Un voile d’ombre s’appesantit à ce moment sur l’enclos des tombes, et Albert rejeta la tête en arrière, tant pour discerner la cause de cette soudaine éclipse que pour jouir une dernière fois du spectacle de la baie. Un énorme nuage naviguait alors avec lenteur au-dessus des espaces de la mer, comme le visiteur miséricordieux de ces plaines liquides ignorées des vaisseaux. Rien ne peut dépeindre la comblante et lente majesté avec laquelle s’effectuait cette navigation céleste. (p 27)
C’est sans doute le classique qui m’a le plus dépaysée, l’énorme bourrasque à laquelle je ne m’attendais pas, la rencontre exaltée entre la lectrice que je suis et le grand mais curieux roman que constitue Au château d’Argol.
Publié à la fin des années 1930 par José Corti, Au château d’Argol est un roman bouillonnant, dense, presque effervescent où se bousculent les images, les références et les clichés littéraires, dans un enchevêtrement de phrases somptueuses et immenses qui frappent l’imagination tout en étant systématiquement dans l’excès. Julien Gracq déclarait en 1981 au Magazine Littéraire que ce livre n’était pas une parodie mais plutôt un roman d’adolescent (cf les précieuses notes de la Pléiade que j’ai bien sûr lues avec avidité une fois le château et ses héros démasqués). Comprenons par là un roman où jaillissent les références philosophiques et littéraires d’un lecteur assidu et passionné. Pour l’auteur de ces notes, les influences sont celles de Jules Verne, de Wagner et plus encore, de Poe et du surréalisme (à l’époque de l’existentialisme et de la littérature engagée). Mais j’ai surtout énormément pensé au roman noir, aux inspirations gothiques de Radcliffe, Maturin et de Lewis et aux romantiques allemands. Mon édition évoquait d’ailleurs Faust et Méphisto en parlant des deux héros du roman mais j’ai aussi en partie retrouvé l’univers de Hoffmann et de Lenz. Quoi qu’il en soit, le récit a pour cadre un château isolé près d’une forêt sombre, d’une mer troublante et d’un vieux cimetière dont la description n’a rien de rassurant, étant caractérisée la recherche d’adjectifs aux accents dramatiques ou particulièrement lugubres.
Ce livre est curieusement pour moi à la fois une révélation et une légère déception. Tout me prédisposait à aimer les élans mystico-lyriques du narrateur, l’atmosphère sombre, le cadre inquiétant, l’écriture riche et imagée. J’ai été très sensible à l’impétuosité et à la fougue qui caractérisent ce texte, j’ai effectivement savouré le décor ; quant aux phrases, elles font tout l’intérêt du roman. Et pourtant, dans cette histoire où finalement rien ne se passe en dehors de l’accomplissement implacable du destin, je n’ai éprouvé d’intérêt que pour les sublimes descriptions et l’envoûtante association de noms et d’adjectifs, parfois improbable. Et dans ces descriptions, je n’ai pu m’empêcher de trouver parfois un aspect un peu précieux et ronflant à l’écriture de Gracq, qui m’a pourtant fascinée. Une impression qui, je l’espère, ne se confirmera pas à la lecture du Rivage des Syrtes, que je lirai évidemment (quand, je ne sais pas). Quoi qu’il en soit, voilà un immense auteur à découvrir absolument.
J’ai découvert au passage dans mon édition un titre qui m’intrigue, Le Vieux baron anglais.
95 p (Bibliothèque de la Pléiade)
Julien Gracq, Au Château d’Argol, 1938
Commentaires
La citation du début me plaît beaucoup, et je suis très tentée malgré tes réticences. En voyant ta note, je trouve que c’est amusant de pouvoir être marqué par un livre sans l’avoir particulièrement apprécié pour autant. C’est la marque des grands textes je pense.
Le seul souci avec Gracq, c’est qu’il a (selon ce que j’ai récemment apprs) toujours refusé d’être édité en poche. Je regarderai à la bibli le jour où j’irai chercher la BD de ce matin.
