Ludmila Oulitskaïa, Sonietchka

Petite interruption dans mes lectures japonaises du moment, Sonietchka est un court roman qui m’a été offert par Titine, avec qui nous avons décidé de faire une lecture commune en ces jours de confinement.

Depuis sa plus tendre enfance, Sonietchka s’est passionnée pour les livres, tout aussi réels à ses yeux que le monde qui l’entoure. A chaque histoire, la voilà happée par ce que vivent les personnages, qu’elle perçoit avec une intensité si grande qu’on ne sait si c’est un don ou une faiblesse.

Pendant vingt années, de sept à vingt-sept ans, Sonietchka avait lu presque sans discontinuer. Elle tombait en lecture comme on tombe en syncope, ne reprenant ses esprits qu’à la dernière page du livre (p10).

A l’âge adulte, plutôt solitaire (et après une terrifiante déconvenue sentimentale alors qu’elle était encore toute jeune), elle continue à vivre au milieu de ses amis littéraires : Elle obtint un diplôme de bibliothécaire, trouva un emploi dans la réserve en sous-sol d’une vieille bibliothèque, et fit dès lors partie du petit nombre des privilégiés qui, à la fin de leur journée de travail, quittent la touffeur de leur sous-sol poussiéreux avec le léger regret d’interrompre un plaisir (p12).

C’est dans le cadre de son travail qu’elle rencontre Robert, peintre qui a connu les camps et est encore surveillé par les autorités.  C’est un choc pour l’artiste : A vrai dire, il était plongé dans un profond désarroi causé par la certitude, qui s’était abattue sur lui de façon aussi inattendue qu’une averse des hauteurs d’un ciel clair et sans nuage, de se trouver en face de son destin : il avait compris que devant lui se tenait sa femme (p 16).

Ni une, ni deux, Robert s’emploie immédiatement à chercher une solution pour conquérir celle qu’il doit épouser. Il revient ainsi à la bibliothèque avec un cadeau pour cette quasi inconnue : Le paquet était enfin décortiqué, et Sonia vit un portrait de femme peint sur un papier poreux et fibreux, dans de tendres tonalités de brun et de sépia. Le portrait était magnifique, le visage de la femme noble et délicat, un visage d’une autre époque. Son visage à elle, Sonietchka. Elle inspira un peu d’air – une odeur de mer et de froid.

« C’est mon cadeau de mariage, dit-il. En fait, je suis venu vous demander votre main (p22).

Sonietchka accepte l’entrée dans sa vie de Robert tout aussi brutalement qu’elle-même a bouleversé l’existence de son époux. Le mariage a lieu quinze jours plus tard. Dès lors, l’existence de la jeune femme change. Elle délaisse un peu les livres, se consacre aux tâches du quotidien et à leur foyer, complété par l’arrivée d’une petite fille. Une existence compliquée, d’abord dans la pauvreté et loin de ses parents.

L’existence de Sonietchka changea si totalement, si profondément qu’on eût dit que sa vie d’avant avait renversé son cours, emportant avec elle tout ce monde des livres qu’elle avait tant aimé, pour laisser à la place les inimaginables fardeaux d’une existence précaire, de la misère, du froid et des soucis quotidiens pour la petite Tania et pour Robert, qui tombaient malades à tour de rôle (p 37).

Ce roman court est celui de deux êtres sensibles dont la relation est une évidence, dans le contexte âpre des troubles du XXe siècle, entre les contrôles imposés à l’artiste juif Robert et des conditions de vie précaires. Puis leur vie prend un nouveau tournant avec un déménagement et la rencontre avec de nouveaux artistes qui placent le couple au cœur de la vie intellectuelle d’un quartier plus stimulant. Ce sera aussi le lieu de l’entrée en scène de la belle et jeune Jasia, qui changera leur vie elle aussi. Jasia dont Robert dit : « Rien à voir avec la lourdeur d’une guitare, avait noté Robert Victorovitch en passant, mais plutôt le charme cristallin d’un verre à pied » (p 72).

Un récit court mais riche, porté par une plume très élégante. On plonge dans un univers artistique enivrant, en rencontrant ces personnages si entiers qu’ils nous rappellent l’univers du théâtre avec ses grands moments décisifs et ses bouleversements inattendus. Ces âmes qui se rencontrent et se reconnaissent immédiatement ne sont pas sans rappeler la littérature russe classique, où ce récit trouve ses racines. Une petite pépite que je suis ravie d’avoir découvert grâce à Titine… et je me réjouis d’avoir un autre roman de Ludmila Oulitskaïa parmi mes livres en attente.

109 p

Ludmila Oulitskaïa, Sonietchka, 1992

10 thoughts on “Ludmila Oulitskaïa, Sonietchka

  1. C’est drôle, nous avons choisi presque les mêmes citations ! C’est vraiment un très joli roman et je te remercie de m’avoir donné l’occasion de le sortir de ma pal ! J’ai hâte d’avoir ton avis sur un autre livre de Ludmila Oulitskaïa.

    1. Ces citations m’ont beaucoup marquée à la lecture, et ça ne m’étonne pas qu’il en ait été de même pour toi :o) J’ai « L’Echelle de Jacob » dans ma PAL. Je tenterai peut-être en mai après mes Japonais probablement ponctués de quelques Anglais !

  2. Je l’ai beaucoup aimé aussi. Je me suis découvert une passion pour les auteurs russes ces dernières années, mais Oulitskaïa est la seule auteur contemporaine que je connais un peu. J’ai bien aimé « L’échelle de Jacob », un pavé partiellement biographique si je me souviens bien.

    1. J’ai justement ce lui-là dans ma PAL ! Un sacré pavé après cette lecture courte, mais il a l’air prometteur ! Je me souviens de tes lectures russes :o)

Répondre à Lilly Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *