Jean-Michel Delacomptée, Cabale à la Cour

Quel texte original et atypique que celui-ci ! Qu’il plaise ou non, difficile de rester indifférent.

Versailles. 1er janvier 1710. C’est la fin du règne de Louis XIV. Son neveu, le Duc Philippe d’Orléans, reçoit son ami de Saint-Simon, qui a demandé à le voir au plus vite. Tout oppose les deux hommes. Le premier se distingue par son rang et ses capacités militaires mais mène une vie de débauche. Bien que marié à la fille « bâtarde » du roi, il entretient publiquement une maîtresse depuis des années, Mme d’Argenton, tout en menant une vie de débauche avec de « jeunes » danseuses de l’opéra et d’autres malheureuses cueillies dans les rues de Paris pour son menu plaisir. A l’inverse, et malgré son duché, Saint-Simon occupe une position plutôt médiocre dans les statuts complexes de la cour. C’est un homme qui préfère la tranquillité et la réflexion de sa demeure à la campagne, et qui vit heureux en ménage grâce à un mariage raisonnablement choisi et à ses yeux parfaitement satisfaisant.

Si Saint-Simon veut voir son ami, c’est pour l’avertir d’une cabale lancée contre lui. Non seulement on lui reproche sa débauche et l’humiliation publique de sa femme, mais on le soupçonne aussi de vouloir prétendre au trône d’Espagne, dont la succession est compliquée. A l’époque, Louis XIV veille à protéger les intérêts de la France en surveillant de près cet autre royaume, où règnera son petit-fils. A tout cela, il faut ajouter des rumeurs de sorcellerie qui contribuent à faire peser de lourdes menaces sur Philippe d’Orléans, qui pourrait bien être condamné à l’exil.

Le roman s’articule de manière très originale autour de cette journée du 1er janvier. D’une part, des passages purement narratifs visant principalement à replacer le contexte historique. C’est passionnant, puisqu’en quelques pages seulement, le lecteur néophyte (c’était mon cas) a une meilleure compréhension de la fin du règne de Louis XIV : la pauvreté et la famine qui font des ravages ; l’hiver cruel ; la cour de Versailles complètement déconnectée de la réalité, faite d’obséquiosités, d’hypocrisie, de messes basses et d’une certaine bestialité ; les influences du roi, ses humeurs de monarque, sa succession et l’organisation de la vie au château dans ses grandes lignes.

Les haleines sentent l’ail et le bouc. Les corps exhalent des bouffées d’ambre gris, de jasmin, de musc. Dans cette société où les humains côtoient les bêtes, on aime palper, flairer, éprouver le concret des choses. A la cour comme partout, les cinq sens fonctionnent avec intensité. L’époque se soûlait de sensations. Sous les apparences policées, on avait le corps animal (p 15).

En ville comme dans les campagnes, les fièvres consument les corps dont les chiens errants dévorent les lambeaux. L’hiver est un ogre. Enfants, vieillards, familles entières, la saison infernale décime le passé et l’avenir. Tout manque, la chaleur du soleil, les vivres, l’espérance (p 16).

Pendant ce temps, à Versailles, la cour s’affaire dans sa bulle, empesée par les sombres humeurs du monarque en fin de règne et sa dévote épouse Mme de Maintenon (p 17).

D’autre part, et c’est là l’essentiel du récit, s’enchaînent des dialogues typiques du discours théâtral, où les joutes verbales témoignent de la confrontation des points de vue. Saint-Simon est le principal intervenant et argumente point par point pour expliquer au duc la fragilité de sa position et l’intérêt qu’il aurait à rompre avec sa maîtresse pour retrouver grâce aux yeux du roi.

J’ai été très intriguée par cette curiosité littéraire, qui m’a beaucoup intéressée par le contenu historique solide et la mise en avant de Saint-Simon. A l’issue de cette lecture, force est de constater que l’envie de découvrir les célèbres Mémoires est bien là !

148 p

Jean-Michel Delacomptée, Cabale à la Cour, 2020

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