The white side of the moon

medium_ferney_elegance_des_veuves.JPG« Une fois n’est pas coutume » me suis-je dit l’autre jour en lorgnant sur les piles de livres en attente chez moi. Depuis quelques temps déjà, mon cœur se serrait à la vue des livres d’Alice Ferney, sagement rangés chez le libraire, chuchotant entre eux d’un petit air entendu dans un bruissement de pages. Car oui, chers lecteurs, j’étais prête à succomber. J’ai franchi le pas avec L’Elégance des Veuves. Encore aujourd’hui, je me dis que le nom trompeur d’Alice Ferney m’a impitoyablement manipulée en me faisant, entre roman français et anglo-saxon, dangereusement perdre le sens de la réalité. Si les regards pleins d’éloquence des livres d’Alice Ferney ont fini par vaincre mes dernières réticences, c’est aussi parce qu’Actes Sud est à votre chroniqueuse ce que la Bible est à un mormon, bref, beaucoup de choses, le sacré Graal, une montagne de promesses, un océan de plénitude, une douceur infinie.

Vous qui connaissez mes lectures, vous ne vous étonnerez sans doute pas de ces prémisses à n’en plus finir. Car vous savez que j’éprouve une certaine aversion pour la littérature française actuelle, après quelques malheureuses expériences et des émissions télévisées affligeantes.

Peu importe. Il est temps de faire la place aux excellents. De balayer d’un coup de serpillière rageur le musée des horreurs ! Et d’accorder à nouveau (presque) toute mon indulgence – ou du moins, le bénéfice du doute – aux auteurs français que je ne connais que de nom.

Autant le dire tout de suite : Alice Ferney nous rappelle l’écriture calme et franche de nos classiques ; elle s’en affranchit pourtant avec une incroyable féminité et une écriture détachée, se posant en simple observatrice. Avec simplicité, elle évoque les émotions de toute une vie, de plusieurs vies. Avec brio, elle place la femme au cœur de tragédies familiales. Alice Ferney ne décrit pas. Elle donne à voir le monde de ses héroïnes, nous fait partager leur vie, la simplicité des instants vécus, la beauté du quotidien, l’abnégation face à l’adversité.

Sur plusieurs générations, nous suivons le rapide écoulement de la vie d’une famille. La maternité, le deuil, le renoncement : tels sont les maîtres mots de l’histoire, ceux qui vont peu à peu forger chaque héroïne. Ployant sous le chagrin, Valentine, Mathilde ou Gabrielle s’effacent sans cesse au profit des autres. Taisant leur douleur, elles continuent d’avancer jusqu’au dernier instant, puisant dans leur rôle d’épouse et de mère la force nécessaire à leur survie.

Si le destin de Valentine au début du XXe m’a bouleversée, j’ai particulièrement apprécié l’égale importance accordée à chaque personnage et me suis attachée à chacun d’eux. Sans voyeurisme, Alice Ferney évoque avec grâce et sobriété le malheur qu’entraîne la perte d’un être aimé. Et nous renvoie à notre propre image. Car l’histoire, loin d’être finie, recommence encore et encore. Comme celle de l’arrière petite fille de Valentine qui, dans les dernières pages du roman, est à un tournant décisif de sa vie. Une jeune fille de mon âge, également étudiante. Car toutes les femmes peuvent se retrouver dans ce roman où toutes les générations sont représentées.

Hommage à la femme ? A la famille ? A nos vies, si complexes et pourtant prises au sein d’un cycle en mouvement permanent ? Peut-être est-ce là un hommage à tout cela.

Pour moi, mon premier Alice Ferney. Certainement pas le dernier.

126 p

Commentaires

On m’avait dit que ce roman est une ode subtile à la femme-mère. Ton excellent commentaire ne fait que le confirmer.

