Akiko Itoyama, Le Jour de la Gratitude au Travail

On continue à sortir les romans qui attendaient dans la bibliothèque, cette fois-ci, depuis l’année dernière. Ce titre avait piqué ma curiosité, entre la couverture assez joyeuse et mon image plutôt négative du monde du travail au Japon, liée à quelques lectures essentiellement. J’étais intriguée par ce principe d’un jour de la gratitude au travail, et curieuse de voir quelles formes il pouvait prendre. A vrai dire, il n’est pas du tout question de cela dans ce court recueil de deux nouvelles.

« Le Jour de la Gratitude au Travail » est la première nouvelle. Kyôko a travaillé dans une entreprise assez importante mais, aujourd’hui trentenaire, elle est au chômage et peine à retrouver du travail. On apprend que son employeur était un vieux dégueulasse, et que les missions proposées aux cadres féminins étaient pour le moins limitées. Kyôko vit donc chez sa mère et se rend régulièrement à l’agence pour l’emploi afin d’y rendre des comptes, quand elle ne passe pas par le bar un peu glauque d’à côté pour s’évader un peu. D’où ce bel extrait : « Je viens dans ce bar acheter de la nuit. Un long verre de nuit, noire et silencieuse » (p 50).

Sa voisine, une dame à la retraite bien sympathique et plus aisée, décide de lui venir en aide et lui propose d’organiser une rencontre pour un mariage arrangé (« prostitution ou marché aux bestiaux? » p 17). Sur le papier, pourquoi pas, le jeune homme semble promis à une belle carrière et avoir beaucoup de qualités. Par obligation sociale, Kyôko joue le jeu. Sans doute aussi sans y être totalement réfractaire car les perspectives qui se présentent à elle ne sont pas incroyables. Avec un peu de recul, je trouve cette nouvelle intéressante car elle met en lumière la condition de la femme moderne au Japon, condition qui n’est pas si enviable. Entre un monde de l’entreprise redoutable où les femmes semblent surtout tolérées et une alternative consistant à être femme au foyer toute dévouée aux souhaits de son époux, la femme doit se battre pour sortir de ces voies toutes tracées.

Dans « J’attendrai au large », Mlle Oikawa se rend dans un immeuble où elle revoit Futo, pourtant décédé. Elle revient sur sa rencontre avec celui qui était un collègue et un bon camarade. Leur première mutation, le quotidien dans l’entreprise et le rythme effréné, jusqu’à cette promesse qui les unira au-delà de la mort… en l’occurrence, celle de Futo, le premier à partir. Je me suis immédiatement immergée dans cette nouvelle, ayant eu plus de mal avec le style de la première, et des expressions de la narratrice qui me paraissaient assez incongrues (par exemple « Pouce, épargne-moi ! » p 46 m’a un peu déroutée). Futo et Mlle Oikawa sont deux personnages attachants. On imagine leur immersion dans le monde du travail, les premiers challenges, les liens qui les unissent, leurs faiblesses et leurs petites victoires. J’ai aimé cette entrée en matière étrange, et la rencontre avec ce fantôme qui plane sur toute la nouvelle. Là encore, on retrouve la femme dans un univers du travail profondément masculin mais là, le succès est davantage lié à l’investissement et au mérite que dans la première nouvelle. L’image de l’entreprise reste dure, avec un univers qui n’est pas compatible avec la vie personnelle. Ainsi la femme de Futo, employée modèle et brillante, démissionne sans regret lorsqu’elle tombe enceinte. Plus tard, Futo devra quitter sa famille à la suite d’une mutation, les évolutions des cadres japonais au sein d’une même entreprise étant beaucoup liées aux mutations géographiques non négociables.

Je n’étais pas enthousiaste en lisant le premier récit, avec un peu de recul je me rends compte que j’ai finalement bien apprécié ce recueil pour son regard acéré sur un aspect de la culture japonaise. Le travail de cadre au Japon vu par une féministe… forcément, c’est loin d’être un texte lisse et conventionnel !

Lecture sur le thème de la femme, fil conducteur de cette semaine pour Le Mois au Japon.

120 p

Akiko Itoyama, Le Jour de la Gratitude au Travail, 2004

6 thoughts on “Akiko Itoyama, Le Jour de la Gratitude au Travail

    1. Hilde n’était pas emballée, moi non plus au début de ma lecture et finalement, je le trouve très intéressant :o)

  1. Oui c’est intéressant, car j’avoue que, moi non plus, je n’ai pas une très bonne image du monde de l’entreprise au Japon, ni de la place des femmes…

  2. J’ai préféré la première nouvelle et le caractère combatif de Kyôko. J’ai pris conscience de l’intérêt de ces récits en lisant le quatrième de couverture. Des fois la littérature japonaise c’est comme le thé faut que ça infuse un peu! ^^

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