureté et une certaine amertume humoristique lorsqu’il s’agit des demi-mondaines, des superficielles, des artificielles, des femmes fatales ; avec une certaine compassion (un peu moqueuse) lorsque les figures féminines souffrent de la cruauté de leur entourage, comme c’est le cas avec cette vieille fille qui appelle ses enfants et son mari au moment de mourir ou cette autre qui n’a pas pu oublier son amoureux de treize ans.

Enfin, le fantastique est indirectement présent dans ces récits ; « il n’a que faire des effets extérieurs : le cœur de l’homme suffit à le susciter. » (p32) Cela m’a fait penser à la préface d’Edith Wharton (Le Triomphe de la Nuit) qui, évoquant ses histoires de fantômes, insiste sur son rejet des sensations fortes et sur son goût pour la création d’atmosphères propices à laisser l’imagination du lecteur accomplir le reste du chemin.

Voilà bien longtemps que je n’avais pas lu Maupassant. Cette fois-ci je ne tarderai pas à le relire, ce recueil m’ayant beaucoup plu. Les histoires sont brèves, les faits clairement exposés, le cadre minime ; tout semble parfaitement maîtrisé et pourtant, le style agréable de Maupassant est vibrant d’émotion, pouvant altérer rapidement notre ressenti en quelques mots empreints de mélancolie, d’enthousiasme moqueur ou de contemplation sensuelle. On s’abandonne avec plaisir devant la variété des tons et des sujets. Certaines nouvelles sont particulièrement marquantes, de par la justesse du ton et le traitement de sujets difficiles : « L’Enfant », l’histoire de ce mari revenant le soir de ses noces avec un enfant illégitime dans les bras ; « La Reine Hortense », celle de cette vieille fille au cœur dur soudain rappelée à ses instincts maternels au moment de mourir ; « Les Bijoux », l’histoire de ce petit fonctionnaire trompé par son épouse.

Alors, si vous aussi avez un peu délaissé cet écrivain, n’hésitez pas à le retrouver à l’occasion avec ce recueil très plaisant.

242 p

Guy de Maupassant, Clair de Lune et autres nouvelles, 1888

Commentaires

Je connais très mal Maupassant, mais tu as très bien plaidé sa cause (et puis, quelle jolie couverture ! ).

Écrit par : Lilly | 13/09/2008

J’adore les nouvelles de Maupassant, je ne peux pas dire que je me souvienne précisément de celles-ci, mais je les adore dans leur ensemble ! 😉

Écrit par : kathel | 13/09/2008

@ Lilly : je dois avouer qu’entre les deux ou trois Maupassant en stock c’est celui-ci qui m’a d’abord interpelée par sa couverture romantique et un peu sombre… un choix que je ne regrette pas !

@ Kathel : Je compte poursuivre avec la lecture du recueil « Boule de suif » ; je crois avoir lu certaines de ses nouvelles mais je n’en suis pas sure… alors autant vérifier :p

Écrit par : Lou | 13/09/2008

Je ne connaissais pas ces nouvelles, merci pour l’info. je ne vais me procurer le recueil rapidement.

Écrit par : Porky | 13/09/2008

@ Porky : surtout n’hésite pas à mettre un lien vers ton billet ensuite, je serais curieuse de le lire !

Écrit par : Lou | 13/09/2008

Très jolie couverture, et note intéressante. Merci d’avoir partagé ces impressions de lecture ! Adepte de classiques, je ne me suis pourtant pas encore mise à Maupassant, ne sachant pas forcément à quel livre m’attaquer … Cette critique influencera sans doute mon jugement … 😉

Écrit par : Nibelheim | 15/09/2008

J’ai toujours adoré Maupassant depuis l’école mais je ne pense pas avoir lu ce recueil de nouvelles. Ca me donne envie de m’y remettre. 🙂

Écrit par : Cécile | 16/09/2008

@ Nibelheim : je prévois de lire au moins un autre recueil de nouvelles prochainement… peut-être que cela pourra donner d’autres idées…:o)

@ Cécile : ah je suis contente quand on s’intéresse un peu aux classiques ici ! Je serais ravie de lire ta note !

Écrit par : Lou | 17/09/2008

J’ai lu « Mont-Oriol » cet été, et Maupassant est un écrivain que je lis ou relis régulièrement. Comme tu le soulignes, il sait provoquer une émotion en quelques mots ; il peut également dresser un portrait en quelques phrases, livrant assez d’éléments pour que le lecteur le place dans l’intrigue… et pour jouer sur la surprise, le cas échéant.
J’avais beaucoupé aimé ce recueil, notamment « L’enfant », « Apparition », « La légende du Mont-Saint-Michel »… Comme tu l’écris, la variété de ton et de thème est un vrai plaisir.

Écrit par : Naïk | 17/10/2008

@ Naïk : j’ai lu ta critique de « Mont-Oriol », qui m’a donné envie de le lire même si je pense peut-être poursuivre avec d’autres nouvelles dans un premier temps. Voilà une belle rencontre pour moi (enfin, ce n’était pas tout à fait une rencontre mais je ne me souvenais pas du tout de mes anciennes lectures de Maupassant).

Écrit par : Lou | 20/10/2008

Tu vois, ce recueil-là, je ne le connais pas ! Je le note pour une prochaine visite en librairie !

Écrit par : freude | 19/03/2009

@ Freude : ah j’ai vraiment adoré ! Maupassant, c’est toujours aussi agréable !

Écrit par : Lou | 19/03/2009

J’ai un connaissant qui est le prof à l’Univercité de Barcelone et on y étudie avec passion ces nouvelles ou bien récits comme il est écrit ici de point de vue de la linguistique digitale. C’est bien le point de vue tout à fait différent, mais pourtant une belle possibilité d’enlever le style. Amitiés.

Écrit par : Sean | 12/05/2009

@ Sean : je suis sûre que c’est intéressant !

Écrit par : Lou | 12/05/2009

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