Écrit par : Lilly | 30/08/2009
Écrit par : Eeguab | 13/09/2009
Écrit par : Cécile de Quoide9 | 13/09/2009
Écrit par : Cécile de Quoide9 | 13/09/2009
Écrit par : The Bursar | 13/09/2009
Écrit par : Leiloona | 15/09/2009
Écrit par : rose | 15/09/2009
Je pense que c’est un livre fait pour toi connaissant tes goûts. Quant à mes réticences ce n’en sont pas vraiment. C’est flamboyant, extrêmement fort, c’est un genre qui bouscule les habitudes de lecture (c’est une masse de références aux classiques, le tout s’enchevêtrant joyeusement en faisant finalement du neuf avec de l’ancien, sans être vraiment dans la modernité)… je ne regrette pas du tout ma lecture, j’aurais juste souhaité aimer ce livre passionnément alors que j’ai été à la fois enthousiaste et perplexe. C’est une sublime découverte en tout cas et je suis déjà presque certaine que tu aimeras !
@ Eequab : ce commentaire me donne envie d’emprunter de nouveau la Pléaide familiale pour découvrir cet autre titre bien connu. Aux prochaines vacances peut-être !
@ Cécile de Quoide9 : je ne sais pas trop, pour moi Gracq fait d’ores et déjà partie des classiques mais tu as raison de souligner qu’il n’est finalement pas si éloigné que ça de nous dans le temps, ce qui provoque peut-être un léger effet de décalage. C’est une question intéressante, par contre je ne parlerais pas vraiment d’écriture « datée » car je trouve le terme trop péjoratif pour un style si remarquable (même si ses excès peuvent ensuite plaire ou ne pas plaire et font peut-être à la fois l’originalité et la faiblesse de Gracq). A creuser, pour cela il faudra que je lise plus que ce simple texte !
Quant à Vanessa, c’est l’avenir de la littérature, le fin du fin de la langue française violentée pour le plaisir de la création… décidément tu n’y comprends rien ;o) (ouais même qu’y en a qui croivent que si il faudrait l’éliminer en replacement de l’ex meuf de son ex c’est pasqu’ils saient pas qu’elle, ce soit une vraie meuf qu’y en a dans sa tête et puis voilà quoi !)
@ The Bursar : toi aussi tu me donnes envie de sortir à nouveau la Pléiade familiale :o)
@ Leiloona : si tu aimes les extraits je ne pense pas que tu le trouves ensuite inaccessible (moi aussi j’avais cette image avant et elle est assez compréhensible, c’est vrai). Après avoir été un peu déroutée par le style au tout début j’ai pris beaucoup de plaisir à lire les magnifiques descriptions. C’est tout de même un choc littéraire ; pour moi c’est un auteur qui joue dans une catégorie très restreinte au panthéon des grands écrivains.
Écrit par : Lou | 15/09/2009
Écrit par : Lou | 15/09/2009
des passages du Château d’Argol et du Rivage des Syrtes.
Ce dernier je l’ai acheté mais par encore lu 😉
En ce qui me concerne, je rangerai Julien Gracq dans les classiques du XXème siècle.
Écrit par : Alice | 15/09/2009
Écrit par : rachel | 15/09/2009
@ Rachel : c’est vraiment un grand auteur et c’est un livre étonnant à découvrir, même si je n’ai pas été aussi enthousiaste que j’aurais aimé l’être… à découvrir au moins une fois dans sa vie pour se faire sa propre opinion :o)
Sinon je n’ai pas lu « Shining » mais j’aimerais bien à l’occasion (je l’avais prêté et je l’ai récupéré avec les pages qui se barraient donc j’ai laissé tomber).
Écrit par : Lou | 18/09/2009
Écrit par : Albertine | 22/09/2009
Écrit par : Lou | 23/09/2009
Maurice
Écrit par : Maurice | 13/12/2009
Écrit par : Lou | 19/12/2009
Les commentaires sont fermés.