Lewis Carroll, Alice’s Adventures in Wonderland

carroll_alice in wonderland.jpgIl y a 150 ans paraissait pour la première fois le célèbre Alice au Pays des Merveilles. Après un premier billet sur un album pour les tout-petits qui en est inspiré, je continue à rendre hommage à Alice avec une relecture du texte d’origine. J’ai choisi pour cela ma version anglaise aux Editions Collector’s Library. J’ai également relu ensuite certains passages dans mon édition de la Pléiade, dans laquelle j’ai surtout prêté attention aux commentaires de J. Gattégno qui l’accompagnaient.

Ces deux éditions reproduisent les illustrations originales de Tenniel. Celui-ci avait été sollicité par Lewis Carroll. L’artiste trouva d’ailleurs la première impression de trop mauvaise qualité. Une deuxième impression eut lieu. Fort heureusement pour Lewis Carroll qui publiait à compte d’auteur, un éditeur américain racheta tous les livres initialement imprimés en dépit de leurs défauts.

carroll_alice_Tenniel01.jpgMes souvenirs d’Alice au Pays des Merveilles sont étroitement liés au dessin animé de Disney ainsi qu’à une histoire en BD lue dans un magazine quand j’étais petite. Je me souviens encore de quelques dessins et sais où j’avais lu (plusieurs fois) cette BD, mais je serais bien incapable de savoir si elle se trouve toujours quelque part. Toujours est-il que ma vision d’Alice avait besoin d’être dépoussiérée.

carroll_alice_wonderland_tenniel 02.jpgOn se souvient bien du lapin blanc et d’Alice qui part à sa poursuite. Mais ensuite, je dois bien avouer que de nombreux détails m’avaient échappés. A commencer par la chute initiale spectaculaire, où les murs sont encombrés d’étagères et d’objets divers et variés qu’Alice parvient à prendre et à reposer plus bas. Puis les bouteilles et autres denrées la faisant grandir et rapetisser : si je me souvenais évidemment du principe, j’ai été surprise par le nombre de tentatives d’Alice, qui ne cesse de changer de taille tout au long du récit – si bien que cela en devient un brin fastidieux selon moi. J’avais oublié la présence du loir au thé du chapelier fou. Et j’ai eu l’impression de découvrir certaines scènes, comme celle du valet de la reine remettant une invitation à celui de la duchesse, suivie d’un passage surréaliste où la Duchesse tient un bébé de plus en plus porcin dans ses bras, passe son temps à éternuer en raison d’une cuisinière qui a la main très lourde sur le poivre et qui lui jette des ustensiles de cuisine à la figure. J’ai pris plaisir à redécouvrir cet univers et à regarder attentivement les illustrations de Tenniel. Néanmoins, je dois avouer que ma lecture n’a pas toujours été fluide, du fait de la construction du récit, car les scènes s’enchaînent de façon assez décousue. L’introduction des éditions de la Pléiade présente de fait les rencontres d’Alice avec différents personnages comme une série d’épreuves.

Wonderland est un endroit fascinant, merveilleux mais aussi inquiétant. Alice se retrouve dans des situations dangereuses, en particulier lorsqu’intervient la terrifiante Red Queen, qui passe son temps à proclamer des sentences de mort, « Off with his head! » étant son leitmotiv. Et pourtant, là encore, peut-être parce que le monde des rêves relativise tous les dangers, Alice rentre saine et sauve. Un personnage dit ainsi de la Reine : It’s all her fancy, that : they never execute nobody, you know (p94).

carroll_oeuvres.jpgL’absurde poussé à l’extrême peut aussi déranger. De façon générale j’ai plutôt savouré les discours sans queue ni tête, les devinettes lancées alors qu’il n’existe pas de réponse. On sent le mathématicien derrière ce texte au premier abord léger, alors qu’il est d’une précision redoutable. Chaque phrase est soigneusement ciselée tandis que le lecteur est constamment sollicité, que ce soit pour suivre un raisonnement dépourvu de logique, relever une allusion à travers un texte détourné ou saisir les traits d’humour et jeux de mots omniprésents. On se rend d’ailleurs compte qu’il est presque impossible de traduire ce texte. J’ai notamment relu un passage qui m’intriguait, fait de calembours. Il est très différent dans la traduction de la Pléiade – pourtant méticuleuse. Il est évidemment compliqué de restituer le sens, la forme et l’esprit avec un texte pareil.

Quelques extraits :

Twinkle, twinkle, little bat, How I wonder what you’re at (p73) – une version détournée d’une chanson pour enfants bien connue aujourd’huie encore.

Un exemple de raisonnement farfelu lorsqu’il s’agit de décapiter le chat, dont seule la tête est apparente : The executioner’s argument was, that you couldn’t cut off a head unless there was a body to cut it off from : that he had never had to do such a thing before, and he wasn’t to begin at his time of life. The King’s argument was, that anything that has a head could be beheaded, and that you weren’t to talk nonsense. The Queen’s argurment was, that if something wasn’t done about it in less than no time she’d have everybody executed, all round (p88).

carroll_alice_tenniel 03.jpgAlice’s Adventures in Wonderland a longtemps été relégué à un récit pour enfant, léger, plein de vie, original certes, mais rien d’autre. En le relisant, je ne comprends pas comment cela a pu être possible alors que le texte est si subtil et impose une lecture active et soutenue. Dans son analyse, Jean Gattégno souligne le fait que la critique a commencé à évoluer au cours du XXe siècle, mettant enfin en avant l’originalité du texte (qui n’est pas un conte de fées comme les autres), ainsi que son approche de l’enfance et du rapport au monde adulte – je schématise très grossièrement. « Question pour elle de survie, et manière pour Carroll de présenter l’enfant comme anti-adulte, rebelle par nécessité et non par simple agressivité » (Jean Gattégno, Editions de la Pléiade, p 1658).