Écrit par : nicolas | 25/03/2007

Beau souvenir de lecture…

Écrit par : Gachucha | 25/03/2007

Je connaissais Alice Ferney par la Conversation amoureuse, qui avait enchanté un après midi pluvieux (un parmi tant d’autres à Nancy) et tu me donnes envie d’en lire plus… Je t’envie d’avoir été à Paris pour le salon du livre…

Écrit par : Lise | 25/03/2007

@ Nicolas : merci pour ce compliment, je suis contente de voir que ma note n’est pas trop confuse malgré toutes les impressions que j’ai eues à cette lecture…

@ Gachucha : c’est pour moi aussi une excellente découverte !

@ Lise : oui, j’ai déjà repéré « La Conversation amoureuse » !:o) Pour le Salon du Livre, je t’avoue que je me sens déjà toute triste à l’idée de ne pas pouvoir y retourner jusqu’à sa fermeture, alors que tant d’auteurs seront là…

Écrit par : Lou | 25/03/2007

Ton commentaire est vraiment super et il donne envie !

Écrit par : anjelica | 25/03/2007

J’avais déjà repéré ce livre, ton commentaire ne fait que confirmer qu’il FAUT que je le lise!

Écrit par : Lisa | 26/03/2007

Je suis tout à fait d’accord avec toi quand tu dis avoir des a priori avec la littérature française contemporaine. je suis pareille. J’ai l’impression qu’après Camus, il n’y a plus rien eu de vraiment intéressant. Et puis bizarrement, peut-être parce que la France représente Le pays des Belles Lettres, je trouve que les écrivains français intellectualisent trop leur façon d’écrire et qu’ils se prennent trop au sérieux.
J’adore aussi les éditions Acte sud, comme toi, ainsi que Denoël Thierry Magnier et le Seuil.
Alice Ferney aime bien explorer le deuil ainsi que la figure maternelle qui semble toujours être détentrice de secrets, du moins, c’est ce que j’ai trouvé dans son livre « Les autres » et c’est ce qui se dégage aussi de ta critique. Juste une question qui n’a rien à voir avec ce que je viens de dire : Lou, tu es anglaise ?

Écrit par : musky | 26/03/2007

C’est un vrai bon souvnir de lecture….comme toujours avec Ferney.
« Dans la guerre » est sublime, « grâce et dénuement » aussi, « La conversation amoureuse » également….bref tu as de quoi te régaler 🙂

Écrit par : katell Bouali | 26/03/2007

Parce qu’elle est française ? Et qu’elle écrit comme les écrivains dignes de ce nom ? Moi qui suis de plus en plus sceptique quand j’ouvre un roman français, et qui croyais les écrivains de notre « beau » pays incapables de produire des romans faisant plus que passer un agréable moment, je vais me jeter dessus. Merci Lou !

Écrit par : Lilly | 26/03/2007

j’ai lu des critiques contrastées sur son dernier livre, mais à lire ta critique, celui n’est à pas manquer!

Écrit par : choupynette | 26/03/2007

@ Anjelica & Lisa : c’est à mon avis un très bon livre, comme vous avez pu le voir :o) J’ai notamment beaucoup apprécié le style de l’auteur !

@ Musky : tout à fait d’accord avec toi ! Les Français intellectualisent beaucoup trop leur façon de concevoir la littérature. A force de recevoir des cours où l’on nous apprend à bien penser, peu d’écrivains réussissent à sortir du moule et à laisser parler leur imagination. Sans parler du « statut » d’écrivain, concept franco-français qui conduit des scribouillards à répéter trois fois au cours de la même interview (et d’un air supérieur !) qu’eux sont de vrais écrivains, que, vous comprenez, nous n’avons pas les mêmes valeurs, etc… autant d’attitudes pompeuses qui ont le don de m’agacer !
Quant aux éditeurs, j’aime aussi les formats 10/18 mais les traductions sont malheureusement moyennes. Et en dehors d’Actes Sud, mon autre péché mignon est la collection Phébus Libretto (« Le Quinconce », Jack London, récits de voyage…).
Et enfin, pour te répondre, non je ne suis pas anglaise, je suis française (j’entretiens le mystère:o))… C’est peut-être aussi pour ça que je me permets d’être particulièrement abjecte avec nos pauvres auteurs français ! Et pour mes références fréquentes aux auteurs anglo-saxons qui t’ont peut-être fait penser que j’étais anglaise, en fait je suis plutôt un pur produit européen et reçois de plein fouet des influences anglaises, espagnoles et allemandes… voilà !;o)

@ Katell Bouali : j’essaie juste de me contenir et de ne pas encore augmenter ma PAL :o)

@ Lilly : vu ton goût pour les classiques anglo-saxons, je pense que tu aimeras beaucoup et retrouveras un peu l’atmosphère de certains de ces écrivains ! Ravie de t’avoir donné envie de lire ce roman !

@ Choupynette : j’ai vraiment été très sensible à son écriture et à la « force tranquille » des personnages de ce roman. Peut-être que je ne le conseillerais pas à un lecteur qui préfère une histoire très rythmée et beaucoup de péripéties, car il s’agit tout de même de l’histoire d’une famille, dont on retrace les grandes lignes… mais je pense qu’Alice Ferney mérite qu’on la découvre le temps d’une lecture, et ses sujets assez différents sont finalement susceptibles d’intéresser des publics divers à mon avis. Si tu la lis je viendrai lire avec plaisir ta critique !

Écrit par : Lou | 26/03/2007

Mince si toi aussi tu t’y mets…comment je vais résister moi???? :o))))

Écrit par : lamousmé | 26/03/2007

@ Lamousmé : le problème sans fin des lecteurs compulsifs anonymes… :o(

Écrit par : Lou | 26/03/2007

Lol « vous comprenez, nous n’avons pas les mêmes valeurs… ». C’est exactement ça !! Trop drôle !! ;))
J’aime Phébus aussi parce qu’ils ont édité les romans de Wilkie Collins !!

Écrit par : musky | 26/03/2007

Je dis « oui ! » à la littérature française contemporaine ! ;o)

Écrit par : Caro[line] | 27/03/2007

Un très beau livre, en effet…

Écrit par : Thom | 27/03/2007

@ Musky : effectivement, c’est une de leurs très bonnes références ! Il faut que je fasse ici quelques notes sur les livres que j’ai beaucoup aimés dans cette collection.

@ Caroline : ça dépend ! Mais tu m’as fait découvrir Ségur ! :o)

@ Thom : cette lecture a été une excellente surprise pour moi !

Écrit par : Lou | 29/03/2007

Je n’ai pas encore lu « L’élégance des veuves » mais je vais très bientôt m’y atteler. Merci de ton passage sur mon blog.

Écrit par : clochette | 01/07/2007

@ Clochette : superbe texte effectivement ! Je reprendrai ma lecture de Ferney bientôt moi aussi… j’hésite cependant : quelle victime choisir ?

Écrit par : Lou | 01/07/2007

Tu écris vraiment bien, quel beau billet !
C’était mon premier Ferney, et depuis, je tâche de les lire tous… j’ai acheté d’ailleurs le dernier, mais je me le garde pour cet été. Comme toi, j’adore cet auteur, son style, les relations qu’elle narre entre femmes, générations… De la belle écriture comme on en trouve peu…

Écrit par : liliba | 24/06/2008

@ Liliba : merci pour ton gentil commentaire… ça me fait plaisir de trouver une autre personne admirant aussi le style d’Alice Ferney, que je compte bien relire prochainement ! J’irai lire aussi tes critiques :o)

Écrit par : Lou | 25/06/2008

Je viens de le terminer et j’ai adoré. Quel style, quelle sensibilité, quelle vérité !
Merci pour votre billet avec lequel je suis tout-à-fait d’accord… Je parlerai de ce livre prochainement (très brièvement) sur mon blog.

Écrit par : Boîte à ouvrage | 14/06/2009

@ Boîte à ouvrage : merci beaucoup pour ce commentaire. Je garde encore un très beau souvenir de ce livre. J’espère lire votre billet bientôt (n’hésitez pas à mettre un lien ici d’ailleurs).

Écrit par : Lou | 14/06/2009

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