L’édition de la Pléiade est un mine d’informations et d’anecdotes. Parmi elles, la genèse d’Alice au Pays des Merveilles, qui débute par une expédition sur la rivière avec les petites Liddell, filles du doyen de Christ Church (Oxford). Comme souvent, Lewis Carroll raconte une histoire aux enfants mais la petite Alice demandera spécifiquement à ce que celle-ci soit retranscrite. L’auteur travaillera à une première version (Les Aventures d’Alice sous terre), avant de remanier le texte et de le faire cette fois-ci éditer en 1865. De fait, voici les paroles d’Alice dans le roman : When I used to read fairy tales, I fancied that kind of things never happened, and now here I am in the middle of one ! There ought to be a book written about me, that there ought ! (p 38).

carroll_alice_tenniel 04.jpgJ’ai découvert les expressions « mad as hatter » ou « mad as march hare » que je ne connaissais pas du tout, et qui expliquent le choix des personnages. L’expression concernant les chapeliers trouve son origine dans les vapeurs de mercure inhalées lors du traitement du feutre ! Pour ce qui est du lièvre, l’expression est plus prosaïque et fait référence à son comportement pendant la saison des amours. A noter que, parmi les chanceux qui recevront la première édition dédicacée, on note bien évidemment Alice Liddell mais aussi une fille de la reine Victoria. Et moi qui pensais que ce texte était aussi une satire de l’époque victorienne ! 

Il me reste beaucoup à découvrir sur Alice. Je pense qu’il me faudra pour cela tout l’été car j’avoue avoir besoin d’une petite pause avant de poursuivre avec les aventures d’Alice de l’autre côté du miroir, mais aussi sous terre ! Entre-temps, des albums, des BD, des DVD et deux livres « documentaires » m’attendent également.

128 p

Lewis Carroll, Alice’s Adventures in Wonderland, 1865

alice.jpgmyself2015.jpga year in england.jpg

Commentaires

je vais voir bientôt une adaptation d’Alice au théâtre, j’ai hâte de voir ce que ça donne!

Écrit par : eimelle | 14/07/2015

on a quand meme grandi avec ce conte sans le vouloir…et c’est vraiment genial…je reste avec joyeux non-anniversaire…joyeux non-anniversaire…et le chat…c un monde merveilleux…mais terrible en effet….mais quel superbe conte et si bien rempli…

Écrit par : rachel | 16/07/2015

J’ai lu et relu Alice et je ne m’ennuie jamais ! J’ai eu la chance de travailler sur les traductions et il est vrai que rien ne vaut la VO !

Écrit par : Aelys | 16/07/2015

@ Eimelle : super, ça peut vraiment être intéressant au théâtre ! Où a lieu la pièce ?

@ Rachel : moi aussi je me souviens de la chanson « buvons du thé encore du thé, en nous souhaitant mon cher… » ou les fleurs « en ce jour de mai fleuri… », le chat évidemment aussi… je trouve super ces premiers Disney qui ont fait des adaptations intéressantes d’histoires classiques. Sans eux, beaucoup auraient sûrement été méconnus de beaucoup.

@ Aelys : oui c’est vraiment compliqué à traduire, j’étais très surprise en relisant certains passages en français. Je pense que je lirai plus tard ce livre à Baby Lou, chapitre par chapitre. Lu d’une traite j’ai eu des petits moments de lassitude, même si je trouve l’oeuvre vraiment très intéressante.

Écrit par : Lou | 16/07/2015

oui mais il ne faut pas oublier d’ou cela vient…il m’est arrive de rencontrer des jeunes qui te sortent la petite sirene de walt disney etc…boudiou….;)

Écrit par : rachel | 17/07/2015

Je découvre ton blog grâce au challenge Les 150 d’Alice et je vois que tu lis beaucoup de littérature victorienne (ou dates approchantes), alors je sens que je vais me régaler à lire tes articles, parce que ce sont un peu mes livres de prédilection ! Pour ce qui est d’Alice au Pays des Merveilles, je suis tout à fait d’accord avec toi sur le principe de la traduction : à mon avis on perd beaucoup à ne pas le lire en anglais, comme je l’ai fait ^^ En ce qui concerne tout ce qui est décousu, j’essaierai peut-être de trouver un bouquin qui analyse l’histoire, je pense que ça pourrait être super intéressant (apparemment la Pléiade donne des pistes ?).
Sinon, rien avoir, mais je ne parviens pas à poster de commentaires sur certains articles (comme s’il n’y avait plus de place pour en poster… on ne me propose pas le « écrire un commentaire »).
Valasty 🙂

Écrit par : Valasty | 19/07/2015

Si j’ai un faible pour le lapin, je n’aime pas le conte et Alice. Petite, ils me foutaient tous la trouille.

Écrit par : Syl. | 19/07/2015

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